Un mois avant son retour sur scène, fixé au 1er mars, Rock Mag retrouve Saez au Pink Paradise pour « définir les possibles » de sa tournée à venir.

On était à l'instant au Pink Paradise pour les photos, parce que ton album s'appelle « Debbie » en référence à une strip-teaseuse canadienne. Tu te sens bien dans un lieu comme celui-là ?

Comme dans « Twin Peaks »... C'est-à-dire glauque mais bien. C'est sympa quand il n'y a pas beaucoup de monde, mais il y a forcément un côté bizarre parce que les filles dansent toutes seules. C'est un peu dark. Ça me fait aussi penser à un film de Cronenberg qui s'appelle « Exotica » et qui est sur une boite de strip justement.

Tu peux nous en dire plus sur la Debbie qui donne son nom à l'album ?

C'est une nana que j'ai rencontrée à Paris, on a parlé un peu et puis voilà. C'était assez éphémère comme truc et c'est pour ça que la chanson n'est pas vraiment sur elle. T'as juste cette phrase : « Elle danse toute nue dans les bars. » Je trouvais ça pas mal de donner ce nom à l'album parce qu'en fait c'est un trait sur la toile. C'est pas quelqu'un que je connais vraiment, c'est pas approfondi. C'est comme si tu donnais à ton film le nom d'un personnage que tu vois juste 2 secondes. Il passe au restaurant, il dit son nom, il salue l'acteur principal et il s'en va...

La tournée va commencer le 1er mars. Tu es dans quel état d'esprit avant de retourner sur scène ?

J'y pense pas trop, je me dis seulement que c'est cool parce que ça marche pas mal. Il y aura du monde dans les salles, le Zénith de Paris risque d'être plein longtemps à l'avance. C'est vachement bien.

Les répétitions ont commencé ?

On les commence le 7 février. Quand on avait fait 5 chansons pour Canal+, on en avait répété 6 ou 7 qui sont donc plus ou moins prêtes déjà/ On a donc fait que ça pour le moment, mais maintenant, comme tout le monde a joué sur le disque, ça va aller assez vite.

Vous répétez l'ensemble des morceaux des 3 albums ou vous vous fixez d'entrée de jeu sur une set list pré-établie ?

Généralement, j'arrive avec une base et puis après on choisit aussi par rapport à comment ça sonne un peu dans l'ensemble. Pour cette tournée, j'ai envie d'un voyage, j'ai vraiment envie d'avoir un truc hyper cohérent. Même si ça passe d'un extrême à l'autre, on n'essaiera plus d'amener les gens de l'un à l'autre. On passera pas du vert fluo au rouge sans comme je pouvais le faire avant.

A propos du live, tu as dit dans une interview pour France 3 : il y a viol... pour moi. C'est à ce point-là ?

Ouais, parce que c'est rouvrir ses plaies. Moi, c'est vraiment le truc qui m'a le plus perturbé. Pour les concerts, moi je donne selon mon humeur et il y a des soirs où t'es pas tout le temps dépressif, tu penses pas non plus tout le temps à la mort même si t'y penses souvent... Et ce qui est difficile, c'est de te dire que tous les soirs ça va te remettre dans la psychanalyse que t'as faite. C'est comme si écrire, c'est un exutoire. Et l'avantage avec ça, c'est qu'une fois que c'est sorti, c'est bon, tu te sens mieux. Et la scène, ça te fait le ressortir, le revivre soir après soir, et ça c'est pas évident. Et puis il y a le fait que de te voir souffrir, ça donne du plaisir aux gens, c'est un peu che-lou... Après, l'avantage aussi, est c'est pour ça que ça marche, c'est que eux te donnent aussi en retour et ça fait que tu vas mieux. C'est un peu compliqué, dans ma tête, il y a des moments où ce n'est pas... Ouais, c'est un peu che-lou.

Ça t'es arrivé d'annuler un concert par rapport à ce malaise, par pure angoisse du live ?

Oui, ça m'est arrivé, mais pas par pure angoisse, tout simplement parce que je ne pouvais plus. Et ça m'est aussi arrivé de vraiment rater un concert par rapport à ça, ouais. De jouer une heure et de me casser parce que c'est tout simplement pas possible !

