C'est un jeune homme secret, discret, qui remplit les salles et peu compter sur un public fidèle et nombreux. Alors qu'il vient de publier le triple album Messina et s'apprête à faire paraître Miami en début d'année, Damien Saez, 35 ans depuis cet été, nous a accordé un entretien.

Pourquoi enregistrer un triple album ?

Pour arriver à ce résultat, il y a au départ 90 ou 100 chansons... Donc un gros tri à faire. Il me semblait, vu la qualité du disque, que n'en faire qu'un seul aurait été du gâchis...

D'autant qu'un nouveau disque arrive très bientôt...

Oui, il sera plus rythmé, presque électro par moments. Il s'appelle Miami...

Comment avez-vous trié et organisé les chansons?

Un thème s'est dégagé : la fin d'une forme de culture et en même temps, le rêve d'un Miami ou peut-être de Shangai demain... L'album traduit cette trajectoire entre Roubaix et Miami, entre Lagarde et Michard et l'iPhone. « Châtillon-sur-Seine », pour moi, c'est la chanson qui résume tout. J'y raconte le deuil fait de deux personnes qui furent très proches. L'une a fait office de grand-mère et l'autre, avec qui j'avais des relations épisodiques, m'a vraiment ouvert l'esprit. L'une m'a intéressé aux lettres et l'autre, à la musique.

Il y a des personnages récurrents dans vos albums...

J'adore les prénoms... Parfois, je nomme une chose ou une ivresse et parfois, ce sont vraiment des personnes que je rencontre. Betty, par exemple, existe, mais je ne m'en suis rendu compte qu'après coup. Mon rapport à la mémoire est bizarre. Je ne peux pas me souvenir de tout. Quand on tourne, on rencontre plus de personnes en un mois que des gens en croisent en une vie...

L'alcool et les drogues, dont vous parlez dans les chansons, sont une béquille, un adjuvant ?

Je ne crois pas que ça aide à l'écriture. Je dirais que c'est le moins pire que j'ai trouvé pour me supporter. En revanche, parfois, le fait d'écumer et de se vomir permet de se réveiller et d'y voir plus clair.

Vos chansons évoquent souvent un ailleurs. Voyagez-vous beaucoup ?

En ce moment non et c'est assez suffoquant. Ce qui a été difficile, ces derniers mois, c'est le travail : un an et demi non-stop et puis, juste après, devoir enchaîner. On ne sort pas de son nombril et ça, c'est assez dur et même dangereux parce qu'il faut se nourrir. L'autre est aussi important que soi.

Êtes-vous allé à Miami ?

Jamais. Je pense que ce ne sont pas les gens qui prennent le plus de drogues qui en parlent le mieux. On n'a pas besoin de passer par l'expérience. On peut même être parfois plus juste en ayant un peu de distance... Et puis si j'étais allé à Miami, me connaissant, je n'aurais eu que du jugement. Il y a le cliché, la superficialité, la thune, mais il y a aussi la ville très mixte, dangereuse. Pour moi, c'était plus intéressant de la fantasmer. Car c'esr la décadence, la fin de l'empire.

Vos convictions n'ont pas changé...

Non. Je pourrais vivre sans faire de disque, continuer à faire des chansons. Je ne suis pas matérialiste. Je ne pense pas que mon bonheur passe par ça.

Que faites-vous de l'argent que vous gagnez ?

Je réinvestis tout dans la musique. Moi, je n'ai pas d'argent. Je suis endetté. S'il y a un centime à mettre dans une chance ultime qui est une liberté, qui est un soin pour ma santé mentale, qui a son utilité sociale la question ne se pose même pas. C'est de l'artisanat...

Etes-vous fier de votre parcours, de vos choix et de vos refus ?

Je suis fier de me regarder dans la glace. Il n'y a rien de pire que de laisser une trace – déjà mégalomaniaque à la base – sans l'honnêteté et la fidélité à soi. Ce n'est pas le sens du devoir qui me pousse. Je ne peux tout simplement pas aller raconter ma vie dans une émission, c'est épidermique !

Quelle relation, avez-vous avec vos fans ?

J'essaie de garder une certaine distance. Il m'est arrivé de parler avec certains, parfois de leur déception et c'était intéressant. Un jour on m'a dit : « c'est grâce à nous que tu es là. » Et bien non. Je pourrais vendre des kebabs demain et continuer à écrire. Ma quête n'est pas là. Si je fais payer des tickets pour me mettre en scène et faire de l'exhibitionnisme devant le sgens, je me dois d'être honnête dans ma démarche.

Par moments, vous rappelez Barbara. J'imagine qu'elle a énormément compté pour vous...

Il y a les indispensables : Barbara, Brel, Ferré et Brassens. Brassens, c'est le premier que j'ai écouté. J'étais très jeune. C'est sa voix, l'image. Moi qui n'avais pas de père à la maison, c'était le grand-père rassurant. Ça m'a toujours bercé et puis les trois autres ont pris le relais quand la poésie a commencé à disparaître des journaux. Gaisbourg aussi, même s'il est ensuite parti dans la pop et a davantage embrassé la modernité... Chez Barbara, il y a tellement de grâce que ça réchauffe. J'accepte parfaitement d'être le vecteur d'une culture qui n'existe plus. Comme un artisanat qui serait transmis... Par exemple, sur cet album, « Maris » est un hommage très clair à Brel et Barbara. Dans « Châtillon-sur-Seine », la façon dont la première phrase se pose, c'est la langueur de Barbara. C'est un grand modèle pour moi... Enfant, je n'étais que musique. A 7 ans, lors d'un entretien privé pour ma santé mentale, on m'a expliqué que le piano, instrument que j'avais choisi, moi, enfant trimballé partout, symbolisait la sédentarité. C'était un compagnon, mais aussi du travail et de l'abnégation. A côté de ça, la discothèque à la maison était parfaite. A 10 ans j'avais écouté Thelonious Monk,Herbie Hancock, Brassens, Gong, Magma, Bowie... Ça n'a pas arrêté...

Pourriez-vous travailler avec d'autres musicines français ?

Ça dépendrait pourquoi. C'est vrai que je n'enregistre pas de duos. Je crois qu'on n'ose pas me proposer (il sourit). C'est comme écrire pour d'autres. Tous ce trucs de maisons de disques... Oui, c'est vrai que j'ai refusé d'écrire pour Johnny. Et pourtant, il y a des chansons de lui que j'adore : « Né dans la rue », la première version de « Que je t'aime ». Mais le supermarché des textes, non merci. Sinon, partir à l'aventure avec un mec, pourquoi pas !

Etes-vous proches de Thiéfaine ? On vous imagine de la même famille artistique...

Thiéfaine, j'adore. Je ne peux pas dire que c'est un ami car je ne le connais pas assez, mais c'est quelqu'un dont je respecte énormément l'écriture. Il assume une liberté qui est belle. Ça va sonner très prétentieux, mais des personnes vivantes, il fait partie de celles que je respecte. J'adore aussi Arno... et Dominique A a énormément compté pour moi. Ses textes m'ont réellement touché.

Florence RAJON