La dernière fois que j’ai vu mon grand-père, j’ai pas voulu lui dire en revoir. Je me rappelle ma mère, elle les appelle. Oui. Oui. D’accord. « On arrive tout de suite », ils ont dû dire, je sais pas moi, je les avais pas au téléphone. Mais je savais, j’avais compris, c’est l’âge où on comprend encore tout. Puis avec le temps, les choses s’accélèrent, les choses nous échappent. Comme quand on met une boîte de conserve sur le tapis roulant à la caisse, si on la suit pas la conserve s’en va. Hop. Donc on la pose sur le tapis, on la suit, on paye, et on se barre avec. Enfin je vais pas tout vous apprendre non plus, à un moment faut tester, la vie. Faut sortir de chez soi. C’était l’époque où y avait pas internet, les parents l’été emmenaient les enfants voir le monde, la France au moins, la montagne la compagne, ça dépendait du temps et du budget. Je me souviens surtout de parents qui emmenaient leurs gosses voir des trucs, et pas d’enfants plantés dans les pieds des mecs pendant leur congé payé. C’était long neuf heures de bagnole mais bon sang comment t’expliques que j’en garde un si bon souvenir ? Je bouffais des gâteaux apéros me demandez pas pourquoi pendant une bonne partie du trajet à la radio un type du ministère de l’éducation glorifiait les mesures prises contre l’obésité à l’école. A la rentrée, plus de sodas mais des distributeurs de bananes ! J’m’en fous les sodas j’aime pas ça, et les bananes j’aurai pas les sous pour les acheter. Pas concerné. C’était l’époque où les parents l’été emmenaient les enfants voir le monde. Cet été-là nous sommes allés voir mon grand-père mourir. En fait on pourrait écrire plein de trucs, ou rien, ça serait toujours faux, et même ça ça sonne hyper faux. Rend-on honneur un jour aux gens qu’on a connus, qui nous ont aimé, qu’on a pas vus qu’ils nous ont aimé ? Un animal je vous dis. Cours, cours te cacher, bientôt les blouses blanches seront là et ils l’emmèneront. Il faudra redresser la tête lever les yeux les plonger dans ces yeux qui ont fait leur temps. Est-ce que tu pleureras ? Tu aurais pleuré ? Je regrette rien, ça s’est passé comme ça. Le silence. Je me suis caché un temps puis assis sur le petit mur j’avais le soleil dans la nuque. Sa maison au loin. Ils sont entrés. Aussitôt ressortis, avec lui. Beau, grand. Fatigué. Puis quelques pas avant de disparaître par l’escalier. Avant de disparaître pour toujours. On m’a cherché, est-ce qu’on m’a cherché ? « Tu viens dire au revoir ?». J’ai rejoint ma chambre. A table, je n’ai pas posé de question. Je n’ai jamais posé la moindre question. Je crois que je ne regrette rien. Mais je lui ai jamais dit au revoir.
Zleilndka Il y a 6 ans

La dernière fois que j’ai vu mon grand-père, j’ai pas voulu lui dire en revoir. Je me rappelle ma mère, elle les appelle. Oui. Oui. D’accord. « On arrive tout de suite », ils ont dû dire, je sais pas moi, je les avais pas au téléphone. Mais je savais, j’avais compris, c’est l’âge où on comprend encore tout. Puis avec le temps, les choses s’accélèrent, les choses nous échappent. Comme quand on met une boîte de conserve sur le tapis roulant à la caisse, si on la suit pas la conserve s’en va. Hop. Donc on la pose sur le tapis, on la suit, on paye, et on se barre avec. Enfin je vais pas tout vous apprendre non plus, à un moment faut tester, la vie. Faut sortir de chez soi.

