Deux ans après le virulent J'accuse, Saez revient avec un triple album qui n'est pas sans rappeler le tryptique Varsovie – L'Alhambra – Paris, sorti en 2008. Pour ce septième disque, l'artiste le plus écorché vif de la scène rock française a écrit et composé 27 titres, toujours dans la même veine rageuse et tourmentée, et organisés en trois parties, aussi contradictoires que complémentaires. Ce triple album précède par ailleurs la sortie le 3 décembre prochain d'un huitième album, intitulé Miami.

Le premier cd, Les Echoués, navigue entre rock et ballades acoustiques. Chacun des neuf morceaux déploie un imaginaire poétique singulier, et il faut dire que Saez s'est une nouvelle fois surpassé en terme d'écriture. Amour, déchéance, mort, désillusions : les thématiques restent celles qui ont fait le succès des précédents albums. Fin des mondes est le premier morceau de l'album et du tryptique tout entier, et plante le décor : Ambiance musicale lourde et progressive, percussions belliqueuses, et textes taillés au scalpel dans le désespoir et la rage.

L'ensemble est sombre et presque tragique parfois, en raison des nombreuses orchestrations classiques mises en place sur plusieurs morceaux. Marie, par exemple, allie la rythmique lancinante des instruments à cordes, et une interprétation qui n'est pas sans rappeler l'émotion à fleur de peau et l'intensité presque douloureuse qui caractérisaient les chansons de Jacques Brel. Sans toutefois imiter Brel, Saez s'inscrit dans cette lignée d'artistes, qui placent le ressenti presque charnel de la musique au centre de tout travail de création.

Les ballades mélancoliques ont aussi trouvé leur place sur ce premier disque, avec Faut s'oublier, dont le texte sonne comme une supplique amoureuse, et Le gaz, qui sur une mélodie de guitare légère et dépouillée, aborde la rupture sur le ton du constat cynique et désinvolte. Saez n'a pas non plus abandonné son côté révolutionnaire et le prouve avec Les fils d'Artaud, une chanson qui parle de liberté, de résistance, de renaissance, de conscience politique et de transmission de cet engagement. Les choeurs presque implorants qui clôturent la chanson résonnent comme une prière, un hommage à la notion même de militantisme. Into the wild fait référence une nouvelle fois à l'évasion, à l'indépendance, et à ce besoin de s'affranchir des règles et codes communément établis, et qui entravent chacun de nos mouvements et de nos décisions.

Dernière chanson du premier disque, A nos amours est une ballade au piano plus intime, dont les fêlures sont magnifiées par la présence d'une chorale, ce qui permet ainsi de nuancer légèrement l'atmosphère sombre de la composition.

Le deuxième disque, Sur les Quais, est bien plus agressif et nous fait basculer dans un univers plus brut, qui fait également partie du personnage Saez. Au niveau musical, on voit le volume remonter franchement, et les guitares sont beaucoup plus présentes, et bien plus saturées. On frôle de près le punk alternatif avec Marianne, qui allie une rythmique énergique à quatre temps et des choeurs façon riot, Sur le quai qui a recours à une section de cuivres, ou Légionnaire, dont les guitares galopantes rappelent sans mal un film de Tarantino.

La chanson Ma petite couturière, qui avait été dévoilée en 2010 comme un avant-goût précoce de ce nouvel album, dessine en filigrane une histoire d'amour et ses accrocs, sur fond de lutte ouvrière et de misère sociale, un autre thème cher à l'écriture de Saez.

Je suis un étranger créé légèrement la surprise, puisque pour une fois, Saez délaisse légèrement le ton revendicateur et virulent qui le caractérise, pour exprimer davantage d'ouverture, et un peu moins de fatalisme que d'habitude. Si ce second disque est sans conteste le plus rock du tryptique, il se clôt cependant sur un morceau résolument mélancolique, Rois demain, l'une des plus belles chansons qur Saez ait jamais composées. On y retrouve l'essence même du travail de l'artiste : une mélodie de guitare acoustique qui grimpe en intensité au fur et à mesure que le morceau avance, l'évocation des lendemains qui sauront apaiser les présents douloureux, la thématique du voyage et de l'évasion, bien souvent au centre de l'imaginaire du chanteur, et l'abandon absolu au véritable amour, quels que soient les sacrifices qui en découlent, jusqu'à la folie même.

Messine, le disque de clôture de ce triple album, s'affirme dès les premières notes comme un incontestable bijou symphonique, dans la lignée de l'excellent et du déchirant "God Blesse/Katagena", sorti en 2001. Il s'ouvre sur un titre instrumental, Thème Quais de Seine, alliance aérienne et poignante du piano et des violons. Aux encres des amours poursuit sur cette lancée, et les orchestrations empruntées au tango ne font qu'amplifier encore davantage l'intensité des mots que Saez pose avec délicatesse ou violence sur la musique.

Messine, chanson qui donne son nom à ce dernier volet, fait appel à l'errance plus qu'au voyage, et tout comme Les Meurtrières, elle décline de nombreuses images liées au départ, aux adieux, et a recours à plusieurs reprises à la symbolique des navires quittant le port. Les magnifiques joue la carte de la dérision et met une nouvelle fois en évidence les similitudes entre Saez et Brel, notamment cette manière de chanter presque comme s'ils juraient, de s'insurger tout en préservant la poésie et la musicalité des textes. Plus intimiste, ce disque fait appel à des orchestrations presque cinématographiques, comme dans Bouteille à la mer, ou Ami de Liège, qui dépeignent un imaginaire tellement précis que nous pouvons presque voir les images défiler si nous fermons les yeux.

Jamais guéri, marqué pour toujours par les anciennes blessures, Saez laisse également parler la nostalgie et les regrets de jeunesse qui parviennent à s'emparer de lui, et qu'il avait déjà dévoilés sur l'album "Jours Etranges", il y a déjà treize ans.

Le Thème aux encres des amours fait un écho significatif aux trois thèmes instrumentaux qui ouvraient déjà "Katagena" en 2001, et affirme définitivement le potentiel symphonique du compositeur, qui au delà du caractère parfois enragé de sa création, parvient à déployer de véritables fresques musicales empreintes de lyrisme.

Ultime morceau de ce triple album, Châtillon-sur-Seine est une déclaration d'amour écrite à la manière épistolaire, sur fond de faubourgs embrumés et de poètes malmenés par leurs passions. Point final empreint de mélancolie, ce morceau marque également l'attachement de l'artiste à l'univers poétique et aux références qui s'y rattachent.

Souvent laissé de côté par les médias les plus influents, Saez avait très peu fait parler de lui depuis la sortie et la diffusion controversée de "J'accuse". Avec ce triple album, il signe un retour pertinent, montrant qu'il n'a rien perdu de sa véhémence, et qu'il peut aller encore plus loin dans la recherche musicale, notamment sur les arrangements symphoniques qui n'ont jamais été aussi travaillés et mis en exergue que sur cet album, en particulier sur le troisième disque. Révolté, écorché, ou tout simplement animé par ses passions, ses introspections et ses contradictions, Saez nous livre son septième album comme un recueil de ses émotions les plus vives et les plus universelles, comme un témoignage des tragédies que nous vivons chacun à notre manière, et révèle en ce sens les ressemblances qui nous lient indéfectiblement, bien plus solidement que nos différences ne pourront jamais nous diviser.

Elodie

Source : www.zikannuaire.com