Les artistes dénoncent une manœuvre électoraliste. Les droits seront redistribués aux plus illustrés.

« Et si les artistes faisaient la grève ? Au bout d'un certain temps, les gens devraient se lasser d'écouter leurs vieilleries ! La piraterie, consensus social ? C'est de toute façon la mort d'une certaine forme de culture. Pour moi, le mot graveur vient de l'anglais « grave » : la tombe, le tombeau. » Quand Hubert-Félix Thiéfaine pique ce coup de colère, son album live au Bataclan, enregistrement de sa dernière tournée avec groupe, pâtit sérieusement des pratiques générées par la nuovelle technologie. Il est suffisamment remonté pour penser alors ne plus enregistrer. De fait, quatre années pleines se sont écoulées avant la réalisation de « Scandale mélancolique ». Thiéfaine ironise : « J'ai bien songé bloquer l'A36 tout seul avec une banderole mais ils n'en ont rien à cirer les consciencieux consommateurs d'une manif de chanteur ».

Ultralibéralisme pour altermondialistes

Quand le 21 décembre dernier, un amendement a autorisé la « licence globale », la « profession » s'était déjà largement mobilisée contre le téléchargement sauvage. A chacun de ses concerts, Eddy Mitchell montait au créneau. Aujourd'hui, il demande que les employés de l'Etat ne soient plus rémunérés et même la démission des députés. La levée des boucliers est quasi générale contre une décision bassement électoraliste : les internautes représenteraient un potentiel de dix millions de voix. Depuis la décision du parlement, une pétition circule qui devrait être remise aux députés le 25 janvier et, espèrent les initiateurs, peser sur les débats à venir. Thiéfaine, comme les autres, s'zst empressé de la signer. Dans son entourage, on dénonce le coup fixé entre 2 et 6,90 € pour pouvoir télécharger une œuvre quelle qu'elle soit et la diffuser dans une totale légalité. Dérisoires les droits, comme le pratiquent les sociétés d'auteurs, seront, qui plus est, redistribués aux plus illustres. Un mauvais coup supplémentaire porté aux indépendants. Les interventions se multiplient, toutes contre. Carla Bruni parle d'un pillage légalisé. Bénabar évoque un ultralibéralisme tourné vers les altermondialistes. Un autre s'interroge sur la réaction de son boulanger s'il prenait son pain sans le payer.

A l'unanimité, également, les artistes voient dans ce procédé un glissement des œuvres vers la médiocrité. Tiken Jah Fakoly, grand nom du reggae africain, revient sur les ravages du piratage imposé par une situation économique catastrophique sur son continent. Il souhaite que la France ne devienne pas, exception européenne, un autre lieu d'une telle pratique pour que les chansons continuent à vivre hors de la banalité.

Impossible de faire l'impasse sur le cas Saez. Lors de son tour acoustique, il expliquait les déboires avec ses labels successifs et louait le net. Il regrettait simplement devoir se prostituer pour les prestataires de service du net, après l'avoir fait pour les multinationales du disque.

« Il n'y a plus d'intermédiaire entre vous et moi, de promo, d'hyper à convaincre d'accepter le disque dans ses rayons... C'est ça la liberté ! » C'était avant l'acceptation du dit « peer to peer ».

Jean-Pierre GERMONVILLE