Le plus sous-estimé des chanteurs français sort un nouvel triple album. Sous le titre Messina se cache des chansons sombres, dures mais pleines de vérités sur les expériences humaines. Saez, qui a claqué la porte de sa maison de disque et est boudé par les médias mainstream, confirme son talent de parolier de génie. Pour le meilleur, comme le pire.

“Et si l’amour est noir, noir noir, aussi noir que Betty“, chante Saez dans la chanson du même prénom. Une couleur qui caractérise les 27 chansons des trois albums coup de poing sortis ce 17 septembre : Les Echoués, Sur le Quai et Messine. A l’écoute, une chose est sûre : la maturité lui va bien à l’écriture.

Ces trois albums font penser aux précédents Varsovie – L’Alhambra – Paris sortis en avril 2008 et s’éloignent légèrement de ses dernières chansons, extrêmement rock et extrêmement engagées, de l’album J’accuse, sorti en 2010. Ici, les critiques contre notre société de consommation se font plus discrètes, même si elles sont là. “Ils s’éteignent un matin dans le battant des foules. Ils ont le regard du vin quand parfois leurs yeux coulent. Ils n’ont pas de couleur, pas de drapeau tendu. Alors ils trainent un peu, comme des bateaux perdus” décrit-il dans Les Echoués, morceau sur les SDF. Ou dans Fin des mondes, “Toi, tu cherches du blé pour tout payer. Une vie à crédit, t’as le cœur dans la suie. On vend nos paumes à crédit aux financiers, aux boîtes de nuits, puisque nos chairs sont aux enchères, qu’on a baisé la terre“. La crise est aussi évoqué dans Ma petite couturière : “En ligne les brodeuses. C’est le temps des chômeuses. C’est l’heure de rendre la blouse, de tremper les mouchoirs. Habillez les jupons, sûr, en fichus de paille puisque tous les patrons nous laissent sur la paille“.

Outre le thème de la consommation et de ses dérives, Saez repart vers ses thèmes de prédilection : le sexe, la mort, la vie, la mélancolie, la nostalgie, la tristesse, la joie, les rêves, la peur, les filles, l’amour et la rupture. Des expériences que l’ont vit tous, mais qui sont si dures à trascrire en mots. Même quand il parle de porno-dépendance, Saez ne fait pas dans le vulgaire. Il se pose en observateur affuté de notre société et de nos travers à nous, humains. Pareil quand il avoue ses envies de fuir le monde “civilisé” (Je suis un étranger, Into the Wild)

Les morceaux sont beaucoup plus instrumentaux que les précédents, on sent une réelle attention portée à l’arrangement musical. C’est d’ailleurs sur ce critère que sont séparées les chansons en trois albums : Les Echoués et Messine sont plutôt “acoustiques”; Sur les Quais rassemble des chansons plus rock et militantes. Fini le temps de la guitare seule, Saez balance du lourd. Dans Marie, il s’inspire de la manière de chanter et de l’instrumentale de Brel. Puisqu’on parle de Belgique, Ami de Liège évoque le tireur fou qui a fait trois morts dans la ville. Certaines chansons sont tout de même profondément rock (on pense à Marianne et à Légionnaire).

On a évoqué Brel, mais on sent également l’influence de Betrand Cantat, dans ses bons jours. L’amour, bien sûr, (comme seule possibilité de salut dans une société sans autre valeur que l’argent ou comme agent destructeur) est un de ses thèmes sur lequel Saez écrit le mieux. Betty, Marie, Rois Demain, Planche à Roulette, A nos Amours, Le Gaz, Faut s’oublier.

“Tu t’es barré comme ça comme la fumée d’une clope qui prend le large et la mer”

“Qu’importe les chemins que nous prendrons ensembles, qu’importe sous quels cieux seront nos mains qui tremblent, et puis si la vieillesse vient frapper à la porte, c’est qu’on aura vaincu ce temps qui nous escorte. Je serai avec toi combattant impossible. Je t’apprendrai à voir ce qu’on garde invisible“

“Ma petite couturière, elle est pas haute couture mais faut voir quand elle coud des ourlets à mon cœur. Ma petite couturière, elle connait les mesures de mon cœur éperdu, là dans la fourmilière. Ma petite couturière, elle est pas haute couture. Elle est prête à porter le monde à bout de bras“

Mais il y a un sujet sur lequel Saez excelle : c’est le temps qui passe.

“On se quittera tous un beau jour, on reviendra sur nos discours, on croira qu’on a tout compris,on aura rien compris du tout, on se dira jamais vieillir puis on finira tous vieux cons à regretter ce qu’on a perdu“

“Quand nous allions le long du ruisseau pour écouter le chant de ses sanglots. A Chatillon Sur Seine pour y voir des bateaux, ivre de solitude tu m’apprenais rimbaud, quand nous allions le long du ruisseau, pour écouter Chatillon en sanglots, qui me redit, oh oui, ces bateaux. Je repense à Nelly, Je repense à Bruno, quand nous allions le long du ruisseau pour écouter le chant de ses sanglots à Chatillon Sur Seine, moi je vois des bateaux. Je repense à Nelly, je repense à Bruno”

Fils d’Artaud est un morceau-hommage à Antonin Artaud, poète et acteur français, celui qui a passé des années en hôpital psychiatrique, souffrait de douleurs à la tête chroniques et a participé au mouvement surréaliste.

Qu’il est loin le temps de Jeune et con. Illustré par une pochette sublime, composée de plusieurs instantanées comme autant de bribes d’histoires, Messina ne va sûrement pas aider à ne pas virer mélancolique cet hiver.

En décembre sort Miami, dernier volet de la trilogie J’accuse, et donc retour certain vers des chansons plus engagées. Saez sera en concert chez nous, à l’Ancienne Belgique. La date du 23 avril étant déjà complète, une deuxième date a été rajoutée le lendemain, 24 avril.

Camille WERNAERS

Source : lapige.be