"J'écris 400 textes par an. C'est mon moteur"

"Nous parlions de plainte, de pathos tout à l'heure... là on est en plein dedans." A la terrasse d'un café de la place Saint-André-des-Arts, à Paris, en fin de journée, mercredi 16 juillet, l'une des mélodies écrites par Nino Rota pour le film Le Parrain se fait entendre. Ces mots de pathos, de grandiloquence, d'emphase, Damien Saez les a lus et entendus souvent à son propos depuis la parution de son premier album, Jours étranges (plus de 200 000 exemplaires vendus en 2000). Pour cette fébrilité hallucinée dans laquelle il peut plonger, cette plainte vocale justement qui affleure par endroits, les mots qui se bousculent dans un envol lyrique. Avec le renvoi d'une image de romantisme sombre.

"Je n'ai pas de problème avec ça. Je peux comprendre que mes textes ne plaisent pas, que ma manière de chanter soit prise comme un défaut, qu'elle énerve. Mais c'est ma vérité. Sur scène je ne peux pas tricher. C'est un abandon, une quête."

Dans l'urgence rock autant que le dépouillement acoustique, on croit le chanteur, auteur compositeur, pianiste et guitariste, sûr de lui. Il évoque des crises d'angoisse, d'agoraphobie. Paradoxe pour celui qui doit être dans la confrontation au public. Un acte souvent présenté comme générateur d'énergie. Pas pour lui. Alors il fait avec. "Depuis le début, tout ça, la musique, l'écriture, la scène, je savais que c'était ma vie. Chaque concert, chaque nouvelle chanson, chaque disque est une avancée, une raison de mettre la barre plus haut."

Né à Saint-Jean-de-Maurienne, en 1977, enfant du sud, son père est espagnol, sa mère d'origine algérienne, Damien Saez a connu le succès dès son premier disque. Depuis il y en a eu trois, tous différents dans l'orchestration, le propos. "Refaire à la demande ne m'intéresse pas. Ecrire pour satisfaire les attentes des fans non plus. Un artiste agit pour lui. Sinon c'est de la démagogie. C'est mon égoïsme qui me fait faire les choses."

Posé sur la table, Varsovie-L'Alhambra-Paris, quatrième album, paru il y a quelques semaines, avec lequel il est en minitournée jusqu'à fin juillet. Avec lui, deux guitaristes, un trio de cordes pour certaines chansons. La plupart seront interprétées seul. Ce nouveau disque est un triple CD de vingt-neuf chansons sur les quarante-cinq qui sont venues d'un jet, écrites en une quinzaine de jours, enregistrées en quelques heures, posées au final quasiment telles quelles.

"Ma vie ? Celle d'un poète"

"Dans l'ensemble ça parle de séparation, de rupture. A nu, avec mes sensations. Et puis des visions par exemple de gens dans la prière en Pologne, mes racines du sud aussi, des références à des artistes qui sont en moi." Lors du premier concert, aux Bouffes-du-Nord, le 25 juin, l'idée était de refaire les trois parties, avec deux entractes. "Ça ne fonctionnait pas. Je me sentais mal à l'aise à revivre ce déversoir, ça faisait acteur, faux. Depuis on a tout changé."

Au-delà de ces lettres intimes, il y a dans ces enregistrements un hommage à une écriture, une époque, celle des chansons de Brassens, Brel, Barbara, Ferré. Des "pères spirituels" discernables par petites touches sur des enregistrements précédents. On lâche le mot de poésie. "En toute humilité, à un moment j'ai senti que ma vie ce serait celle du poète. Faire évoluer la métrique des mots. Cela passe par la chanson, cela peut aussi être par le livre. J'écris quatre cents textes par an. C'est mon moteur."

Dans l'équilibre entre atteindre le "summum du texte sublime" et un goût pour la chanson simple. "Comment être magique sans que l'on sente le travail. Dans la pop il y a ce fantasme de la chanson suprême, évidente." Il l'a atteint ? "C'est difficile de voir ça sur soi." Il cite deux-trois titres : "Marie ou Marilyn, Usé... peut être." Bientôt, il y aura deux nouveaux disques. Rock, l'un en français, l'un en anglais. D'autres pistes, pour surprendre, se surprendre.

Sylvain Siclier