Grâce à des prestations scéniques plus qu'énergiques, Saez a enfin pris toute sa dimension et est devenu en quelques mois la révélation rock de cette fin siècle. Alors qu'il termine tournée à travers la France, Damien accompagné d'Antoine (claviers) et Franck (guitare) - revient sur ses prestations live, sans oublier les sujets qui lui sont chers. On le dit provocateur, lui se veut réaliste, direct et franc. Entretien direct et sans détours avec un jeune pas si con que ça...

Tu es retourné à Dijon par le biais de ta tournée. Ca te fait quoi de revenir dans ta ville natale dans ces conditions ?

Saez : Ca te permet de régler tes comptes. Dijon c'est une ville de merde, c'est tout ce que je déteste.

Antoine : En fait, il y a un esprit assez sclérosé à Dijon, si tu ne rentres pas dans les petits circuits bien spéciaux, si tu n'as pas joué dans les groupes underground, si tu n'as pas dans les lieux de passages obligés, tu es vite considéré comme un paria.

Saez : Bon, c'est moitié plaisanterie à propos de Dijon. En même temps, c'est là-bas qu'il y a tous nos potes, c'est là où on s'est rencontrés avec Franck et Antoine : Et puis, on n'y avait encore jamais joué. Mais, là-bas, il ne se passe rien au niveau musique. D'un autre côté, c'est une ville qui a un gros atout, c'est elle qui donne envie de partir quand tu es jeune. Ce qui n'est pas rien parce que finalement si elle était entre les deux, on y serait peut-être restés, alors que là, tu sais à quoi t'en tenir. C'est sympa pour le dimanche, c'est cool, il y a des rues piétonnes. C'est vachement jolie, même si ça coûte un peu cher pour l'immobilier (Rire).

La scène qu'est-ce que cela représente pour toi ?

Toulouse... Tu me parles de scène, moi je vois Toulouse, c'est là, vraiment qu'on a capté le truc. Quand on était en session acoustique on a fait pas mal de villes et honnêtement c'est là-bas qu'on s'est pris la baffe. C'est là que tu comprends pourquoi t'as choisi de faire ça dans ta vie. Trop beau quoi.

Tu as souvent critiqué le public lorsqu'il ne bougeait pas assez comme à Paris ou à Marseille. Pourtant un bon concert ne se juge pas nécessairement sur le nombre d'excités dans la salle, non ?

Deux jours avant l'élysée Montmartre, c'était Lille et là c'était l'hystérie dès le départ. C'était vraiment hallucinant, mais bon c'est connu que là-bas le public est plus rock, plus chaud. A Paris, les gens ont le choix d'aller voir des concerts totalement différents. Donc ils y vont en t'attendant un peu au tournant. Des potes m'on dit que, pendant tout le concert, il y avait des mecs qui sont restés assis au fond de la salle, qui chantaient les paroles; qui connaissaient tout et qu'à partir de Sauver cette étoile, vraiment c'est passé à un stade. Ils ont commencé à se lever, à rentrer dans le truc. Après c'est vrai qu'un bon concert ce n'est pas forcément l'hystérie, ça c'est plutôt un truc de média de se dire ça. C'est vrai que ça peut-être très calme, avec peu d'applaudissement mais les gens sont là, écoutent et son attentifs. Après à Marseille c'est différent. Ce qui s'est passé et qui m'a gavé c'est que je suis né dans la région, j'ai passé mon enfance entre Sisteron, Manosque et Marseille, j'ai ma famille là-bas. Et sur cette date, il y a un morceau qui est tout con qui s'appelle Frère et sur lequel je n'ai pas pu m'empêcher d'improviser une rime facile : "Frère de Paris, Frère de Marseille". Il y a des mecs qui ont sifflé et ça pour moi c'est pas possible, ça ne passe pas. C'est pas à moi qui vont la faire. En plus venant de là-bas, c'est clair j'te rate pas. La chanson d'après, j'ai pris la parole pour 30 seconde en disant : "Ben, je ne sais pas si vous savez mais moi aussi je suis né dans la région, avec le même soleil... comme quoi vous voyer c'était pas gagné..." Ca m'a énervé, parce que t'es pas à un match de foot. Pourtant, j'aime le foot, je vais supporter Marseille mais ce n'est pas pour ça que je ne vais pas taper sur les Parisiens. Faut arrêter le truc : on vit en autarcie, c'est notre identité, on porte le drapeau, etc. Ca va 5 minutes... A un moment il n'y a pas que toi sur la planète.

