Une interview avec Damien Saez, l'ovni du rock français, est toujours l'assurance d'un moment où la langue de bois n'a pas droit de cité. Saez est un poète moderne qui se moque des conventions. Dans "J'accuse", le premier single extrait de son septième album du même nom à paraître le 29 mars chez Cinq 7, Damien se lâche et n'hésite pas à utiliser des métaphores particulièrement imagées ("Faut du gasoil dans la bagnole, la carte bleue dans la chatte !"). Les vérités de Damien Saez ne sont en tout cas pas du goût de tout le monde, puisque l'affiche de sa tournée à récemment été censurée. Reste que J’accuse est un nouveau cri du cœur et des tripes pour que la société change, doublé d’un hymne à l’amour sous forme d'S.O.S. Rencontre.

J’accuse est l’album le plus engagé, le plus coup de poing de toute ta discographie.

Je manque de recul sur ses chansons. Je suis plongé dedans depuis des mois… Maintenant, effectivement, je pense que ces textes sont les plus incisifs de tous ceux que j’ai écrits. C’est plus brut.

Est-ce à dire que ta poésie habituelle laisse la place à des textes francs et limpides ?

Ma forme de poésie à moi passe par le travail, la ponctuation, comment les choses s’imbriquent… maintenant, je pratique aussi la poésie populaire, celle des gens de la rue. Quand on entend Audiard, on n’a pas l’impression que c’est écrit. Il ne faut pas montrer les choses. C’est tout le génie d’un Chaplin ou d’un Mozart… ça sonne simple. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas du tout la même écriture que le précédent disque Varsovie. Je n’aime pas réitérer les choses et c’est tant mieux pour les gens qui vieillissent avec moi.

Il y a deux thèmes majeurs dans ton œuvre : la société déglinguée et l’amour avec un grand A. Mais, d’album en album, tu parviens à modifier le traitement.

On cuisine toujours le même plat, mais avec l’âge, on utilise d’autres épices. Dans J’accuse, les personnages sont très différents que dans mes précédents disques. Ils partent vraiment de la société pour aller vers le personnel. Prendre un café avec quelqu’un que l’on aime devant un paysage qu’on a envie de voir, on s’en souvient plus dans sa vie que les problèmes économiques et sociétales. Dans cet album, je suis allé du grand angle vers l’intime.

Dans "Pilules" et dans "J’accuse", deux chansons sœurs, tu donnes la vision d’un homme moderne sur la vie en général et sur la société en particulier. Sombre, négatif et sans espoir. Si cet homme est bien toi, un auteur doit-il écrire ce qu’il pense ?

C’est une certitude. J’ai choisi d’avoir une vie de poète. Je veux faire mon métier sans fausseté, cela implique de chanter ce que je pense profondément, de ne pas faire de concessions et de n’être redevable qu’à moi-même. Vous savez, pour rembourser le coût de cet album, il faudrait que j’en vende 100 000. J’ai travaillé un an et demi sans avoir de salaire, car je ne suis pas employé par une maison de disque. Par contre, je suis propriétaire de mes bandes et je fais le métier que j’ai choisi. A mon échelle, j’ai passé trois ans sans carte bleue… je me demande comment font les gens. Ils sont essorés par cette infernale société de consommation et ça me révolte, alors j’en ai fait le thème de la plupart des chansons de cet album.

On décèle un côté "C’était mieux avant".

C’est indéniable… C’était mieux avant. C’est la madeleine de Proust, c’est la nostalgie. L’être humain et fait de souvenirs et ces souvenirs sont emprunts d’un bonheur qu’on n’a pas la sensation d’avoir assez exploité. Le bonheur n’est qu’une fulgurance.

Il y a un début de polémique sur ta pochette. Elle est d’ailleurs interdite dans le métro et sur les bus. On y voit une femme nue dans un caddie avec la mention "J’accuse".

C’est du n’importe quoi ! Cette pochette est au contraire un acte féministe. C’est comme si j’avais mis un goéland plein de cambouis avec "J’accuse" dessus et qu’on me dise que je suis en train de faire l’apologie des pétroliers. L’auto censure que fait cette société vis-à-vis d’elle-même ne cesse de me dépasser. Cette pochette n’est jamais qu’un miroir de ce qu’on est aujourd’hui. On est que de la viande dans du caddie… sinon, je n’ai rien compris.

On comprend que ce que tu ne supportes pas, c’est l’uniforme…

Si on a quitté un jour l'uniforme obligatoire où tout le monde est habillé de la même manière pour endosser l'uniforme de Gucci ou de l'Iphone, ça ne vaut pas mieux. C’est insidieux car faire croire aux mômes que ne pas avoir telle ou telle chose, ça veut dire être pauvre en fait et que c’est mal d’avoir l’apparence pauvre, je trouve ça très grave alors, je le dénonce. Pour moi, les profs sont les christs de la société d’aujourd’hui.

La musique est redevenue très rock. On revient au Damien Saez du début.

J’avais envie de voir ce que ça donnerait de me re poser sur la facette que j’ai livré la première fois. Un peu comme une réponse dix ans après. Une manière aussi de dire que je suis toujours là et bien debout !

Source : musiquemag.com