Un concert du groupe Saez, ça se vit, ça s’écoute d’abord. Le texte est riche, à fleur de peau. Et si l’on ne peut reprocher au public l’envie de sauter ou « pogoter » sur certains titres, pourquoi crier sur d’autres, au risque de saper un texte plus intimiste ? D’où le « Chut ! » que lance le chanteur, auteur et compositeur, Damien Saez, à un spectateur des premiers rangs. Le seul petit couac mercredi soir, au Zénith de Caen, vite éclipsé par une soirée intense, puissante.

Des ados aux « quinquas », le public était intergénérationnel, pour reprendre une expression à la mode. Une surprise ? Un peu, si l’on s’en tient au cliché éculé d’un chanteur pour grands adolescents désabusés. Même si dès 16 h, il y avait des étudiants à faire le pied-de-grue devant l’entrée du Zénith, leurs parents étaient là aussi le soir. La noirceur, Damien Saez ne la renie pas, il en joue même. On ne l’écoute pas pour se distraire. « Amis de la gaieté, bonsoir », lance-t-il à un moment.

Les échos d’autres univers

À rebrousse-poil d’un concert-rock, c’est seul, guitare sèche à la main, et éclairé par l’unique faisceau d’un projecteur de poursuite, qu’il entre en scène vers 20 h 50. Et c’est parti pour une première heure, balançant entre déclarations d’amours écorchées, désespérées, où la guitare et l’accordéon dépeignent une atmosphère brumeuse de petit matin portuaire. Voire de fin de monde.

On ne peut s’empêcher d’y entendre l’écho d’autres univers. Ceux dont Damien Saez est aussi l’héritier. On entraperçoit l’ombre d’un Jacques Brel, d’un Léo Ferré… Sur d’autres, la fureur d’un rock plus contemporain. On pense à Noir Désir, époque Tostaky. Particulièrement en fin de première partie, avec Ma petite couturière. Une vraie tempête ! « Ma petite couturière, elle est pas haute couture, mais faut voir quand elle coud des ourlés à mon cœur […] Ouvrière s’est perdue, cherche reconversion, le patron a fermé tous les champs de coton ! » hurle le chanteur. Break de batterie, projecteurs coupés. Pas le temps de souffler, ni d’atterrir. Il est 22 h. Les lumières se rallument. « C’est déjà fini ? » demande mon voisin.

Le fil rouge de Saez

Non, un quart d’heure après, le show reprend sur le rythme des beat-boxes et de samples de Mickaël Jackson ou de Snoop Dog. On entre dans l’univers du nouvel album avec le titre éponyme Miami. « Mia, Mia, Miami, Cocaïne, Cocaïne ». Un texte cru, sans concessions, mais extrêmement bien balancé. Pour dénoncer ce que Damien Saez abhorre : une société de consommation sans repères, ni morale humaniste, qui asservirait hommes et femmes sous le joug du dieu « argent ». C’est le fil rouge de Damien Saez. Et s’il n’adhère pas au label « engagé », il revendique celui de « révolté ». « Fuck you Goldman Sachs ! » vomit le chanteur dans un véritable tonnerre. Il est près de 23 h, le tube J’accuse tombe enfin. « L’homme ne descend pas du singe, il descend plutôt du mouton », répète à deux reprises l’un des couplets.

On aime ou on n’aime pas. Reste que Saez use d’une écriture ciselée, trempée dans l’encre rageuse au service d’une poésie brute. Des textes d’une beauté sauvage. Alors à quoi bon surjouer la provoc’( sur la pochette de son dernier album, une bible cache l’entrecuisse d’une femme) ? Sûrement pour dénoncer les travers d’une société consumériste qui flatte les plus bas instincts, où le sexe et les corps sont exploités pour faire vendre, pour faire le « buzz ». Quitte à être censuré. Mais au risque de prêter le flanc à la critique par l’utilisation de facto des méthodes commerciales qu’il dénonce…

Pascal SIMON

Source : www.ouest-france.fr