Vous ne l’avez pas vu dans les médias. Vous ne l’avez pas vu non plus sur les murs du métro (même si ce n’est pas faute d’avoir essayé). Vous ne l’avez pas même vu sur la pochette de son dernier album, puisque tout porte à croire que le derrière qui s’y affiche n’est pas le sien. Aussi faut-il faire le déplacement pour prendre des nouvelles de l’ami Saez. L’ours est sorti de sa tanière hier, pour un concert un Zénith de Paris. On ne pouvait pas manquer ça !

Les mauvaises langues vous diront qu’à un concert de Damien Saez, la bière est omniprésente. C’est vrai, mais c’est justifié. Car que faire, avant le spectacle, lorsqu’il n’y a pas de stand merchandising (et donc pas de tee-shirt estampillé « La carte bleue dans la chatte » pour vous, mesdames) et que chaque bande-annonce sur les écrans se voit accueillir d’un « A mort la publicité » ? On boit, ou on refait le monde, ou les deux. Un passe-temps universel pour le public de Saez, qui se compose essentiellement de jeunes mélancoliques tendance émo et de quadra ironiques que l’on soupçonne de voter Mélenchon. Mais aussi beaucoup (beaucoup) de couples. Le tout dans une ambiance bon enfant, du moins pour l’instant.

20h41. La bête se montre, tout en cheveux et délicieusement engoncée dans un pull noir mettant en valeur ses formes généreuses. « Y’a du sexy sous les pavés ». Mais de son look de pilier de bar, tout comme du fait que les deux premiers titres de sa setlist soient de parfaits inédits, le public n’a que faire. Déjà, le Zénith se hérisse de lueurs de briquets, et l’on entend même quelques spectateurs demander aux autres de se taire. La salle est silencieuse et immobile ; Saez, tout aussi stoïque derrière son pupitre, déclame des vers acappella. L’instant est absolument magique et le chanteur le sait. Maître de ses effets et de son charisme, compère Damien titille son public et « joue à Saez », se plantant sur le devant de la scène pour allumer un clope d’un geste théâtral ou buvant une grande rasade de bière dès lors qu’il est question de boisson sur « Betty ».

Ce n’est d’ailleurs qu’à partir de cette première bouffée du maître chanteur que le public commencera à fumer, comme s’il avait attendu une quelconque autorisation. C’est que le monsieur tient ses spectateurs, qui lui picorent dans la main et répondent au moindre de ses gestes. Il se disait « soldat » au début des années 2000, le voilà général, gourou. Oui, vraiment, « l’homme descend plutôt du mouton », une phrase que Saez prendra grand plaisir à faire répéter à ses fans, créant ainsi une situation paradoxale qui ne manquera pas de le faire sourire.

Ces petits éclairs de bonne humeur sont jouissifs, mais rares : on est à un concert de Saez, après tout, pas à un spectacle de Gad Elmaleh. La plupart du temps, Saez est un personnage habité lorsqu’il déclame, le poing levé, des textes dont il a complètement remanié la rythmique, voire inquiétant lorsqu’il menace musiciens et spectateurs d’un regard encore plus noir que les yeux de Lula. Cette attitude, ajoutée à des réorchestrations particulièrement accélérées et bruyantes, font gagner son répertoire en force de frappe. En témoignent les versions très rock de « Rochechouart » et « Le Roi », une version des « Pilules » au sommet de sa véhémence et, surtout, une « Miami » dont on avait grandement sous-estimé la violence. Sur scène, les bruitages studio deviennent des cris vomis par un petit jeune à capuche sorti d’on ne sait où, la voix de Saez se fait grondement, le public hurle. On se sent à la fois oppressé et enivrés, comme perdu au beau milieu du d’une manifestation sur le point de dégénérer.

Toutes les chansons ne se parent pas aussi idéalement de grosses guitares et de cris. On regrette ainsi le traitement réservé à « Les Printemps », dont le si joli texte se retrouve submergé et inaudible, mais surtout à « Fils de France » qui, tronquée de toute sa montée en puissance initiale, ressemble fortement à un passage obligé pas forcément chéri par l’artiste. Ces deux exceptions faites, et malgré une setlist dont on n’a pas encore compris la logique, tout n’est que coups d’éclats. De l’intro magistrale à son improvisation rap hilarante sur un sample de Michael Jackson, en passant par cette communion parfaite de 8000 personnes chantant « On n’a pas la thune, mais l’espoir, pas le blé, mais l’envie » accompagnées par une simple guitare… Saez, avec ses cheveux huilés, son jean dégueulasse et son pull qui a sans doute fait toutes les dates, tous ses petits détails dont nous aurions tant voulu moquer, redéfinit la notion de respect du public. Pendant trois heures, il donne tout. S’il ne parle pas (il lui faudra au moins cinq chansons pour se rendre compte qu’il n’a pas salué le public), il adapte la setlist et jusqu’au rythme des chansons en fonction des réactions de son auditoire. Les musiciens doivent suivre, ils sont bons, ils le font. Il en résulte pour le public la sensation d’assister à un concert unique, taillé pour lui, de communiquer directement avec cet artiste qui a pourtant fait de l’inaccessibilité son fond de commerce. Ce dernier finit cependant par lâcher prise, en toute fin de concert. A genoux devant ce public qui lui a tant donné, il lance cette phrase si inattendue et donc si sincère : « »Merci pour la fidélité… J’avais 16 ans, j’en aurais pas rêvé autant ».

Merci à toi, Saez. Nous étions venus avec un petit rictus moqueur au coin de lèvres et sommes repartis avec beaucoup de respect pour un mec gronchon mais qui n’a pas volé son statut d’artiste. Putain, Damien, tu m’auras plus.

C. Laze

Source : bringmtsound.com