On attendait un album simple, formaté rock et révolté... Damien Saez nous prend à contre-pied avec God Blesse, un double album extrêmement varié. Une réussite.

Tendre insoumis

"Damien est presque à l’heure !" se réjouit l’attachée de presse, un tantinet inquiète. Avec cinq minutes de retard, Damien Saez grimpe les marches du très select club parisien où il nous a fixé rendez-vous. Une gueule de beau gosse barrée par un sourire, il s’étonne de se retrouver, au matin, dans cet endroit réservé aux hommes d’affaires. "Woah le truc! Rigole-t-il en franchissant le double vestibule. C'est ma copine qui m'a donné l'adresse. Je pense qu'elle voulait me faire une blague." Nous voici en tête à tête dans un salon victorien à deviser rock, politique et révolte. Ses yeux clairs scrutent le décor tandis qu'il écoute les questions. Un pantalon de toile, un col roulé derrière lequel il masque sa bouche en réfléchissant avant de décocher une réponse. A 24 ans, cette graine de star du rock a des silences introspectifs et des réparties d'une étonnante maturité. Avec Jours étranges , qui a cartonné en 1999 à 200 000 exemplaires – sans parler des gravés, hein? -, Saez n'a pas d'ego-trip. Il prend le succès avec distance. "Je n'ai pas l'impression de la jouer rock star. Pour moi, les choses commencent à cet album, God Blesse. Le premier était un brouillon propre, très léché. Celui-ci, c'est la spontanéité." La spontanéité, maître mot de l'interview qui s'ensuit...

Katagena

Saez rigole si on l'interroge sur l'origine et la prononciation de ce prénom –KatarZina -, titre de l'un des deux CD du nouvel album. On comprend vite qu'il s'agit de sa copine. "Elle est polonaise. Quand j'ai entendu son nom la premuère fois, je n'ai pas très bien compris. Il y a un côté "katastrophe" et puis "géna", la naissance. Une contradiction que je trouve jolie." Quand on pousse l'indiscrétion, il se rétracte et lance, énigmatique: "Ecoute So Gorgeous (une des chansons de l'album, ndlr), tu en sauras plus." "Si la grâce avait un nom/Elle porterait le tien/C'est écrit dans nos yeux /C'est écrit dans nos mains." Sans commentaire.

Anti-héros

"Le sida, le chômage, les guerres. J'ai vraiment l'impression de faire partie d'une génération ratée." Il y a longtemps qu'un artiste, par ses textes, n'était pas paru aussi en phase avec son public. Mais Saez refuse l'image de porte-parole d'une génération dont on veut l'affubler. "C'est fort mais dur aussi pour moi de savoir que des jeunes écoutent mes chansons dans leur chambre, qu'elles prennent de l'importance pour eux. Alors que j'ai écrit ça tout seul, pour moi. Je ne pense pas être un repère pour les jeunes. Ils m'allument pas mal aussi sur le Net. Ils ne comprennent pas tout ce que je dis, mais c'est bien! Parfois, ils trouvent que j'ai des réflexions de crétin. Ils attendent un point de vue comme dans une discussion. Je crois que ma liberté de ton les réjouit. Cela prouve qu'on peut encore faire un disque et dire ce qu'on pense."

Saez academy

Paradoxalement, Saez le révolté conçoit fort bien que sa maison de disques, Universal, produise les disques de Star academy ou de PopStar. "C'est clair, ils font de grosses daubes pour des mômes de 8 ans, qui achètent du Star academy comme du 2B3 il y a cinq ans. Le budget de mon nouveau disque a coûté celui de huit albums. L'argent qui rentre grâce à L5 va également permettre à Noir Désir ou Zebda de faire des disques. C'est le système! Tu n'es pas content? Eh bien, monte ta boîte et autoproduit ton disque!"

Sea, sexe and sida

Par ses mots crus, Sexe est l'une des chansons les plus provocatrices de God Belles. Mais Saez s'insurge quand on parle de provoc'facile. "C'est un clin d'œil au Music de Madonna, qui utilise l'auto-tune (effet qui transforme la voix de manière nasillarde, ndlr) pour faire de la "sous-house". Ca me gave dans les boîtes, on dirait de la musique de robot." Mais derrière l'anecdote, on devine un propos plus profond sur la sexualité. "Quand je dis que je fais partie d'une génération ratée, c'est cela aussi! Pas d'amour sans plastique pour nous. Je ne me suis jamais protégé, cela m'a toujours gavé. Je sais! Je ne devrais pas le dire, j'ai eu de la chance. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut pas se protéger, mais je trouve incroyable que l'on ne soit pas tous taxés de 10% sur nos salaires pour enfin trouver une solution contre le sida! C'est bien plus choquant que ma chanson!"

Conscience politique

"Nous ne voulons plus de vos solutions/Il n'y a plus de rêves pour cette génération." Dans Solution, Saez en a gros sur la patate politique. Et quand il s'agit de savoir pour qui il votera au prochain scrutin, la réponse est à son image, révoltée et extrême. "Je n'ai jamais pu voter. Je ne suis jamais allé au service militaire, je suis insoumis. On m'a donc privé de mes droits civiques. Ca m'embête parce que le vrai mécontentement est le vote blanc, pas l'abstention. Ne pas voter, c'est un non-acte. Si tu te fous de la politique, c'est ton droit, mais va jusqu'au bout de ta démarche et ne paye pas tes impôts. Et s'il n'y a plus un rond pour te soigner dans les hôpitaux, ne te plains pas!" Quand il aura une carte d'électeur, apparemment Saez sera bien en peine de faire un choix. "Voir des mecs calculer quand il faut annoncer sa candidature comme s'ils jouaient aux échecs, je trouve cela dommage. On a l'impression d'assister à une campagne de communication, pas à une campagne politique."

Famille je vous hais(me)

Originaire de Marseille avant d'émigrer à Dijon, Saez a été élevé par sa mère, éducatrice. Très tôt, son père quitte la maison. De cette cassure, celui qui cite Laisse pas traîner ton fils de NTM comme une chanson à message ressent encore les blessures. "J'ai mal encaissé certaines choses, je connais mon père sans vraiment le connaître. J'ai très tôt été mature. Les profs s'en inquiétaient et convoquaient ma mère car ils me trouvaient trop réfléchi. J'ai transposé sur des disques de Brel et Brassens la voix paternelle. Parfois, je me surprends à pleurer en entendant des chansons à la radio." Il se reprend et sourit: "Mais je pleure de moins en moins souvent!"

God Blesse on et off

Ce God Blesse (America) risque de siffler aux oreilles de certains comme le bruit d'une bombe sur Kaboul. Disque marathon que ce double CD de 29 titres, avec une partie électrique et l'autre acoustique. Le premier, God Blesse, a déjà enfanté quelques singles, comme Solution, hymne de révolte contre la classe politique, ou le très sulfureux Sexe. On pourra lui préférer la romance de So Gorgeous destinée à Katagena, son amie. Katagena, titre du second disque, est résolument acoustique. Saez s'y livre au piano à quelques instrumentaux. Puis le rocker prend une expression quasi "brelienne" avec St Pétersbourg ou Massoud. God Blesse peut subjuguer ou agacer, mais pas laisser indifférent.

Frédéric Garat