« Tu y crois » a été écrit par Pierre Cholbi, c'est qui ?

Un ami... J'ai lu ce texte et je me suis dit : putain, c'est vachement bien. Cette chanson, je pense que si tu ne sais pas que c'est quelqu'un d'autre, tu peux croire à l'écoute qu'elle est de moi. C'est aussi pour ça que je trouvais ça super, ça partageait les mêmes univers. Ç'a été uen bonne rencontre littéraire, entre guillemets.

C'est plus confortable du coup de chanter des chansons qui ne sont pas de toi ?

Non, parce que celle-là, j'ai l'impression qu'elle m'appartient. Enfin, c'est très bizarre et c'est pour ça que je l'ai prise ! D'une manière générale, ce n'est pas vraiment dans ma nature de chanter les textes des autres... J'aime écrire.

Tu as quand même pas mal fait de reprises en live jusque là...

Oui, mais la reprise, c'est encore autre chose. Tu ne te l'appropries pas. Là, ce qui est chouette, c'est le côté : je suis autour d'un feu de camp. Pour moi, la reprise c'est ça.

Et là, sur scène du coup, c'est donc beaucoup plus simple à interpréter ?

Carrément. Une chanson que tu as écouté toute ta jeunesse, quand tu la reprends ça te fait plaisir de la chanter. Ça plaît aux gens aussi, c'est un moment particulier.

Tu as prévu des reprises pour cette tournée ?

Oui, je pense, mais faites de manière plus sérieuse que ce que j'ai pu faire, genre je me fous de la gueule de Kylie Minogue ou de Céline Dion.

Ça, il n'y aura pas ?

Si, peut-être, mais il n'y aura pas que ça. Parce que là, dernièrement, il y avait surtout des reprises dans cet esprit-là. Cette fois-ci, je sais pas même s'il y a deux-trois chansons de Radiohead que j'aimerais bien faire... Maintenant, une reprise, il faut la faire quand on la sent.

Après des trucs comme « High And Dry » ou « Fake Plastic Tree », ça pourrait être cette fois une reprise tirée de « Kid A » ou d'« Amnesiac » par exemple ?

Non, même s'il y a « Pyramid Song » qui est vraiment belle ey qui pourrait être bien revisitée. Mais non, moi, vraiment, j'adore « The Bends ». C'est vraiment frais comme album. C'est pur, les orchestrations sont super simples alors que les arrangements sont quand même complexes et, au final, ça ne sonne pas compliqué. Je pense que c'est un album folk énorme, comme rarement il y en a eu. Tu prends ta gratte et tu vois que la chanson, elle est là !

Et, à part Radiohead, il y a encore d'autres choses que tu aimerais reprendre ?

Ce que j'aimerais, en fait, ce serait de se dire tel soir on va faire ci, tel autre soir on va faire ça, etc. Faire une chanson des Ramones, puis le lendemain une de Ferré, le surlendemain les Pixies ou les Pistols. Jouer des titres selon le mood, selon si on se sent posé ou si on a envie de lâcher un quart d'heure punk.

Il y aura des titres inédits aussi, comme « A bout de souffle » joué sur la dernière tournée ?

« A bout de souffle », je vais continuer à la jouer, ouais. « Défoncé, défonce-moi » aussi. Parce que j'ai envie que ça soit des chansons que les gens finissent par connaître vraiment. Que ce soit des chansons qui vivent, mais sans le support. Là-dessus, d'ailleurs, je me pose des questions un peu... Le disque, j'y crois plus.

Et ça serait quoi pour toi l'avenir ?

