« J’ai le sentiment de fuir quelque chose »

Chanteur culte du rock français, Damien Saez s’apprête à remplir le Zénith et le grand Rex, sans promotion ou presque pour l’album Debbie

« Je n’ai pas le souvenir d’avoir été aussi bien depuis le tout début, il y a huit ans », dit Damien Saez qui s’apprête à remplir deux salles parisiennes, le Zénith et le Grand Rex, sans promotion ou presque. Il faut dire que celui qui passe pour l’enfant terrible du rock français est un homme de scène au charisme exceptionnel. Depuis Jours étranges, son premier album, le chanteur n’a cessé de faire part de ses tourments et de ses révoltes. Puis il y eut God Blesse-Kategena, double album teinté de spleen, de lyrisme et de rock, qui fit de l’interprète de Jeune et con ou J’veux m’en aller, un artiste définitivement à part, décidé à mener sa carrière librement. L’auteur du manifeste « Fils de France » - hymne à la Résistance écrit en réaction au résultat obtenu au premier tour par le candidat d’extrême droite aux élections présidentielles de 2002 - n’a jamais écouté que son instinct. Une attitude qui a fait de lui un chanteur culte en phase avec les inquiétudes des générations actuelles. On l’a dit provocateur et arrogant, Damien Saez est surtout un artiste au très grand talent. À vingt-sept ans, il a récemment sorti son troisième opus, Debbie. Rencontre.

Votre dernier disque n’a pas battu des records de ventes, pourtant vous réussissez à remplir le Zénith et le Grand Rex à Paris. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Je crois que le schéma qui passe par le marketing des maisons de disques, ne correspond pas à ce que je fais et, donc, ne correspond pas aux gens qui viennent me voir sur scène. Mon tourneur, qui produit des tas de groupes anglo-saxons ou français, me dit qu’il n’a jamais vu un tel décalage. Je crois que cela reflète un mode de pensée de mon public, qui supporte mal les campagnes de pub autour d’un artiste. C’est générationnel. De la part des maisons de disques, c’est réellement une incompréhension envers ce qu’est avoir des opinions, ne pas faire de concession, de la part d’un artiste qui ne souhaite pas faire telle radio ou télé. Ce n’est pas de la complainte de ma part, c’est un constat : on fait de la promo pour avoir le maximum de chances de faire de monde. Ce système ne me convient pas. C’est pour cela qu’à l’avenir, je vais plus faire un album sur scène plutôt que l’enregistrer en studio et enchaîner par la tournée. J’aimerais inverser les choses, revenir à ce qu’était le métier au moment de Brassens où on chantait d’abord sur scène ses nouvelles chansons et on les enregistrait après.

Vous pensez qu’artistiquement on y gagnerait en authenticité ?

Cela permettrait de revenir à ce qu’est la réalité de l’écriture des chansons que l’on va interpréter. Un troubadour qui livre sa peinture sociale ou affective directement, sans passer par des intermédiaires.

Qui est Debbie cette femme qui « danse nue dans les bars » ?

Une fille de la nuit qui se déshabille et danse. J’avais envie de décrire cette rencontre. Auparavant, j’étais dans quelque chose de lyrique et généraliste où je disais facilement « nous ». Là, j’ai ressenti le besoin d’écrire des textes en utilisant « je » ou « tu » et de faire intervenir des personnages et des prénoms dans un décor plus clair, sans détour.

Sur scène, vous êtes très expressif. Quelle idée vous faites-vous du métier de chanteur ?

C’est bizarre. Parfois, j’ai l’impression que les gens paient pour venir voir la souffrance, étant donné que je n’ai pas vraiment de chansons gaies. Certains soirs, je me sens en décalage. Il y a un côté psychanalyse au quotidien, même si un concert cela reste une vraie transe faite d’une communion. Il y a un partage et du voyeurisme. C’est un rapport un peu pervers.

Que répondez-vous à ceux qui vous trouvent arrogant...

Je ne pense pas l’être. Quand je suis arrivé dans ce métier, je lui ai fait comprendre que je ne faisais par partie de sa famille et que je n’en ferai jamais partie. C’était déjà renier des fonctions et notamment les fonctions médiatiques. J’ai besoin de la vraie vie. Il n’y a quelle qui est intéressante. Le reste ne nourrit pas intellectuellement. Remplir, comme Hubert-Félix Thiéfaine, un Bercy, sans avoir la promotion d’une seule radio, je signe tout de suite. On ne doit pas être dépendant d’un réseau câblé ou d’un opérateur radio. Sinon, on est quoi ? On écrit des mots, des sentiments. Cela n’a rien à avoir avec un jingle.

On vous sent un peu rebelle...

Quelqu’un qui ne dit pas comme tout le monde, d’un seul coup, c’est de la rébellion. Je crois que c’est surtout être soi. Si cela veut dire choisir certains sentiers aux autoroutes, alors je préfère être comme cela. Préférer ne pas vendre de disques forcément, et ne pas faire la pute, ce n’est pas être rebelle. C’est vouloir exister en faisant des choix. La réponse de la scène montre qu’il y a des gens qui adhèrent à une façon de penser.

Quelle lecture faites-vous de la chanson Marie ou Marilyn qui pose cette question « quel est le chemin ? la vierge ou la putain ? »

La réponse dit : « peu m’importe ton nom, du moment qu’il y a la passion ». C’est un hymne à la chair et donc un hymne à la vie de part son style charnel.

Comment expliquez-vous que la mort revienne sans cesse dans vos textes ?

L’angoisse, angoisse également de perdre l’autre. Ce n’est pas une fascination dans le sens où je ne suis pas quelqu’un de suicidaire. J’aime trop la vie. C’est un cliché, mais c’est dans le noir que l’on aperçoit la lumière, que l’on entrevoit la force et la beauté des choses. J’ai toujours eu ce truc de course par rapport au temps. C’est pour cela que j’ai sorti mon premier album jeune. Pour aller vite, ne pas rester dans l’inactivité. J’ai très tôt eu le sentiment de fuir quelque chose. Mais si on écoute mes chansons, on part toujours de quelque part pour aller là-bas. Dans Autour de moi les fous, il y a Martin et Lisa qui disent : « dire qu’on avait des rêves, rappelle-toi ». Et dans Tu y crois, je chante « Il doit y avoir autre chose ». Il y a toujours une lueur d’espoir.

Il va y avoir le Zénith, le Grand Rex...

On va présenter une formule rock avec cinq musiciens. Ensuite j’enchaîne par quatre-vingts dates tout seul, avec guitare et piano à partir d’octobre. C’est une mise en danger nécessaire. J’ai vraiment envie d’aller à la rencontre la plus épurée de ce quinterpréter des chansons. Des accords de musiques, une voix, seul au milieu des gens. Voir ce que l’on est capable de donner sans artifices. C’est la seule façon d’exister réellement.

Victor Hache