Opposition rock

On a voulu les associer à un certain phénomène nouvelle scène. Pourtant tout les oppose. D'un côté, Damien Saez, 30 ans, un 4ème album à paraître. De l'autre, Raphaël, 32 ans, 4 opus studio, 2 millions de disques vendus, 3 Victoires de la Musique et 1 NRJ Music Award. Retour sur leurs 2 carrières.

Saez, 1er arrivé

Nous sommes en 2001. Une chanson commence à tourner sur les radios rock, Cela nous aurait suffi. Son interprète, un certain Raphaël, a sorti quelques mois plus tôt son 1er album, Hôtel de l'univers. Ce 1er extrait, furieux et électrique, est prometteur, mais son audience reste confidentielle. D'autant que la place de "jeune rocker énervé" est déjà prise. A l'époque, Damien Saez a déjà vendu des brouettes entières de son 1er opus, Jours étranges, paru fin 1999. Le single Jeune et con est devenu un hymne, un clip a été tourné, J'veux m'en aller a suivi, au point d'être nommé dans la catégorie Révélation de l'année aux Victoires de la Musique, où son interprétation théâtrale de Jeune et con marque les esprits. A l'image de cette cérémonie, Saez a l'art de se faire remarquer : mélodies rentre-dedans, paroles désespérées et dégaine de poète maudit, avec cheveux en pétard et barbe naissante... Il va surtout être l'un des artisans du renouvellement de la scène rock française qui, à l'époque, n'offre quasiment rien d'intéressant depuis le rock alternatif des années 1980 (Bérurier Noir, les Garçons bouchers...). Sauf Noir Désir. Certains comparent d'ailleurs l'intrusion de Saez dans le paysage rock à celle du groupe de Bertrand Cantat, une dizaine d'années plus tôt ! Une chose est sûre, le succès innatendu de Jours étranges a ouvert la voix à la génération suivante de rockers "bien d'chez nous" mais nourris d'influences anglo-saxonnes, celle de Déportivo, Luke, Superbus... et Raphaël. D'ailleurs, à ses débuts, ce dernier n'était parfois considéré que comme un clone à Saez. Il est vrai qu'en plus de leurs influences communes, les 2 musiciens partagent une certaine ressemblance physique et une voix légèrement éraillée. Mais à partir de leur 2ème album respectif, ils vont suivre une trajectoire inversée...

La revanche de Raphaël

Le double album est toujours une étape particulière. Soit il couronne une carrière déjà bien établie, à la manière de London Calling de Clash, soit il s'agit de fonds de tiroirs annonçant la fin du contrat avec la maison de disques. Dans tous les cas, il est très rare qu'un artiste ne cherche pas d'abord à asseoir sa renommée avec plusieurs albums au même format. Le fait que Saez, en 2002, ait paraître son 2ème opus, God Blesse, en le couplant avec un 2ème disque, Katagena, avait tout d'un suicide commercial. Tentative réussie : cet album se vend moins bien que le précédent (quand même 75 000 copies) et le chanteur commence à agacer. Certains lui reprochent de cultiver une image faussement rebelle (du genre à mettre des gros mots dans ses paroles pour faire rock) et d'aligner les slogans humanistes simplistes : "Des milliards de pauvres, des milliards d'humain/Mais des milliards d'humains, ça vaut pas un dollar" (Voici la mort). Saez s'en tape et poursuit dans cette veine provocatrice. Ainsi jusqu'à imposer une photo floue où il est méconnaissable pour la pochette de Debbie... Tant que Raphaël signe Sur la route, un duo avec Jean-Louis Aubert, une institution du rock français, Saez a son clip de Sexe censuré par les télés. Et lorsque sa musique devient de plus en plus ambieuse et sophistiquée - God Blesse comprend, par exemple, de nombreuses plages instrumentales - Raphaël choisit au contraire d'épurer la sienne. Dès La réalité (2003), son 2ème album, les guitares électriques ont laissé place à un son acoustique moins agressif et plus accessible. Désormais, il est l'un des chanteurs français les plus apprécies. Caravane, son 3ème opus, sera même l'album le plus vendu en 2005 ! Artiste de l'année aux Victoires de la Musique, sa popularité n'est pas synonyme de facilité : il s'entoure de musiciens de qualité : Carlos Alomar, Mike Garson (David Bowie), Tony Allen (The Good The Bad & The Queen), Frederick Hibbert (Toots & The Maytals), et va même (s')offrir une fin de tournée acoustique (Une nuit au Châtelet).

En 2008, les 2 artistes sortent leur 4ème album quasi simultanément. Saez publiera Paris - Varsovie - L'Alhambra, un triple album (!), le 21 avril, sur le label indépendant Cinq7. Je sais que la Terre est plate, le dernier Raphaël, est quant à lui paru le 17 mars et a déjà atteint les sommets des charts. Pourtant, c'est ce dernier qui, cette fois, fait de la provoc avec le clip Le vent de l'hiver où 2 filles s'embrassent sur la bouche...

Chacun à sa place

Vous imaginez Saez au concert des Enfoirés en compagnie de Patrick Fiori ou Jenifer ? A tous les coups, le chanteur se sentirait obligé de faire un doigt à la caméra en plein milieu de Foule sentimentale... Non, décidément, le succès grand public n'est pas fait pour lui. Avec sa démarche de poète maudit et ses albums ambitieux, l'underground lui correspond mieux. On peut considérer que Saez et Raphaël représentent les 2 versants d'un même univers musical : l'auteur de Jeune et con en la phase sombre, Raphaël le côté le plus éclairé. Au fil de leur discographie, les 2 auteurs compositeurs interprètes ont affirmé leur style et leur personnalité. Bref, ceux qui les confondraient encore, c'est qu'ils n'ont pas la radio depuis plusieurs années.

Ou qu'ils ont écouté distraitement le dernier single de Saez : tout en guitare acoustique, Jeunesse lève-toi a certains accents pouvant faire penser à... Raphaël...