Oh, bien sûr comme toute jeune adulte qui se respecte, j'avais entendu marteler "Jeune et con" à la radio. "il est huit heures du soir j'ai dormi tout le jour".. de quoi donner le bon exemple, de quoi te proclamer "porte-parole de toute une génération".. peut-être... pas sûr que ce soit si facile à vivre.

et puis il y avait eu la vie qui passe, agenouillée dans l'existence, installée dans une jolie vie de couple où, comme quand on a un enfant on va moins au cinéma, surtout au début, un peu comme ça... moi qui me suis promis que ma vie serait toujours nourrie de musique et de poésie des mots.

Premier concert à 14 ans, Michel Petrucciani. Si petit et si grand sur son tabouret comme ça dans cette salle Jean le Bleu à Manosque, immense. Puis à 16 ou 17 ans, Léo Ferré sur scène, qu'est-ce que tu veux, ça donne une influence. Un fond sonore d'enfance et d'adolescence fait de Simon & Garfunkel, Brassens, Brel, comment dire, ça t'accompagne.

Toi, tu es revenu dans ma vie quand j'étais adulte, en pleine tempête, en plein drame. Et il y a eu une ancre, un ancrage, tes mots, ta musique. Ce qui aide à tenir...

Août, septembre 2012, espérant la sortie de Messine, j'ai tout redécouvert, tout ce que j'avais mis de côté toutes ces années, tout le retard à rattraper, comme au sortir d'un rêve de mille ans.

Je me suis pris en pleine figure "Quand on perd son amour" et "Tango". Violent, très même. Quand la personne avec qui tu vis, avec qui tu as fait un enfant, se meurt sur un lit d'hôpital et qu'il n'y a rien à faire.. soit on passe toutes les chansons par dessus bord, soit on écoute, attentive... c'est ce que j'ai fait.

Je me souviens de ces trajets quotidiens maison-hôpital-maison avec toi en fond sonore, avec le Gaz quand le somptueux Messine est enfin sorti... la digue et l'Isère qui défilent. Sans voix, juste la musique qui hurle pour ne pas penser.

"Tu t’es barré comme ça
Comme un homme a la mer
Parti dans la fumée
Oui mon cœur échoué
Tu t’es barré comme ça
Comme un homme a la mer
Mais manque à mes cotés
Oui l’univers entier"

A la cérémonie d'au-revoir, j'ai pensé diffuser "les meurtrières" mais je n'ai pas voulu. Je ne voulais pas associer ce souvenir-là avec ta musique, et puis ces mots sont si beaux que je voulais les écouter encore sans trembler.

Je ne sais pas trop ce que c'est que faire le deuil.. j'ai beaucoup pensé à "non ça ne m'émeut pas" que j'entendais, la première fois, que j'entends encore comme "non ça ne m'aime pas". C'est beau aussi. Il parait que le temps aide, il parait....

Ce que je sais c'est que mon amour perdu ne connaissait pas ta musique.. ou si peu.

Et je suis partie à la recherche de celle que j'avais laissé sur le bord du chemin, mais avec quelques années de plus, un peu comme quand on fait demi-tour sur sa vie et qu'on comble les manques, les vides. Je suis allée te voir sur scène, je me suis laissée bercer, emmener, j'ai souri de fierté et d'étonnement mélangés en entendant les "chuuuut" agacés en réponse aux cris des jeunes filles.. et j'ai magnifiquement pleuré tout au long de Châtillon-sur-Seine.

Je sais pas comment ça se nomme, ce billet, c'est pas une déclaration de love, non, c'est le chant d'une fille qui a retrouvé le sourire parce qu'il y avait des mots pour l'accompagner, le cri du cœur d'une jeune femme qui s'autorise enfin à être heureuse, malgré tout, c'est la même respiration que pour mes vingt ans, quand je déclamais Phèdre de mémoire, quand je connaissais toutes les Fleurs du Mal et les poèmes de Jim Morrison presque par cœur...

Et puis "s'autoriser à", c'est dire oui à la vie, c'est happer les petits signes qu'elle te donne, comme cette rencontre inespérée qui me mènera peut-être vers toi le 24 juillet, juste pour dire merci, juste pour dire quoi... je ne sais pas, juste pour exprimer une belle reconnaissance.

Tu vois quand je pleure en écrivant, c'est que mon âme participe, "parce que c'est beau et c'est tout". A moins que ce ne soit Rois demain qui inonde mes oreilles.. qu'est-ce qu'on en sait, non mais des fois...

C'est qu'hors toutes les conventions, les normes, les exigences, c'est se dire qu'il faut être là pour les autres, être en première ligne, faire le sale boulot..

Mais pour soi... on fait quoi ? Pour moi, pour prendre soin de moi, il y a eu, il y a toi... ces mots, ces merveilleux mots qui ne trahissent pas, jamais ...et qui ont sauvé ma peau.

Merci à Toi Damien... merci d'être là...merci.

Source : laliesegond.blogspot.fr