C’était l’époque où y avait pas internet, les parents l’été emmenaient les enfants voir le monde, la France au moins, la montagne la compagne, ça dépendait du temps et du budget. Je me souviens surtout de parents qui emmenaient leurs gosses voir des trucs, et pas d’enfants plantés dans les pieds des mecs pendant leur congé payé. C’était long neuf heures de bagnole mais bon sang comment t’expliques que j’en garde un si bon souvenir ? Je bouffais des gâteaux apéros me demandez pas pourquoi pendant une bonne partie du trajet à la radio un type du ministère de l’éducation glorifiait les mesures prises contre l’obésité à l’école. A la rentrée, plus de sodas mais des distributeurs de bananes ! J’m’en fous les sodas j’aime pas ça, et les bananes j’aurai pas les sous pour les acheter. Pas concerné. C’était l’époque où les parents l’été emmenaient les enfants voir le monde. Cet été-là nous sommes allés voir mon grand-père mourir.

En fait on pourrait écrire plein de trucs, ou rien, ça serait toujours faux, et même ça ça sonne hyper faux. Rend-on honneur un jour aux gens qu’on a connus, qui nous ont aimé, qu’on a pas vus qu’ils nous ont aimé ? Un animal je vous dis. Cours, cours te cacher, bientôt les blouses blanches seront là et ils l’emmèneront. Il faudra redresser la tête lever les yeux les plonger dans ces yeux qui ont fait leur temps. Est-ce que tu pleureras ? Tu aurais pleuré ? Je regrette rien, ça s’est passé comme ça. Le silence. Je me suis caché un temps puis assis sur le petit mur j’avais le soleil dans la nuque. Sa maison au loin. Ils sont entrés. Aussitôt ressortis, avec lui. Beau, grand. Fatigué. Puis quelques pas avant de disparaître par l’escalier. Avant de disparaître pour toujours. On m’a cherché, est-ce qu’on m’a cherché ? « Tu viens dire au revoir ?».

J’ai rejoint ma chambre. A table, je n’ai pas posé de question. Je n’ai jamais posé la moindre question. Je crois que je ne regrette rien. Mais je lui ai jamais dit au revoir.

[quote="Maitre Kaio"]j'avais jamais pris le temps de venir lire ici. bah c'était pas du temps perdu, ce fut un tres bon moment.[/quote] Je plussoie ce commentaire sobre et formule un Idem
AnonymeIl y a 6 ans

j'avais jamais pris le temps de venir lire ici.

bah c'était pas du temps perdu, ce fut un tres bon moment.


Je plussoie ce commentaire sobre et formule un Idem

J’ai pris mon premier billet pour ailleurs, pour aller voir le monde qui ne m’attendras pas. Pourquoi voudrais-je qu’il m’attende, pourquoi aurais-je besoin qu’il m’attende. Pourquoi aurait-il besoin de m’attendre ? J’ai pris le premier train qui passait par là. Comme on la voit dans les films comme on la lit dans les livres cette frénésie, ce courage qui n’en est pas vraiment un puisque en fait, on peut pas vraiment faire autrement. Un jour on se lève et on sait. On sait que ici maintenant ne convient plus et que le sel n’a plus de sel que le nom. La mer que l’on n’a plus vue depuis si longtemps a le goût de l’amer alors pourquoi on irait pas dans ce train pour autre part vers cette mer, vers l’océan. Vers elle. Maman, j’aurais aimé avoir un peu de courage. Parfois le matin je me lève, il est déjà si tard. Comment pourrais-je espérer me barrer. Y a rien pour moi. Ici. Ailleurs. Nulle part. J’ai déjà fait ce rêve. Elle venait à moi et me disait, viens on se tire, attends, je fais ma valise, on s’en fout de ta valise, là où on va, on n’en pas besoin on aura besoin de rien. Tu y crois ? Au besoin de rien ? Ça sonne doux rien. Ça délivre de tout. J’ai pris mon premier billet pour ailleurs et elle aussi, alors on a pris le train. J’ai tendance à avoir mal au dos, tu le sais bien, quand je reste trop longtemps dans la même position, alors on a choisi pas loin pour commencer, on a choisi un train un peu plus cher un peu plus confortable qui va vite et pas si loin. Pour commencer. On était fous de joie à l’idée de laisser derrière nous tout de s’encombrer de rien on roulait vers l’inaccessible qu’on vivait déjà en fait. Juste rouler c’est déjà être un peu là-bas. On n’a rien mangé le coup-là, le wagon-bar très peu pour nous, ça nous intéressait pas de raquer la blinde pour du décongelé sous cellophane. On s’en foutait en fait. Y avait qu’à voir par les fenêtres les villages qu’on connaissait pas pour avoir un début de rassasiement. Un début de petit goût d’autre part. En fait Maman, la vie, ça tient à peu de choses. Un matin ça va pas alors on prend le train et ça va mieux. Mon pauvre garçon ça se saurait si la vie était simple…
Zleilndka Il y a 5 ans

