Deux concerts, deux générations, deux ambiances formidables hier soir à Nancy. Saez, seul sur scène, a enflammé la salle Poirel, où il s’est produit à guichets fermés. Pendant ce temps, au Zénith, Bernard Lavilliers a proposé un superbe « voyage » à 3000 fans, sur des rythmes latinos ou reggae rapportés de ses pérégrinations au Brésil et en Jamaïque.

« A l’amour, à la mort ! »

Saez acoustique a offert deux heures et demie de plaisir, entre colère et tendresse, à une salle Poirel comble.

S’il n’y avait qu’une image, une sensation à garder de concert, ce serait ce « Fils de France » repris en chœur par l’assistance debout. Certains frappent des mains en mesure tandis que d’autres agitent le bras. L’hymne à la liberté, à la non-résignation écrit au lendemain du premier tour des dernières présidentielles est plus que jamais et douloureusement d’actualité.

Interprété l’émotion à fleur de peau, l’ensemble du répertoire de Saez raconte d’ailleurs ces périodes troubles que traversons, les excès qu’elles peuvent engendrer. Il y a à comprendre également comment on en est arrivé là.

On le connaissait rock, radical dans l’expression, capable de pousser ses partitions vers le paroxysme, la version acoustique est, elle aussi, une interminable extase, de celle que seule la musique peut apporter… quand les mots qu’elle charrie viennent également de l’âme.

Jeunes, à majorité, les spectateurs sont venus pour ce cocktail d’une redoutable efficacité. Peut-on parler de mystique pour évoquer ce lien puissant les unissant à un artiste qui a su cristalliser dans son verbe tout à la fois suggestif, lucide et généreux, leurs angoisses, des espoirs comme quand, ponctuant un couplet, il questionne pour décrire le sourire d’un enfant « et si c’était ça l’avenir ! »

Dignité

Beaucoup de chanteurs, quel que soit leur registre, ont tâté de l’acoustique avec, comment ne pas le rappeler, plus ou moins de bonheur. Jamais, nous n’avions été conviés à un tel spectacle, une telle harmonie entre les cordes d’une guitare, les notes du piano, celles d’un clavier et une voix dont le timbre peut se faire, tout à la fois plaintif, vengeur ou définitif pour rappeler l’essentiel : la dignité que devrait être toute condition humaine.

Poirel qui affichait depuis de longues semaines complet, constituait un écrin idéal pour ce genre de concert dont le « héros » n’hésite pas à quitter le micro pour venir chanter, assis sur le devant de la scène, un peu plus près de ceux qui, dans la pénombre, murmurent ses textes… « Un monde fait de lumière et de neige en été, de soleil en hiver et de nuits d’amour… Mais c’est plus fort que moi. Et je n’y peux rien. Ce monde n’est pas pour moi. Ce monde n’est pas le mien ! »

Avec rage

Damien Saez, entre deux titres, évoque le premier concert de son histoire officiel au Terminal Export. Regrette de ne pas avoir fait escale à Nancy pour la partie électrique de son actuelle tournée. Une façon d’annoncer la venue sur scène de ses deux complices de toujours Antoine et Frank. Avec le premier, il fait un détour, enchanté toujours, par le répertoire de Léonard Cohen. En compagnie du second, deux guitares incroyablement complémentaires, Saez enchaîne les morceaux choisis que sont « Jours étranges », « Saint-Pétersbourg »…

Porté par l’authenticité d’un interprète à des années lumières de tout ce que nous impose un show-biz sans imagination, ce récital porte en lui quelque chose d’extraordinaire régénérant, une authenticité dont le mérite premier est de remettre en cause bien des principes érigés en fausses valeurs.

Alors comment ne pas partager la danse aussi effrontée que désespérée de « Debbie », l’ennui de générations entières laissées pour compte, se jeter dans l’inconnu avec rage en espérant « un jour d’humanité ». Le tout asséné selon un principe qu’il a fait sien et rappelle dès le début du concert : « A l’amour, à la mort ! »

Jean-Paul GERMONVILLE