Mis à part ces cas précis, tu joue quand même beaucoup la carte de la provocation par rapport au public, c'est libéré ?

Saez : C'est parce que je kiffe ça. Franchement, je m'éclate comme ça et ça l'fait. C'est ma démarche, mon caractère. Je ne suis pas là pour cirer les pompes ou pour faire l'introverti quand je n'ai pas envie de le faire. Il y a des soirs où c'est différent comme à Montpellier. Ce soir-là, je n'étais pas très bien sur scène et ça n'allait pas du tout vers la provocation.

Franck : Il y avait autre chose dans ce concert...

Saez : Ce concert avait carrément une autre âme, j'étais mal dans ma peau et ça devait se ressentir, ce qui fait que certaines chansons passaient bien dans ce domaine là et d'autre moins. Mais ce n'est pas un calcul, c'est pas étudié...

Et si tes provocations finissent par emmerder le public, ça ne te dérange pas ?

Ben tu sais quoi, sincèrement c'est cool. Si des personnes partent c'est qu'elles n'ont rien à faire là. Et c'est très bien. Les gens ont bien raison de se casser si ça les gave. Je vais prendre le cliché d'Oasis, quand on leur demande de répondre au sujet de leur ressemblance avec les Beatles, ils répondent : "Espèce de connard, c'est toi qui mets 120 balles. Moi, je suis gros, gras et riche et toi t'as payé mon disque." Cette démarche, je l'aime bien parce qu'il n'y a pas de paradoxe. C'est pas je me le joue pauvre alors que je le suis pas, ce n'est pas je me raconte ceci ou cela. C'est du rentre dedans et après tu le prends au premier ou au second degré, c'est ton choix. Mais au moins ça ne caresse pas dans le sens du poil.

Le fait de monter sur scène avec un T-shirt où est inscrit, le rock est mort, ça pourrait vouloir dire que tu entreprends le ressusciter le genre ?

Honnêtement je crois qu'il n'y a pas besoin de moi pour être ressuscité. Pour moi le rock est mort, ça n'existe pas, c'est une ironie. D'après moi, le véritable succès techno c'est Prodigy et c'est du punk. Cypress Hill c'est du rock, les Beastie Boys c'est du rock, après il y a du métissage, ça évolue, mais je ne pense pas que l'on puisse dire d'un courant musical qui dure depuis plus de 50 ans qu'il soit mort. Où alors c'est tous les 10 ans qu'il mort...

Arriver sur scène avec un T-shirt comme ça, c'est quand même provoc...

Ouais c'est provoc, mais d'habitude c'est plutôt Maman, baise-moi. Mais ça c'est plus en référence à j'irais tuer mon père de Jours étranges. C'est le complexe d'OEDIPE caricaturé. Maman, baise-moi, c'est seulement dit de manière un peu crû, c'est tout. Mais, est-ce que cela est aussi choquant que ça ... ? Dans le fantasme, j'entends. Après le faire c'est autre histoire. Ouais, le faire, carrément pas. Ca serait un peu dur (Rires).

Certains en arrive à croire que tu as la grosse tête. Est-ce que tu ressens un problème à ce niveau ?

