Rencontre avec un rockeur solitaire à l’âme dévorée par les vers

Saez trempe sa plume dans l’acide, comme d’autres trempent leur paille dans le Crystal ou la cocaïne, pour mieux l’enfoncer dans les plaies suppurantes du monde occidental. Et suintent le vice, la came, le fric… Treize années ont passé depuis la sortie de Jeune et Con, l’hymne d’une génération sacrifiée sur l’autel du capitalisme et de l’hyper-consommation, qui lui a permis de se faire un (re)nom.

Dans son nouvel opus, Miami, Damien Saez renoue avec une prose « du réel » portée par un son rock quasi-insurrectionnel, mâtiné de pop et d’électro, et hantée par les monstres sacrés de la chanson. Les ballades mélancoliques aux instru’ dépouillées y côtoient les chansons rock aux cordes saturées. Ses obsessions restent les mêmes, celles d’un « jeune » homme esseulé, un peu paumé, qui brûle le pavé des citées polluées, de Paris à Miami, qui croise la chemin des voyous, des catins, des sans-le-sou, des lupins, mis au ban de la société, celles d’un éternel enragé qui crache sa bile sur les rois de Wallstreet et leur cour de vautours. Rencontre avec un rockeur solitaire à l’âme dévorée par les vers…

Pourquoi avoir choisi de baptiser ce nouvel album Miami et pas Los Angeles ou New York ? Quels sens cristallise cette ville de Floride pour vous ?

Miami, parce que c’est beaucoup plus club. Los Angeles incarne surtout le cinéma et la musique. Miami, c’est Miami Beach, qui incarne les vacances de la superficialité. C’est surtout la vision qu’en ont les gamins d’ici. Ce qu’incarne Miami influence la sexualité des adolescents de notre pays. C’est une gamine de douze qui porte un string au collège.

Le visuel de Miami montre dans un même cadre les fesses d’une femme – la miamian-type un peu bling en maillot de bain – et la Bible, qu’elle tient dans ses mains. Pourquoi choisir d’associer sexe et religion dans une même image ?

Parce que c’est les Etats-Unis. C’est le paradoxe total entre moralisation et sexualisation. Ils jurent sur la Bible quand ils deviennent présidents et en même temps ils possèdent la plus importante industrie pornographique du monde. Sur le dollar, c’est écrit « On croit en Dieu ». J’aime bien la photo aussi, car la position de la fille transforme la Bible en une sorte de rempart… Comme si elle protégeait son cul. C’est une photo ambiguë. Elle ne montre pas tout. C’est le paradoxe entre la morale et le délire.

Craignez-vous de voir le visuel de Miami censuré par les régies publicitaires, comme ce fût le cas en 2010 pour J’accuse, qui représentait une jeune femme nue lovée dans un caddy ?

Bien sûr ! Ça ne va pas passer. Chez iTunes, ils n’en ont déjà pas voulu. Mais eux, ils peuvent aller mourir. Et les autres, c’est pareil. Ils sont en phase avec rien. Et pourtant… J’arrive dans une salle, il y a une télé allumée, je tombe sur une pub. C’est une pub Citroën avec une gamine, qui doit avoir trois ou quatre ans, sur un cheval, nue, pour vendre une voiture. Nouvelle pub Citroën avec un cheval, et toute la symbolique qu’il y a autour, pas un poney, un cheval, et une enfant pas loin du stade du bébé, sur le cheval, nue… Mais, ce n’est pas un caddy, c’est Citroën.

Dans Rochechouart vous semblez faire un clin d’œil un peu cynique à la chanson de Jacques Dutronc Il est cinq heures, Paris s’éveille lorsque vous chantez « Il est cinq heures/les éboueurs/vident les cœurs/des villes en pleurs ». Pourquoi ?

Ce n’est pas ma volonté. Pour moi, ce n’est pas une référence à la chanson de Dutronc. C’est drôle. Lorsqu’on rentre sur Paris le soir vers cinq heures, c’est exactement ce qui se passe. A cette heure-là, on voit la ville qui se réveille. D’où la phrase « Les éboueurs/vident les cœurs/des villes en pleurs ». Pour être honnête, cela raconte un peu le parcours de mon frère. Les scènes décrivent exactement ce qui se passe. Dans son cas, une chevauchée sur les camions poubelles, où il croise les dealers et les filles de ces quartiers-là. C’est l’une de mes chansons préférées.

Les chansons Le Roi et Cadillac noire m’évoquent le dernier film de Cronenberg, Cosmopolis, dans lequel un Golden Boy parcourt New York dans sa limousine. « Dans ma Cadillac noire/Je traverse les villes/Je ramasse les filles ». Avez-vous vu ce film ?

Non, je ne l’ai pas vu. En revanche, ces chansons me rappellent American Psycho. Il est dans sa limo et il ramasse des putes. J’ai toujours du mal à parler de mes chansons. Mais, il m’arrive de faire référence à certains films. Dans la chanson Que sont-elles devenues, y’a une réelle référence, puisqu’il y’a la phrase « On projette en sourdine un dernier tango » et qu’à la fin je me prends pour Brando [Marlon Brando dans le film de Bertolucci Le Dernier Tango à Paris, ndlr].

La drogue est omniprésente dans Miami : le murmure lancinant « Cocaïne, cocaïne » dans Miami, les vers « J’me tape des bangs à Bangkok/De la ganja sur le Gange » dans Que sont-elles devenues et bien sûr la chanson Des drogues. Pourquoi ?

Parce que je pense que la drogue est omniprésente dans nos sociétés occidentales. On cumule. Quand on voit le nombre de gamins aux pétards et le nombre d’antidépresseurs consommés dans nos sociétés. C’est beaucoup de drogues. Ça ne concerne pas 10% de la population. Dans Des drogues, je parle de toutes les drogues. « Des drogues pour les sanitaires », cela veut dire qu’on te vend n’importe quoi, même pour décorer tes chiottes. Les drogues, ce ne sont pas seulement celles qu’on se met dans le nez ou dans la veine. C’est l’iPhone aussi. C’est ce phénomène d’accoutumance. A la fin [de la chanson Des drogues, ndlr], la drogue devient carrément un verbe : « dédrogues-toi ».

Vous refusez le label d’artiste engagé pour lui préférer celui d’artiste enragé ? Qu’est-ce qu’un artiste enragé ? Qu’insuffle la rage à votre écriture ?

Je ne me revendique pas artiste enragé. En revanche, je pense que, de nos jours, une écriture réaliste semble être une écriture engagée. Mais, il y a une différence entre l’engagement et l’écriture réaliste. Fils de France est une chanson engagée, parce qu’elle est gratuite, parce qu’elle concerne un moment précis. Mais, quand je cite des choses, des faits, je suis dans le constat. Je me mets un peu dans la peau de Zola, celle de décrire réellement ce qui se passe. C’est une écriture réaliste. Moi, c’est comme cela que je vois le truc. L’engagement, je l’associe avec quelque chose de l’ordre de la personne. On s’engage personnellement. Cela va plus loin que d’écrire un texte.

Honoriner

Source : www.planetecampus.com