Nouvel album avant une nouvelle tournée

Tumultueux, poétique, politique, intime, Messina, le nouvel album de Damien Saez est un triptyque de vingt-sept titres entre rock, chanson française et musique classique. RFI Musique l'a rencontré avant le début de sa tournée.

À Roubaix, un homme voit une femme, en tombe amoureux. Et il ne la suit pas. Mais il imagine le voyage avec elle jusqu’en Italie et, peut-être même, jusqu’en Floride. Le nouvel album de Saez n’est pas un road movie au sens propre. C’est une méditation sur l’ici, l’ailleurs, l’immobilité, la révolte… et sa propre enfance. "Dans ce que je fais, je suis définitivement plus proche de la campagne que de la rue Oberkampf. Il n’y a là rien de fashion. Ça n’a pas pour but d’être à la mode."

Damien Saez ne se cache pas derrière les bannières de genre et de famille. Il assume tranquillement d’être un artiste hors norme, tant artistiquement qu’en ce qui concerne sa position dans le show business français. La semaine de sa sortie, son nouvel album, Messina, s’est classé en deuxième place des classements des ventes, mais il reste un mystère pour la plupart des médias, qui ne comprennent pas pourquoi ce chanteur-là refuse obstinément de jouer le jeu conventionnel de la promotion.

La couverture de votre précédent album (J'accuse) avait suscité une certaine polémique. Comment avez-vous vécu cet épisode ?

Franchement, je m’en fiche. Ce qui est symptomatique – et je ne saurais peut-être pas l’expliquer sans être méchant – c’est le besoin d’affirmer le rejet d’une personne qui ne se montre jamais. Je ne leur donnerai jamais l’occasion de me toucher, parce que je ne leur parle pas. Une chose embête les gens qui ont du pouvoir : leur dire que l’on n’a pas besoin d’eux. Ce qui est intéressant avec cette histoire, c’est qu’elle montre une fracture. Dans mon cas, une formidable fidélité d’un côté et, de l’autre, une désapprobation également frénétique.

Messina est un album en trois CDs et votre maison de disques annonce une autre sortie début 2013, qui s’intitulera Miami. Comment se fait-il que vous soyez d’une telle productivité ?

Et il y a plein de choses qui ne sont pas sur le disque ! On a du faire dans les quatre-vingt-dix chansons en un an et demi au studio Davout. Mais il fallait raconter une histoire, tout n’avait pas sa place. Certaines de ces chansons existeront, même si elles ne pouvaient pas être sur ce disque. Il a fallu y aller à la machette… Honnêtement, c’est très bizarre. Vu qui sont mes maîtres et quelle est l’ambition qui me nourrit, je ne peux pas dire que tout cela est exceptionnel, et en même temps, je sais avoir développé une énorme capacité à l’expression. Après, le problème est de savoir comment la canaliser, quelle gymnastique adopter pour exprimer ce qu’on a dans le ventre. Dès que je n’écris plus, je suis une tanche. Quand je m’y remets, c’est nul et il faut au moins un mois avant que la pensée, l’esprit et les perspectives reviennent. Et, dès lors, pas un jour sans une ligne, comme un pianiste fait ses gammes avant de tenter d’exprimer quoi que ce soit. Après, quand vient le manque de vie – puisque c’est le fait de vivre qui nourrit – il faut que ça s’arrête.

Miami est-il déjà terminé, et pourquoi n’est-ce qu’un seul CD ?

Je suis en train de terminer le mixage. Pour Messina, s’exprimer sur ce que représente le fait d’être français, cela mérite un triple. Si Miami était de l’étude sociologique, il mériterait tout aussi long, mais c’est du fantasme. Ce qui m’intéressait est ce qui fait rêver les gamins sur Miami, la fracture entre ce que nous sommes, nous Européens, et ce que sont les gens là-bas tels qu’on les imagine. Ça doit donc être le format d’un Coca ou d’un chewing-gum.

Vos pochettes de disque font souvent parler d’elles. Dans le patchwork de photos qui composent celles de Messina, on voit une croix chrétienne. Pourquoi ?

Ça n’est pas un trip gothique ! J’aime la juxtaposition avec la photo d’en-dessous et le gosse qui semble ne rien vouloir voir. En fait, j’adhère à l’histoire de ce pays, à son architecture, à tout ce qu’il est – et ça me parle tellement qu’il me semble difficile de dire "je suis athée". Pour pouvoir le dire, il faudrait être Robinson au milieu du désert. Et même là, ce serait encore difficile…

Vous avez composé et enregistré avec un orchestre, deux titres instrumentaux qui sonnent comme de la musique classique. Pourquoi ?

Avant les mots, c’est de là que je viens. Ma formation a été complète et faire le Conservatoire jusqu’au bout, ce n’est pas s’entrainer une heure par jour ! Alors je suis reparti du piano, qui est l’instrument compositeur, puis j’ai passé un mois à écrire les arrangements des cordes, ce qui me ramenait à ces années-là, mais avec en plus l’expérience du studio. La rencontre avec l’orchestre a été très agréable. Lire une partition. Revenir à l’enfance et à l’adolescence…

Bertrand Dicale

Source : www.rfimusique.com