Ouais, en fait je m'en branle complètement. En France, il y a un problème avec le fait d'être au devant de quelque chose. Je ne supporte pas les gens qui vont sur scène, qui parlent dans un micro, qui s'habillent et se maquillent (choses que je ne fais pas) et qui arrivent en s'excusant presque d'être là où ils sont. Si tu es timide, ou si tu es intimiste d'accord... mais je n'ai aucun problème avec le mec qui arrive et qui dit moi je suis une rock star et je t'emmerde. En France il y a un problème avec ça, il faut faire l'humble tout le temps : la fausse modestie, je suis polie et tout le reste. Maintenant si Saez a la grosse tête alors ne venez pas l'interviewer c'est tout. Mais en tout cas moi avec ma grosse tête, je ne fais pas une pub TV en tirant sur l'ambulance. Ce que je veux dire par là, c'est pourtant un groupe auquel je reconnais beaucoup de qualités... mais Noir Désir m'a déçu le jour où ils se foutaient des Boys Band. C'est une pub où ils s'entraînaient dans un gymnase et ils jouaient le rôle d'un boys band. Et ben moi je trouve ça facile, surtout quand tu es chez Universal qui produit Alliage et machin. C'est pareil, il y a une interview qui est sortie dans JDD dont je ne me souvenait même pas et tout Barclay m'en veut parce que j'ai cassé Vanessa Paradis. Et tu vois Barclay et Island c'est la même boîte. Et ben quoi ? Ca va m'empêcher de dire que je trouve l'album pourri ? Ce n'est pas méchant, ce n'est que mon avis. Mais après ça prends des tournures du style il a la grosse tête et tout ça, c'est n'importe quoi.

Pour les décors de scènes, tu as parfois utilisé le visuel de Sauver cette étoile, avec une thématique très portée sur l'Europe. C'est un sujet qui t'est cher ?

C'est juste que l'Europe, j'aimerais savoir ce que c'est en fait. A part l'Europe des monnaies... je comprends très bien que des banques fassent leur accord et deviennent plus puissantes face aux états-Unis... Ca je le capte mais maintenant ce qui s'est passé en Yougoslavie... c'est quand même à la frontière de l'Italie, c'est à 1000 km du sud de la France, et là quand on parle d'Europe, j'ai plus de mal. Aujourd'hui, on est dans l'idéologie de l'argent, dans tous les domaines, mais je pense que ça a ses limites. Si être des gens égaux, c'est taper sur le même ordinateur, pouvoir se connecter à l'autre bout du monde, ça ne fait pas pour autant de nous des frères. Ce n'est pas ce qui changera les guerres. Tout ça c'est bien joli, mais j'ai l'impression qu'on ne va pas à l'essentiel, on parle pas de culture, on ne parle pas de partager des choses. Mes petits frères sont à l'école, il n'apprennent pas les langues vivantes à l'école primaire. Pour moi, déjà, ça serait censé être ça l'Europe. Apprendre d'autres langues, comprendre d'autres formes de pensées... Et bien il y aura l'Euro avant et ça qui m'irrite

Concernant les valeurs humaines, tu critiques les nouvelles technologies de communication comme Internet. Ca a tout de même des bons côtés, non ?

D'un côté c'est génial et de l'autre c'est pourri parce ça sclérose tout. Au bout d'un moment tu reste bloqué chez toi, à commander de la bouffe par téléphone et puis il n'y a plus rien. pour l'Internet, le téléphone cellulaire et tout ça c'est de l'aliénation où comme toujours il y a 10 % de bon et 90 % de mauvais, comme la TV, comme tout quoi... évidemment que dans Internet il y a des choses qui sont super. Mais internes comme TF1, les sites les plus regardés c'est les sites de cul ou le truc pour avoir de la musique gratuite... Enfin ça encore ce n'est pas le pire, parce qu'au moins ça lève un certain paradoxe.

C'est à dire ?

