Quelle perspective pour le rock et la chanson en France à l'heure où multinationales et médias continuent à faire la pluie et le beau temps.

Globalement, et le raccourci semble finalement bien rapide, la critique s'est appliquée à dresser une liste d'héritiers de Noir Désir... La plus belle histoire survenue au rock français parce que ce groupe, dès son apparition au grand jour en 1987, n'a cessé de défricher des terrains vierges, d'avancer tant dans l'expérience musicale que l'expression verbale. « Veuillez rendre l'âme » et « Du ciment sous les plaines » n'étaient pas, loin s'en faut, des disques faciles d'accès et, pourtant, ils ont connu d'entrée une belle adhésion. La montée en puissance s'est poursuivie jusqu'à 2001 et la vente à un million d'exemplaires de « Des visages des figures » dont la dominante, une fois de plus, constitue une rupture non négligeable avec les précédentes réalisations. Depuis l'arrivée en lice de « Noir Dès' », le rock français, enfin décomplexé, n'a plus été le même. La tragédie de Vilnius n'a pas mis un terme à cette relation privilégiée avec un public averti. Les ventes record du DVD de l'ultime tournée, récompensé par une Victoire, l'attestent. Pour les spécialistes, des formations comme No one is innocent, Mass Hysteria, Lofofora sont issus de ce courant novateur.

Saez

Ils ne sont pas les seuls. De jeunes artistes appartiennent également à cette catégorie désormais vaste puisqu'à travers eux, elle s'étend désormais d'un rock authentique à la pure variété. Parmi cette « nouvelle école » d'ailleurs, rien n'est simple. Comme jadis, la littérature avait connu « la querelle des anciens et des modernes ». Parmi ces derniers qu'on s'écorne joyeusement aujourd'hui.

1999, un compositeur fait une apparition remarquée. Son CD « Jours étranges » dégage une indéniable puissance. En douze titres, il laisse à voir ce qu'il est, adepte d'un rock radical, mais aussi capable de tirer son répertoire vers le classique. Sa voix également étonne, en rébellion jusqu'à la plainte. L'impact est énorme auprès d'un public averti. Malicieusement, à ceux qui tracent un parallèle avec Noir Désir, il répond : « Je ne les connais pas ». Deux ans avant le coup d'éclat de Cantat aux Victoires de la Musique avec sa diatribe à destination de « Monsieur Messier » alors tout puissant patron d'Universal, Saez bouscule la France avec une interprétation « provoc » de son titre emblématique « Jeune et con » devant un parterre de notables médusés. La télévision constituait le moyen idéal pour faire savoir à la France qui il était, le message est passé. Dans les semaines qui suivent, les ventes de son album connaissent une courbe ascendante jusqu'à atteindre les 300.000 exemplaires. Sa réalisation suivante « God blesse » le révèle en permanente recherche. Double, il se partage entre une dominante rock et une autre où cet ancien du conservatoire cultive la « belle musique ». Suivra « Debbie », retour au « tout électrique » avec une expression verbale devenue plus directe et d'autant plus efficace.

Et Raphaël

Pour arriver à la gloire, Raphaël a bénéficié de solides soutiens. Son grand frère Jean-Louis Aubert l'a adoubé en chantant avec lui « Sur la route », premier d'une série de tubes dont cette incontournable « Caravane » qui a fait de lui un personnage de premier plan. Voix (naturelle ? ), dominante mélodique même si, au final, l'écriture musicale diffère, tout pousse à une comparaison avec Saez qui se contente d'en sourire sans autre commentaire. Raphaël, au contraire, s'est exprimé sur le sujet comme le rappelle Ludovic Perrin dans son ouvrage « Une nouvelle chanson française » (Editions Hors Collection). L'auteur cite un extrait d'interview à « Campus Mag » à propos de « Fils de France » écrite dans la nuit qui a suivi le maintien de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle 2002 : « Je trouve que c'est démago d'exploiter l'occasion pour faire une chanson. C'est essayer de faire un peu d'argent sur de la détresse ». Le titre, en fait, n'a jamais été enregistré, donc commercialisé. Il était téléchargeable gratuitement comme les concerts de Saez. La guerre est déclarée. Elle passe par la scène où Raphaël, il l'a encore montré samedi dernier au festival de Bulligny, ne tient pas longtemps la comparaison. D'autres, dont Kyo et son médiatique « Chemin » en tête, se sont engouffrés dans la brèche ouverte sans vraiment laisser trop de traces.

Jean-Paul GERMONVILLE