Saez sur scène… On en rêvait depuis un moment. Et puis on n’a plus osé y croire. On a plutôt gardé le vague souvenir d’avoir eu dans la main des places pour un ou deux concerts annulés ou reportés. Quand on ne pouvait pas se consoler avec le CD, il suffisait de fermer les yeux pour revivre l’espace d’un instant la magie d’un show case ou d’un live vécu. N’empêche, au fil des jours, les souvenirs se voilent et l’envie de retrouver ces émotions grandit. Alors on se remet à espérer que Damien surgisse, guitare en main et micro paré. Puis, sur un conseil téléphonique d’un ami mieux renseigné, sur une visite opportune d’un site bien informé, les espoirs apparaissent moins vains. Cette fois c’est sûr. Ce sera la Cigale. Ce sera le 1er juillet. C’est déjà demain.

Alors les souvenirs se font plus présents. On repense aux premières parties, aux attentes, aux guitares, au piano, au public, aux lumières. Tout se mélange un peu comme pour donner le ton à un grand évènement. Les billets en poche, le portefeuille souffre en silence… il sait qu’il n’aura pas à regretter. Reste à véhiculer la nouvelle. Dépêchez-vous, dépêchez-vous. Manquer ce concert, c’est s’exposer à de profonds regrets. Et puis demain arrive. Et on se retrouve tous.

Ceux qui attendent là depuis le début de l’après-midi ont déjà installé une atmosphère chaleureuse devant les portes. On entend des phrases murmurées mais on n’évoque pas encore la soirée à venir. On se contente de se rassurer sur sa place dans la file d’attente. Parfois, l’un d’entre eux dévisage les autres. Cherche-t-il une silhouette connue ? Veut-il s’imprégner de cet univers si particulier ? Dès ce moment les souvenirs se construisent. Il faut respirer chaque seconde. Le temps est maussade mais l’arrivée progressive du public colore le trottoir gris. On s’abrite sous les échafaudages qui semblent dressés là exprès pour protéger de la pluie. Au fur et à mesure, les murmures prennent de l’ampleur et les derniers arrivants font les premières grimaces. A deux heures de l’ouverture des portes, les plus éloignés ne distinguent même plus l’entrée. Alors, on envie ceux qui ont la chance d’y être. Là-bas. Sous le grand chapiteau « Stomp » qui brouille un peu les pistes. Il faudrait dire aux passants que tous ces gens n’attendent pas Stomp mais un groupe qui sonne plus doux à l’oreille : Saez. Le mot déjà glisse sur les lèvres. On se demande si ce soir ils seront brillant. Plus l’heure approche et plus les pronostics sur les chansons se font entendre. Un peu plus loin, certains chantent à demi voix, de peur que tous les autres ne les reprennent sur un couplet mal entonné, sur une note un peu faussée. Enfin se lit la détresse des retardataires qui n’ont d’autres choix que d’aller bien loin. Les plus malins attendent près des portes. Dans le flou, il y aura toujours un moyen de se faufiler. Derrière, on râle doucement. Parce que l’essentiel est ailleurs. Les portes s’ouvrent et plus personne ne regarde sa montre.

Les habitués brandissent leurs billets afin de se précipiter aux places dont ils avaient rêvées. De là-haut, on regarde d’un air moqueur la fosse se remplir. D’en bas, on s’imagine déjà tendre la main à la scène. Ceux qui découvrent la Cigale s’étonnent de la superficie. On est un peu à la maison. Un peu entre nous. A bien y regarder, on a tous le même âge, tous le même profil. Même cet homme aux cheveux grisonnants qui s’installe derrière. Même cette fillette au sourire émerveillé qui prend place derrière les rambardes d’un coté. Même ce gothique égaré qui se fond dans la masse. En fait personne n’est vraiment étranger ici. D’ailleurs, tout le monde est là pour la même cause.

