Insaisissable artiste assimilé au rock français pour ado - de par sa large part du gâteau dans les torchons rock, où partage les couvertures et les Blinds Test à deux sous avec Tokio Hotel, Avril Lavigne et autre – Damien Saez est pourtant de la trempe de ceux que le talent de composition et d’écriture n’ont d’égal que son obstination à aller là où son inspiration le mène. Propulsé star de la nouvelle génération X avec Jeune et Con, son Smell Like a Teen Spirit à lui, l’obligeant à l’instar de Kurt Cobain à dépasser les frontières du paysage rock qui lui convenait. Saez a choisi, en lieu et place du coup de fusil en pleine tête, de voguer sur ses envies musicales et d’user de la patience de ses maisons de disques (quasiment une major à chaque opus) pour le bien de son intégrité artistique. Explosions électriques incontrôlables (Marie ou Marylin) agrémentées de paroles blasphématoires, hymnes aux putains (Debbie) et aux bas-fonds des quartiers sordides ou ritournelles amoureuses en double albums, jamais les radios n’ont pu se remettre sous la dent un titre aussi calibré que Jeune et Con. Et 2007 a jeté un froid sur la carrière de la poule aux Œufs d’or : après un an et demi de silence, Saez revient le temps de trois concerts sold out au Bataclan les 18, 19 et 20 juin. Trois shows entièrement acoustiques où l’artiste dévoile de nouveaux titres, exclusivement en anglais. Killing The Lambs, Numb, Julie ou Yellow Tricycle sont alors joués, tandis que Damien Saez promet de revenir avec un triple album acoustique, probablement en Anglais. Cela suffit à épuiser sa maison de disque et voilà Saez, ravi, qui signe chez Cinq7, label indépendant, tout juste auréolé du succès inattendu et énorme de The DØ. Puis Jeunesse Lève Toi apparaît en téléchargement libre sur le net. Un titre qui justement, dans le propos, a des airS d’hymne générationnel. Contre-pied parfait, Saez revient sur le devant de la scène, avec un triple album calme et tempéré, entièrement en français, digne d’un artiste ayant gagné en profondeur ce qu’il a délaissé en Watts. Exit les morceaux anglophones joués l’année précédente (l’artiste n’exclue pas de sortir vite un nouvel opus dans la langue de Shakespeare d’ici peu), le chanteur balaye les dernières traces d’électricité et dépouille la structure de ses morceaux, ne laissant finalement transpirer que l’essence émotionnelle de ses titres. Illustrée par 3 clichés de Jean Baptiste Mondino, la pochette, sobre, nous fait glisser dans l’univers d’un Saez loin des strass que la plupart ont pu lui prêter.

Si Varsovie et L’Alhambra, épurés à l’extrême ne parleront qu’aux fans les plus fidèles et aux mélancoliques, tant la texture et les textes des titres sont emprunts de tristesse et de douloureux souvenirs, Paris, lui, s’adresse de façon universelle à tout ceux qui prendront le temps de glisser dans la bulle sociale de l’artiste. Mes réticences au concept ont fondu à l’écoute des 10 titres qui composent cette partie du triptyque, tant la qualité musicale est énorme. Batterie effleurée, ne s’autorisant que de rares incartades en territoire rock (c’est Clive Deamer, qui a accompagné entre autre Rober Plant et Jeff Beck que l’on retrouve sur cet album), guitares acoustiques et chant au bord du tremblement, cet habillage musical sied au mieux à l’écriture sensible de ce romantique à la voix fluette. Alice rappelle Noir Désir, avec ces quelques arpèges de guitare, sec et triste avant que se mette en place un lourd climat rythmique, envoûtant. On a pas la Thune explore les terres d’un reggae blanc, un peu dans la veine de Manu Chao, incorporant de ça et là quelques touches hispanisantes et Putain Vous M’Aurez Plus, avec ces percussions et ces chœurs chamaniques, est simplement grandiose. L’amour prend le dessus, la rupture amoureuse plutôt et ce nouveau souffle laisse tout l’espace nécessaire à Saez pour nous souffler le vent sec de son amertume dans l’écume de nos sentiments.

Définitivement le plus ouvert des trois, le moins déprimant aussi, c’est certain, Paris s’impose par la beauté de sa composition et la justesse de ses textes. Un album qui devrait rappeler à chacun l’homme caché derrière son tube, capable de très grand. Le chemin que suit le jene dijonnais devrait finir de l’imposer comme l’un des meilleurs compositeurs français de sa génération, libre dans ses choix et pas prêt à rejouer le jeu de l’industrie. ‘‘On a pas besoin de leurs Dollars / Juste des rêves et sa guitare / C’est le soir de l’indépendance / C’est le soir de la renaissance’’ chante t’il sur S’en Aller. Procession de foi donc.

Iro22

Source : www.destination-rock.com