J’ai pris mon premier billet pour ailleurs, pour aller voir le monde qui ne m’attendras pas. Pourquoi voudrais-je qu’il m’attende, pourquoi aurais-je besoin qu’il m’attende. Pourquoi aurait-il besoin de m’attendre ? J’ai pris le premier train qui passait par là. Comme on la voit dans les films comme on la lit dans les livres cette frénésie, ce courage qui n’en est pas vraiment un puisque en fait, on peut pas vraiment faire autrement. Un jour on se lève et on sait. On sait que ici maintenant ne convient plus et que le sel n’a plus de sel que le nom. La mer que l’on n’a plus vue depuis si longtemps a le goût de l’amer alors pourquoi on irait pas dans ce train pour autre part vers cette mer, vers l’océan. Vers elle.

Maman, j’aurais aimé avoir un peu de courage. Parfois le matin je me lève, il est déjà si tard. Comment pourrais-je espérer me barrer. Y a rien pour moi. Ici. Ailleurs. Nulle part. J’ai déjà fait ce rêve. Elle venait à moi et me disait, viens on se tire, attends, je fais ma valise, on s’en fout de ta valise, là où on va, on n’en pas besoin on aura besoin de rien. Tu y crois ? Au besoin de rien ? Ça sonne doux rien. Ça délivre de tout.

J’ai pris mon premier billet pour ailleurs et elle aussi, alors on a pris le train. J’ai tendance à avoir mal au dos, tu le sais bien, quand je reste trop longtemps dans la même position, alors on a choisi pas loin pour commencer, on a choisi un train un peu plus cher un peu plus confortable qui va vite et pas si loin. Pour commencer. On était fous de joie à l’idée de laisser derrière nous tout de s’encombrer de rien on roulait vers l’inaccessible qu’on vivait déjà en fait. Juste rouler c’est déjà être un peu là-bas.

On n’a rien mangé le coup-là, le wagon-bar très peu pour nous, ça nous intéressait pas de raquer la blinde pour du décongelé sous cellophane. On s’en foutait en fait. Y avait qu’à voir par les fenêtres les villages qu’on connaissait pas pour avoir un début de rassasiement. Un début de petit goût d’autre part.
En fait Maman, la vie, ça tient à peu de choses. Un matin ça va pas alors on prend le train et ça va mieux. Mon pauvre garçon ça se saurait si la vie était simple…

