Après des études d'histoire rapidement avortées, Damien Saez se lance sur la scène musicale avec ce premier album, "Jours étranges", étonnant de maturité et d'investissement personnel. Véritable écorché vif, Damien nous livre sa vision d'une société en proie au conservatisme, sans pour autant crier à la révolte...

"Jours étranges"? Quel message as-tu voulu faire passer?

Ce titre m'est venu naturellement. Il fait référence à la chanson de l'album qui me caractérise le mieux. Dans ce morceau, il ne faut pas prendre les paroles du refrain au sens propre. Quand je chante : "J'irai tuer mon père", ce n'est pas un message que j'envoie à ma famille. Non, bien au contraire, c'est avant tout un engagement personnel contre le paternalisme ambiant qui règne dans notre société et qui étouffe la jeunesse et sclérose son action. J'ai l'impression qu'aujourd'hui les jeunes payent pour les incidents survenus en 68. Mon message à partir de ce moment-là est clair, dire non à ce conservatisme, hérité du Gaullisme.

Ton style musical, mais aussi tes paroles, font que les gens te comparent à des groupes comme Noir Désir, voire Louise Attaque, cela te dérange-t-il?

Absolument pas, d'autant plus qu'il est vrai que mon timbre de voix est assez proche de celui du chanteur de Noir Désir. Cependant, la comparaison s'arrête là. Je me suis plus inspiré de gens comme Brel, Brassens, Ferrat, Bono (U2) que des groupes de rock français. Mes textes, très réalistes, font appel à un univers poétique important. En outre, certains de mes morceaux sont nettement influencés par la musique électronique.

Tout au long de ton album, tu insistes sur l'idée d'une jeunesse prise au piège, sans avenir, tu exprimes également un certain fatalisme, pour ne pas dire désespoir. Est-ce ta vision de la société d'aujourd'hui?

C'est vrai que "Jours étranges" a un côté un peu fataliste, mais cela n'est que le reflet de ce que j'ai pu voir autour de moi, dans mes relations, dans mon cercle d'amis. Après avoir décidé d'arrêter mes études d'Histoire à la fac, j'ai pas mal "traîné", roulé ma bosse et je me suis aperçu que les jeunes entre eux étaient très critiques et n'arrivaient plus à se retrouver autour d'idées ou d'évènements fédérateurs. Pour moi, le développement de l'information, l'accès de plus en plus facile à la culture, mais aussi à la critique font que les jeunes ont perdu une part importante de leur naïveté, de leur spontanéité...

... par la faute d'un certain individualisme?

Tout à fait... Mais de toutes façons, c'est à l'image de notre société qui a littéralement le "cul entre deux chaises". D'un côté, elle rêve d'humanité, mais de l'autre elle est tenue par un capitalisme nécessaire à son équilibre et qui ruine toute tentative d'action communautaire. Mon but avec cet album est d'élargir l'univers des possibles, d'amener les jeunes à trouver d'autres chemins, d'autres rôles à jouer que ceux qu'on leur impose.

Comment te considères-tu par rapport à ce mal-être que tu perçois?

Plutôt comme un révélateur des maux de la jeunesse, que comme un leader d'opinion ou ce genre de personnage. mais si des jeunes doivent se retrouver dans mes textes ou ma musique alors là j'assume parfaitement mon rôle, et j'en serais très fier.

A l'inverse des autres groupes qui appellent à la révolte ou à la désinvolture, tu sembles plutôt privilégier la fuite en avant...

Exactement, "Jours étranges" n'est qu'un cri d'alarme, et non une incitation à la révolte ou à sa sédition. C'est avant tout un constat un peu dur et incisif de la société telle que je la perçois, en aucun cas cet album n'a vocation à créer un quelconque mouvement de foule. Ca n'est pas son rôle, ça n'est pas ma philosophie.

Quels conseils donnerais-tu à des jeunes désireux de percer dans le monde de la musique?

Surtout ne pas perdre son temps, puiser dans tout ce que la vie vous apprend pour peaufiner sa musique, ses textes. Même dans les pires galères, dans les moments d'ennui complet, tirer profit de son vécu. Il faut également avoir une grande confiance en soi. Il ne sert à rien de se décourager au premier échec, c'est avec de la persévérance, du talent et de la chance que l'on arrive à se faire connaître...