A l’heure de la sortie de son 7e album studio (Messina, dans les bacs depuis le 17 septembre), composé de trois (!) galettes, et peu avant celle d’un 8e album (Miami, prévu pour début décembre), il est intéressant de remarquer que la frénésie avec laquelle Damien Saez sort ses compositions ne date pas d’hier ! Sa discographie est en effet émaillée de double, voire de triple albums (on se souviendra du triptyque Varsovie / L'Alhambra / Paris sorti en 2008), dessinant à chaque fois un peu plus la grande variété – et la densité artistique – de son répertoire passionnant, et bien loin de se résumer aux titres rock ou sulfureux qui l’ont fait connaître du grand public, de Jeune et con à Sexe…

A l’heure d’une crise majeure – et durable – dans l’industrie musicale, et alors même que les maisons de disques limitent en général leurs artistes à une dizaine de titres inédits contenus sur un nouvel album tous les deux ans, essentiellement pour des raisons de lisibilité dans leur carrière (comme s’ils n’en composaient pas plus en douce ou que toutes les « chutes » d’albums étaient forcément mauvaises…), Damien Saez fait ainsi figure d’exception, un peu à l’instar d’un Jean-Louis Murat durant une certaine période, lorsqu’il s’acharnait à sortir un disque tous les six mois, avant de comprendre que ce n’était pas viable financièrement…

Ce caractère prolixe de la carrière de Saez remonte ainsi à son deuxième album, God blesse (sorti en 2002), qui reste peut-être encore à ce jour sinon « le » meilleur, du moins l’un de ses meilleurs albums… Deux disques, vingt-neuf titres : un programme chargé pour nous pondre une charge conséquente et impressionnante contre l’Amérique et le capitalisme occidental ! Car contrairement à ce que l’on peut trouver écrit sur les billets de banque U.S. (« God bless America »), le chanteur joue ici sur les mots et les langues pour nous dire que Dieu ne bénit plus les Etats-Unis mais qu’il les « blesse » dans sa fureur vengeresse, ce qu’il venait d’ailleurs de faire quelques mois plus tôt, un certain 11 septembre 2001, en laissant s’écrouler les symboles les plus obscènes du libéralisme mondial en la figure du World Trade Center. «Quand le World crade s’enterre », comme il le chante si poétiquement…

Car comme toujours avec Saez, la férocité du discours contre une société en laquelle il ne peut plus croire se teinte contre toute attente d’une mystérieuse douceur… et sous la violence de la dénonciation politique et sociale, de l’asservissement des pauvres par tous ces « putains » de riches (« trop de libéralisme, mais sans libération ! »), il finit inéluctablement par nous parler d’amour, de sa voix sensuelle et sensible, mais d’un amour qui n’a d’issue que dans la fuite de ce monde rongé par « l’argent et la haine »…

Avec une belle habileté et une grâce qui touche au cœur et à l’âme, il alterne des titres musicalement forts et agressifs (J’veux du nucléaire, Solution…) avec de superbes ballades, parfois même sans parole (ses divers Thème, J’veux qu’on baise sur ma tombe, Usé, Voici la mort… que des titres joyeux, comme vous pouvez le voir !) Et c’est bien là le paradoxe de l’œuvre de Saez, et ce qui la rend sans doute si fascinante et unique : être capable de chanter quelque chose d’aussi mercantile et provocateur que Sexe » (« Mets ta langue où tu sais… »), tout aussi bien que des choses merveilleuses et sensibles comme So Gorgeous (« Si la grâce avait un nom / Elle porterait le tien… »). Ou encore pouvoir scander des slogans de manifestations anarchistes avec la pugnacité et la conviction que cela exige (« Mais quand comprendras-tu que nous n’accepterons jamais ta soumission ? / Nous ne voulons plus de vos solutions ! »), tout en baissant les bras un peu plus loin, au nom d’une sensiblerie amoureuse dans No place for us («Rien ne sert de courir / Mon amour tu sais / Ils nous rattraperont / Pas la place pour s’aimer / Puisqu’elle est condamnée / Notre génération »).

Avec God blesse, Saez souffle en somme le chaud et le froid, et sait comme souvent assumer des pendants à la fois masculin et féminin, tour à tour fort et délicat… Sa voix même, tantôt violemment éraillée, tantôt murmure sensuel, en est d’ailleurs la parfaite illustration… pour le bonheur de nos oreilles et le plaisir de ce léger frisson qui vient naître parfois sur notre peau…

Phil Siné

Source : onlyzuul.over-blog.com