Le temps où Damien Saez criait qu’on est jeune et con paraît bien lointain, à peine neuf ans pour être précis. Depuis l’artiste a grandi et il sort son quatrième album, garni de trois disques : Varsovie, L’Alhambra et Paris. Le provocateur torturé, trente ans seulement cette année, risque de surprendre une fois encore. Attendu depuis des mois, ce nouvel opus dépasse les espérances mais peut décevoir certains fans. Les quelques extraits diffusés sur le net, via des sites officiels et des MySpace, sont d’ors et déjà des futurs classiques. Notamment Jeunesse lève-toi, qui appelle les générations d’étudiants à se bouger. Un thème cher à l’auteur qui l’avait déjà illustré dans ses précédents albums.

Le dandy révolté a commencé le piano à 9 ans, au conservatoire de Dijon, il en ressortira une décennie plus tard, diplôme en poche. Damien Saez s’essaie alors à la guitare, compose et tente le tout pour le tout en partant à Paris. Trois printemps s’écoulent et, en octobre 1999, son premier album, Jours étranges, sort dans les bacs. Mélange de sons bruts et obtus (Sauver cette étoile, Amandine II, Rock’n'roll Star) ou de mélodies nostalgiques (Montée là-haut, Petit Prince). Il se vend à plus de 200 000 exemplaires, devient une référence majeure dans la musique française et révèle un nouvel artiste, engagé et sale gosse, devenu l’icône du rock de ce nouveau millénaire. Damien Saez, romantique hanté par la mort, incarne bientôt le portrait craché d’une jeunesse perdue qu’elle adule et qu’il nourrit de rêves et d’espoir.

En 2001, l’auteur publie À ton nom, recueil de textes, nouvelles ou chansons gravitant autour de l’amour, la mort et la religion. Certains seront mis en musique pour l’album God Blesse, sorti quelques mois plus tard. Le chanteur aurait pu s’enfermer dans une bulle commerciale et a choisi d’illustrer son second opus par deux CD, composés essentiellement d’instrumentales au piano et de chansons qui feront mouche, telles que Sexe, So Gorgeous ou J’veux qu’on baise sur ma tombe… Toujours provocateur, un tantinet libertin, révolté, Saez vend et remplit les salles de concert. Entre temps l’homme publie sur le net Katagena et Fils de France. Katagena offre une heure de musique sans prétention, « juste pour le plaisir », disponible gratuitement. Fils de France, créé en dix heures après l’annonce de la qualification de Le Pen pour le second tour des présidentielles, est une fois encore un cri de révolte. Août 2004, les fans découvrent Debbie, nouvel album de Saez, aux sonorités plus rock, toujours sombre mais l’ensemble se révèle moins captivant que ses prédécesseurs. Toutefois Céleste et Marie ou Marilyn resteront longtemps dans les mémoires des fans.

Quatre ans plus tard, de nouvelles chansons sont en ligne, le public jubile : Numb, Jessie, Killing the Lumbs, Yellow Tricycle, Jeunesse lève-toi… Les rumeurs circulent rapidement. Plus de trente morceaux répartis comme un voyage sur trois albums. Un peu moins disent certains. Tous en acoustique stipule-t-on sur le site de la Fnac. Chantés uniquement en anglais affirment d’autres.

Les réponses nous ont été données il y a deux semaines. Ce sont bel et bien vingt-sept chansons acoustiques françaises qui envoûtent l’auditeur. Les paroles sont comme toujours soignées mais ici elles passent avant tout. La musique, très minimaliste, ne sert qu’à accompagner le spleen de Damien et se résume essentiellement à une voix et deux guitares répétant les mêmes accords, inlassablement.

Car son ennui, sa tristesse et sa vie, il la raconte avec brio, sincérité et émotion. On pense très vite à un mix entre Brel et Baudelaire. Tout commence avec Varsovie et dans la capitale éponyme. Le chanteur clame sa tristesse, Que tout est noir, devient le refrain emblématique de ce CD mais aussi de l’ensemble des disques. Car oui, tout est noir dans son monde, et l’homme torturé doit cracher son dégoût, il vomit véritablement sa plume, au sommet de son art, en la croisant mélancoliquement avec des petits sons simplets mais tristement efficaces. Nul doute que sa vie privée est impliquée dans les morceaux. Rupture et dégoût au premier plan. Toutefois, quelques gouttes d’espoir subsistent, S’en aller, hymne à l’indépendance, l’amour et la liberté, offre un léger sourire face à la société, à laquelle s’affronte, seul, un chanteur paumé qui prend la fuite à cause/grâce à l’Amour. On a pas la thune rejoint cet esprit : « On a pas la thune mais l’espoir, pas le blé mais l’envie […] y’a les cons au pouvoirs, où tout ça nous mènera ? ».

On peut stigmatiser la thématique trop oppressante sur ce triple album, les dépressifs apprécieront, les autres, peu larmoyants, beaucoup moins. La voix stridente, aiguë, parfois hésitante, de Damien Saez irritera les novices. Mais à ceux qui lui reprocheront de trop en faire sur l’amour, depuis ses débuts dans la musique et surtout dans Varsovie, à ceux lassés du répertoire du chanteur, bien malin l’artiste qui leur répond dans l’Abattoir : « Oui je sais, je suis glauque avec mes chansons tristes, mais j’emmerde le monde et il me le rend bien, c’est un peu comme si nous étions quittes ».

L’auteur-compositeur a mal et nous le fait très bien savoir. Certains s’en foutent, d’autres choisissent de l’accompagner dans sa douleur. « J’en ai marre de ce cœur mon Dieu qui ne bat plus […] putain vous m’aurez plus ». Connaissant le talent de composition et le travail de l’auteur, on aurait aimé trois disques différents, un instrumental piano, un acoustique guitare et un pur rock par exemple. Mais il reste ce voyage initiatique, surprenant car inattendu, en quête de deuil à l’amour, propos universel mais juste, qui fait de Varsovie, l’Alhambra et Paris l’œuvre la plus complète, aboutie et travaillée de l’artiste. Celle qu’on se remémorera encore dans de longues années avec nostalgie, frissons et émotions.

Thomas Suinot

Source : culturofil.net