Différentes attitudes sont adoptées par le public. Il y a ceux qui savourent d’abord. Peu expressifs, ils ne sont pas les premiers à applaudir. Peut-être leur faut-il le temps de digérer les notes qu’ils viennent de déguster. Ils ne chantent pas non plus. Ici, l’artiste est sur scène et ils n’ont pas la prétention de rivaliser. Au contraire, ils semblent dire par leur silence qu’il n’y a rien à rajouter à la musique. D’autres, beaucoup moins discrets, profitent des moments de silence pour crier leur enthousiasme. Pêle-mêle, on entend des « je t’aime » ou d’autres cris incantatoires plus diffus. Au milieu du concert, deux hommes osent un « à poil ! ». Comme à la maison, je disais. Comme à la maison, c’est bien ça. Avec le récent envol du groupe, on pouvait se demander si le public se remplirait de minettes en mal d’idole. Et elles sont là. Pas seulement au premier rang. Certaines sourient dans leur coin. Elles sont comme une lueur dans les yeux, une lueur qui voudrait dire « là il me regarde… », mais rares sont celle qui ne se laissent pas envoûter par le son. Finalement, elles oublient le temps d’une soirée leurs projets de mariage avec le petit prince et elles vivent enfin le cœur de ses mélodies. D’autant que les vrais fans sont aussi masculins. Ceux-là vont et viennent au rythme de la batterie, le briquet à la main et la bouche à demi-ouverte. On les voit chuchoter des commentaires élogieux sur telle phrase prononcée, sur telle attitude, sur telle réaction du public. Au milieu, ceux qui découvrent les concerts saeziens pour la première fois sont déboussolés au départ. Loin des singles en vente, le spectacle est ponctué de doux intermèdes. Malgré tout, ils s’habituent vite à ce savant dosage et, comme les autres, profitent du repos et de la magie des passages calmes. Plus loin, en retrait, les plus âgés ont l’œil plus critique. Ils sont les mieux placés pour avoir une impression générale sur le déroulement du concert. Qu’ils soient accompagnateurs ou grands amateurs de musique, tous se prennent au jeu d’une salle conquise. Ce soir là, le public est en harmonie avec les artistes et même les moins connaisseurs sont pris dans l’euphorie générale.

Il fait rapidement chaud dans la fosse où les plus vigoureux déchaînent tout le monde. On peut sentir le plancher trembler quand toute la salle saute en même rythme. Petit à petit, ceux qui ont moins d’assurance s’écartent pour suivre à l’abri les mouvements de la foule. Des balcons, la vue de cette masse mouvante accroît encore l’impression d’unité entre la scène et le public. A chaque concert donné, les paroles des chansons sont mieux maîtrisées. Souvent, depuis la salle, la voix de Damien est couverte par des polyphonies saeziennes improvisées. Ce soir là d’ailleurs, le groupe aura pu constater le sens du rythme de l’assistance. Quand le concert s’achève, la dernière chanson est celle chantée en chœur par la foule. On avait rarement vu un tel engouement. Impossible d’arrêter un public conquis, surtout quand il sent que la soirée s’achève. En même temps que les battements du cœur, les battements des mains s’accélèrent pour témoigner une ultime fois de la satisfaction générale. De pareilles manifestations auraient peut-être mérité un dernier rappel. Mais il faudra ce soir-là se contenter d’un grand sourire du groupe. Dans la salle, personne ne s’y trompe. Il apparaît que le rapport entre Saez et son public ait évolué dans le bon sens. Comme à la maison, on s’est sentis bien accueillis. Comme à la maison. On a envie de revenir. Demain. Dans une heure…

Mais les lumières se rallument et déjà on se dirige vers la sortie. Quelques uns espèrent encore, attendent un éventuel signe. Devant la Cigale, il fait nuit mais tous les visages sont illuminés. Des taxis s’arrêtent, ils passent au bon moment. Les sourires ont du mal à se dissiper. Ce soir beaucoup rêveront de ces instants vécus. On peut croire que les minettes ont attendu là. Mais non. Quelques minutes plus tard, l’entrée est presque désertée. Chacun a eu son soul de bonheur. On se dirige enivré vers le métro. Là, on reconnaît les chanceux qui ont partagé ces heures avec nous. On plaint les autres, qui ne se doutent de rien. Pourtant, nous qui y étions, nous savons que la magie a eu lieu. Spontanément engagé pendant le show, le public se fait naturellement poète pour commenter l’évènement du 1er Juillet sur Internet dès le lendemain. Car l’aventure ne finit pas quand la musique s’arrête. Saez, c’est d’abord un partage et il faut raconter à ceux qui n’étaient pas là. Il faut mettre des mots sur nos émotions. Et ce partage aussi fait partie du concert. Pour sûr : l’inspiration ne manquera pas.

Tioum