Je ne sais pas, mais c'est pour ça que le concert c'est quand même aujourd'hui la seule chose qui reste. Quand tu vois qu'on va faire entre 7000 et 8000 personnes à Bruxelles alors qu'on a vendu 200 disques en Belgique, forcément c'est qu'il y a un truc. Maintenant, je ne me prends pas non plus la tête sur les téléchargements et tout ça... Reste que je crois que le format CD avec son petit livret, il est mort, enterré ! Et si le seul truc, c'est de livrer un DVD, c'est pareil, je vois pas l'intérêt. A la limite, tu vas le faire une fois, mais l'album d'après tu vas faire quoi, tu vas refilmer un autre concert ? C'est une alternative qui est... Les gens ont qu'à y venir, aux concerts ! En DVD, qu'est-ce que tu leur donnes de plus ? Ah, c'est clair, si tu te prends la tête à faire un vrai DVDn créer un univers d'images – sans que ce soit forcément aussi chiadé – mais un truc à la « The Wall »... Ah bah, là ouais, là, d'un seul coup, ouais ! Mais l'investissement, c'est pas le même. Là, il faut mettre les couilles sur la table. Maintenant je ne trouve pas la situation totalement normale pour autant, même si le disque, c'est comme c'est et que ça ne m'empêche pas de dormir non plus.

La dernière fois, tu nous as dit que tu avais déjà entamé la composition d'un nouvele album. Tu en es où exactement ?

J'ai plein de morceaux. Là, je fais un peu tout en même temps, mais le truc que je fais le plus c'est quand même les chansons, très clairement. Je suis à fond dedans. Et je pense même qu'il y aura des nouveaux titres joués sur scène pour cette tournée. J'aimerais bien qu'il y en ait en tout cas. Par rapport à ce que je disais, les chansons doivent vivre et c'est bien d'être dans l'instant, parce que tu écris à un certain moment, tu n'écris pas ce que tu vas chanter dans 3 ans. C'est comme une discussion avec un pote, pour moi, c'est ça une chanson. Si tu as une discussion avec un pote et que tu la fais découvrir aux gens 3 ans après, c'est un peu relou. C'est même carrément chiant ! Donc ouais, je suis plutôt partisan d'en jouer pas mal là.

Tu peux nous donner les titres qu'on risquera de découvrir ?

Le truc, c'est que je ne sais pas si les titres vont rester avec ces noms-là, mais bon il y en une qui devrait s'appeler « Je suis un étranger » ou « L'étranger », je l'aime vraiment bien. Il y en a une autre aussi... Comment elle s'appelle déjà ?... Ça doit être « Des foudres dans les cieux ».

La vie en tournée avec le groupe, c'est plus une tribu ou chacun de son côté ?

C'est plutôt tribu et c'est ça qui est bon. Si t'enlèves ça, ça devient un truc de fonctionnaire. Ça, ça rassure quand même et c'est même un besoin. Moi, perso, du fait de chanter, je me retrouve un peu en avant, donc c'est agréable d'être soutenu après, de sentir une présence. Tu te sens moins seul. Quand tu te retrouves seul après un concert – comme ça peut l'être sur les dates à Paris où tout le monde rentre chez soi après – là tu prends une bonne claque ! Tu sors du concert, d'une effervescence, d'un truc de communion, d'une transe et puis tu rentres tout seul chez toi, t'as une bonne redescente quoi !... A moins que tu te blindes la tête et que tu rentres chez toi à quatre pattes. (rires)

Ça t'es arrivé ?

Ouais, ça je l'ai quand même bien fait, de rentrer comme ça... Mais ouais, définitivement, les autres sont vraiment importants. Puis là, je suis content parce que le fait qu'on soit moitié anglais, moitié français, c'est agréable. Les Anglais (Pat West et James Eller, Ndlr) par rapport à ça, ils prennent un peu de distance, ils ne se prennent pas trop au sérieux. Ils sont bien second degré les British et c'est pas mal ! Comme c'est pas très ludique ce que je fais, ça en ramène une touche, et c'est ce qu'il faut, parce qu'on est aussi là pour prendre du plaisir !

Qui est pour toi la bête de scène absolue ?

Brel. D'ailleurs, on voit toujours des images de lui en live en train de suer de partout. Jagger aussi, ç'en est une, c'est clair. Pourtant, je n'ai jamais été fan des Stones. Il y a des trucs que j'adore, mais je ne connais pas tous les albums. En bête de scène, il y a Plant aussi. Plant et Page, ouais.

Le meilleur concert que tu as vu ?

Les Beastie Boys ! Des bêtes de scène aussi pour le coup. Là, je crois que c'était le concert le plus punk que j'ai vu. C'était à Bercy. Vraiment, c'était la claque de A à Z. pas une seconde de répit sur scène, les mecs enchaînent dans tous les sens. Ils partent dans le hip-hop, puis prennent la gratte, c'est que de l'enchaînement.