Sur la solitude Y a des jours tu vois la solitude, ça te tente bien tu vois, ça t’apaise, ça te repose ça te réconforte ça te rassure, ça t’accompagne la solitude, parfois. Puis y a des fois la solitude c’est quand tu passes sous une échelle puis tu te ramasses le piano des déménageurs dans la tronche, il t’écrabouille mais tu meurs pas, même pas assommé toujours conscient, conscient que t’as mal t’as putain d’mal, que t’as mal que t’es bloqué, immobilisé, paralysé. Tu hurles pour qu’on t’entende pour qu’on te voie qu’on te vienne en aide, tu hurles tu vomis que t’as mal que t’as putain d’mal mais personne t’entends ou bien ils s’en foutent tous, ils s’en foutent tous ça va chez eux pourquoi s’asseoir et prendre du temps pourquoi essayer de comprendre quand ça va chez eux, et pourquoi tu voudrais qu’on ait envie de te comprendre. Et il y a elles. Elle. Elle pourrait passer, même pas besoin de s’asseoir même pas besoin de discuter pas besoin d’essayer de comprendre, elle pourrait passer et te donner la force juste en te regardant même un petit peu, un coup d’œil et hop elle te donne la force de repousser la piano, de le soulever de le déposer délicatement de dire c’est pas grave aux déménageurs rien de cassé plus de peur que de mal, un coup d’œil et elle te rend bon elle te rend à toi-même, un coup d’œil et la vie reprend. Et même sans ça. Je pourrais rester sous le piano. Y crever seul. Tout seul. De toutes façons j’ai pas la force. Jamais eu la force. Un type viendrait jouerait au piano, mon piano, un air doux un air triste, un air mélancolique, alors je gueulerais j’dirais pas de tristes à mon enterrement, aujourd’hui on célèbre la fin des temps puisqu’on est tous dans la même merde autant en profiter, autant savourer… Tu la ressens comme ça toi aussi, Jean ? La solitude ? « Moi c’est surtout que je suis claqué tout le temps, je sors jamais. J’aimerais bien avoir l’énergie, t’imagines, avec de l’énergie, je pourrais sortir tout le temps hyper tard, je connaitrais plein de monde. Et même sans sortir, si un soir je sors pas je pourrais regarder peut-être un épisode de plus, un ou deux… »
Zleilndka Il y a 5 ans

Sur la solitude

Y a des jours tu vois la solitude, ça te tente bien tu vois, ça t’apaise, ça te repose ça te réconforte ça te rassure, ça t’accompagne la solitude, parfois. Puis y a des fois la solitude c’est quand tu passes sous une échelle puis tu te ramasses le piano des déménageurs dans la tronche, il t’écrabouille mais tu meurs pas, même pas assommé toujours conscient, conscient que t’as mal t’as putain d’mal, que t’as mal que t’es bloqué, immobilisé, paralysé. Tu hurles pour qu’on t’entende pour qu’on te voie qu’on te vienne en aide, tu hurles tu vomis que t’as mal que t’as putain d’mal mais personne t’entends ou bien ils s’en foutent tous, ils s’en foutent tous ça va chez eux pourquoi s’asseoir et prendre du temps pourquoi essayer de comprendre quand ça va chez eux, et pourquoi tu voudrais qu’on ait envie de te comprendre. Et il y a elles. Elle. Elle pourrait passer, même pas besoin de s’asseoir même pas besoin de discuter pas besoin d’essayer de comprendre, elle pourrait passer et te donner la force juste en te regardant même un petit peu, un coup d’œil et hop elle te donne la force de repousser la piano, de le soulever de le déposer délicatement de dire c’est pas grave aux déménageurs rien de cassé plus de peur que de mal, un coup d’œil et elle te rend bon elle te rend à toi-même, un coup d’œil et la vie reprend. Et même sans ça. Je pourrais rester sous le piano. Y crever seul. Tout seul. De toutes façons j’ai pas la force. Jamais eu la force. Un type viendrait jouerait au piano, mon piano, un air doux un air triste, un air mélancolique, alors je gueulerais j’dirais pas de tristes à mon enterrement, aujourd’hui on célèbre la fin des temps puisqu’on est tous dans la même merde autant en profiter, autant savourer… Tu la ressens comme ça toi aussi, Jean ? La solitude ?


« Moi c’est surtout que je suis claqué tout le temps, je sors jamais. J’aimerais bien avoir l’énergie, t’imagines, avec de l’énergie, je pourrais sortir tout le temps hyper tard, je connaitrais plein de monde. Et même sans sortir, si un soir je sors pas je pourrais regarder peut-être un épisode de plus, un ou deux… »