Personnellement je m'en branle du MP3. On me dit que je perds de l'argent et bien oui et alors ? Tu vas raconter que tu veux sauver la planète et tu vas te plaindre parce que tu ne prends plus tes 10 balles par disques ? Là où c'est dommage et qu'il y a un risque, c'est que lorsque les majors perdent de la thune, ceux qui morflent c'est les spés et pas les commerciaux. Le jour où elles commencent à perdre de l'argent c'est pas Florent Pagny et Cie qui vont être touchés. C'est les petits. C'est ça qui est gênant. Et puis, le problème avec Internet et le reste, c'est que c'est forcément des grosses multinationales qui sont derrière et c'est qui ça qui me gave. Universal ils sont avec SFR ou truc, et le jour où ton album va sortir, et bien tous les abonnés SFR vont recevoir un message sur leur portable pour annoncer la sortie de l'album. Moi, ça me fait pitié. T'as besoin de quoi ? Tu vas aller réveiller le mec dans son sommeil et lui annoncer ? C'est plus du marketing, c'est du fascisme à ce niveau là. Voilà où tu en la communication et bien pour moi ça n'y sera pas. On peut me convaincre que je vendrais plus d'albums, que je rentrerais de quoi me payer une piscine avec ça... C'est bien, mais je m'en carre complément. Parce que ce n'est pas un bon système, c'est pas humain. Et ça fait chier au bout d'un moment.

Tu rejettes tous ces gadgets de la communication moderne mais paradoxalement tu t'en sers aussi...

Ouais, mais l'autocritique, ça existe. Ce n'est pas parce que je dis ça que je le fais. Tu peux parler de la drogue sans te droguer, tu peux parler du suicide sans te suicider. S'il faut faire tout ce que l'on dit... En tout cas, je fais l'effort. Pour les choses importantes, je ne passe pas de coup de fil, j'écris une lettre. Parce que ça me plaît, mais aussi parce que je préfère dire à quelqu'un que je l'aime en envoyant une lettre qu'en le disant au téléphone, c'est bête et con. Parce que c'est écrit, ça reste, c'est des mots auxquels tu as réfléchi. Ce n'est plus des tics de langages, ça se formule et ça prends tout son sens. Maintenant on vit aussi, et ça m'arrive d'aller au Mc Do'. Ca n'empêche qu'aujourd'hui j'ai aussi tendance à penser que ce je fais on s'en branle. Si moi je n'utilise pas Microsoft tout le monde s'en fout, ça n'aura pas d'impact. Maintenant si dans un album qui est tiré à tant d'exemplaires, je les traite de fachistes alors là ça aura plus de poids dans l'album que de savoir que je ne l'utilise plus. Parce que c'est écrit, c'est noir sur blanc. C'est la différence entre moi et le disque. Même si au bout d'un moment les gens focalisent sur toi, au bout du compte, ce n'est pas toi qu'ils aiment. Toi tu es la représentation de ton disque. T'es la représentation de tes paroles, mais c'est pas toi en train de te brosser les dents. C'est une partie de toi.

Tu es donc parfaitement conscient de faire partie d'un système ?

C'est clair et à ce sujet je suis déçu, quand j'entends Tom Yorke qui dit qu'il ne fait pas de promo pour le dernier Radiohead, alors qu'on le voit une semaine après à NPA. Ca me fait rire. Au bout d'un moment ton disque, il est dans les supermarchés comme tout le monde. Ca ne sert à rien de jouer à un jeu. Si t'es dans un système commercial, assume-le. T'as le droit de critiquer ce système, t'as le droit de te battre contre. Je l'assume parce que même si j'en fais partie, j'estime que je le critique de l'intérieur. Moi au sein de ce système, j'ai les pleins pouvoirs, et je les ai vraiment. Il n'y a personne qui me dit de faire ci ou ça, les photos c'est nous qui les choisissons, le titre de l'album, les sigles aussi. Si on veut faire des inédits pour les donner, faire des 4 titres au lieu des 2 titres, on le fait. On est libre. Oui ça fait chier de passer par les supermarchés, ce n'est pas une société que l'on respecte, mais si pour être entendu tu dois passer par ce système-là et bien fais-le. Mais ne te la raconte pas genre, je suis totalement en retrait de ce système alors que le maison de disque fais des pubs TV pour vendre ton album

Rebelle et tourmenté, ça te convient comme adjectifs ?

Je mettrais plus réaliste à la place de rebelle et tourmenté je le remplacerais par écorché.

Qu'est-ce qui ferait que le monde soit meilleur ?

Je ne sais pas... Qu'il brûle ? Qu'il soit mis en jachère un peu .