Le meilleur concert que tu as fait ?

Je peux pas dire. J'ai des souvenirs comme la première Cigale. Je sais que c'était mortel mais je ne sais pas si le concert était bon. Je sais juste que c'était super en terme de communion. Il se passait quelque chose. Puis c'était la première fois aussi où il y avait ce truc à la fin du « God Bless America ». « Inch Allah » repris en chœur. Ça s'est fait tout seul, donc c'était particulièrement fort parce que c'était pas un gimmick ! Par rapport à ça, c'était un des meilleurs concerts. Dans le genre, il y a aussi le dernier concert de la dernière tournée à Bruxelles, à l'Ancienne Belgique. C'était vraiment mortel. La set list était terrible. Je me souviens du début, on avait commencé par « A bout de souffle » et les phrases du début c'est « Définir les possibles pour défier l'impossible », et le fait d'être face à eux, pour moi ça avait vraiment un sens en fait. Et puis, tu vois, on commence par « A bout de souffle », c'est la fin de ta tournée... Il y avait un truc ! En plus, dans la salle, tu as des balcons immenses, c'est un peu type Cigale sauf que c'est plus urbain, c'est métallique... Ouais, c'était vraiment mortel quoi !

Saez en 6 lieux

« Debbie » étant l'album du voyage, des rencontres et de la nuit, voici les endroits, entre Dijon et Paris, où Damien aime se retrouver.

Dans quel genre de lieu aimes-tu sortir d'une manière générale ?

Je suis plutôt troquet, le côté petit bar sympa où tu vois tes potes. A Dijon, il y a L'Atmosphère qui est une salle de billard. J'aime bien le côté ludique, mais c'est plus pour boire que pour jouer. A la limite, je suis plus fléchettes ! Comme bar, il y a L'Entracte aussi, où on se retrouve entre potes. A Paris, il y a Le Café Chérie, au début de la rue Belleville, un bar assez sympa avec une grande terrasse. A un moment, on répétait près du Café Charbon à Oberkampf, donc on a un peu traîné là. Sinon, il y a le Zebra Square en face de la Maison de la Radio. Une espèce de boite, mais pas vraiment. C'est un peu lounge, classe. Chaque fois que j'y vais, c'est un peu vide, mais j'aime bien les trucs vides, moi ! La dernière fois que j'y suis allé, ils ont passé du club, que des trucs reggae un peu dark et c'était plutôt sympa.

Et pour la nuit ? Boites, clubs de strip ?

Les boites de strip, c'est des trucs où j'ai beaucoup traîné au moment de l'écriture de l'album. Là, ça va être le Pink Paradise, le Hustler Club, tout ça. C'est simple, pendant l'écriture, tu prends toutes les boites de strip... On a tout fait, on est allés que là-bas ! Maintenant j'y passe pas ma vie, mais c'est toujours mieux que les boites, c'est plus agréable, la musique est moins forte, tu peux parler. Tu ne peux pas forcément danser, mais bon, ça c'est pas trop mon délire ! Après, en général, j'aime bien les endroits glauques, mais les boites de nuit, par contre, je peux pas, là je suffoque.

2 livres, 1 film

Alors que le livre « Autour de Debbie » - une mise en perspective des textes de l'album, publiée par Actes Sud – devrait sortir durant la tournée, Saez multiplie encore les projets avec la préparation d'un film « sur le thème de la route, de la quête, une relation un peu à la « Jules et Jim » », dont le tournage a débuté fin janvier à New York. A la question de savoir si ce long métrage sortira en salles, Damien répond en laissant planer le doute : « On commence, donc je ne sais pas. Je pourrais aussi ne le sortir qu'en DVD au lieu de sortir un live ! » Son premier roman, enfin, est toujours en préparation : « Là, je suis à fond, ça avance. C'est plus moi, plus autobiographique, dans le sens où c'est basé sur du réel. C'est un peu toujours mes mêmes questionnements : où on va, où tout ça va ? Est-ce la fin du règne de l'Occident ? Est-ce que ça ne l'est pas ? La Chine... Est-ce qu'on parlera tous chinois dans 50 ans ? »