Avec 130 000 exemplaires vendus, son premier album, " Jours étranges", fait un malheur. Un succès qui ne surprend pas l'artiste.

C'est l'histoire d'un artiste mégalo au nom coupant comme un silex. Cet été, un jeune homme s'extirpait des ténèbres boueuses du festival Eurockéennes de Belfort pour arriver en salle de conférence, mal luné, l'œil électrique, encore imprégné de ces jours étranges qui l'avaient rendu pâle et angoissé. Il a répondu à coté pendant que les télés crachaient la musique fleuve d'Oasis. Dehors, c'était une pluie ininterrompue.

Damien Saez, tout juste âgé de 23 ans, affrontait les regards et ce qu'il croyait être de la haine. Mégalo, paranoïaque, susceptible, égocentrique : cela fait un artiste, croyez-moi. Et une réputation déjà bien assise de mauvaise tête si enflée qu'elle relègue son entourage dans une jolie discrétion.

"C'est parce que je dois avoir un peu plus de charisme", dit Saez. A ses côtés, deux amis d'enfance et membres de son groupe, Frank, guitariste, et Antoine, clavier. Ceux-là pourraient le détester comme tout le monde - c'est si agréable - mais semblent bien l'aimer, même s'ils ont participé de loin à l'aventure studio. Ils se sont rencontrés à Dijon, copains de lycée, frères en musique et premières notes ensemble, histoire habituelle du rock depuis sa naissance.

"Notre rencontre artistique, se rappelle Frank, s'est accomplie dans un bar. J'avais mes chansons, Damien les siennes et je devais assurer la première partie. Et ensuite, nous avons essayé de jouer ensemble. Mais au bout du premier morceau, Damien m'a regardé et a dit :"C'est bon, j'arrête. Il y a des gens qui boivent des verres, je les entends parler. Je n'ai plus envie." Damien était assez perso. Il faisait tout, tout seul, et ce soir là, il m'a posé un plan..." Ainsi naquit un esprit difficile, capricieux, trouvant anormal qu'on boive des verres dans les bars et qu'on parle au lieu de l'écouter. "J'avais l'impression que les clients me rejetaient", ajoute Damien. Lui au départ était un chanteur à textes, Frank et Antoine portaient ce prêche du rock, ce son entendu, des Pink Floyd aux Rolling Stones. "Ils étaient adolescent, clame Saez. Moi, je n'ai jamais eu la chance de ou le plaisir de l'être". Et les deux complices de jeunesse ont survécu, un peu à l'écart mais toujours présents.

Fils d'une éducatrice spécialisée, Saez commença très jeune à jouer sur le piano que ses parents avaient acheté pour lui. "C'était un principe d'éducation. Ma mère et mon beau-père voulaient que j'écoute et pratique de la musique, jazz, rock et classique. J'ai eu la chance d'entendre Rostropovitch à Vézelay... Un moment magique". Il s'engouffra au Conservatoire de Dijon, dont il tympanisa, avec son désespoir sardonique, la "culture des morts", puis se retrouva à Paris où il envoya les maquettes de Jours étranges. Un rock, gros comme l'orage, avance par vagues et douleurs, un son primaire brûle des paroles qui semblent avoir été écrites sur une pierre tombale ou une planète inhabitée. On y parle de fin du monde, de chute spirituelle. Le jeune artiste affiche clairement ses références, Jim Morrison et les Doors, auteurs en 1967 de Strange Days et qui appelait aussi au meurtre du père.

"Je n'ai aucun problème avec les références. En concert, j'aime reprendre des morceaux. Je prépare une version du Partisan de Leonard Cohen. J'adorais le côté grandiloquent des Doors mêlé, paradoxalement, à la puissance du minimalisme. Comment avec un orgue et une voix, on peut créer une chanson rock, en pleine période de Hendrix et du courant sonore...Et puis mes parents m'ont emmené au Père Lachaise sur la tombe de Morrison. J'avais cinq ans."

Le public, épris de malheur, y plongea (près de 130 000 exemplaires vendus) et Saez se gonfla un peu plus d'orgueil. "Je m'attendais à ce succès, avoue-t-il. Bien sûr je suis mégalo. Le deuxième album le sera. Je préfère l'image en concert des Sex Pistols à celle de Radiohead, plus fragile, plus intimiste."

Son nouvel album sur lequel il a commencé à travailler sera double. 40 chansons bouillonnent dans le crane boulimique de Pentagruel. L'œuvre pourrait s'appeler Le Testament. A 23 ans, Saez est déjà hanté par des choses bizarres. "Je ne sais pas, j'ai peur de la mort. Je suis hypocondriaque", murmure-t-il en baissant les yeux. Frank et Antoine le regardent interloqués. Le mégalo, plein de certitudes fragiles, trahit pour une fois son vertige intérieur. Il rêve de laisser une trace mais n'en est pas sûr tant son univers semble construit sur des ruines, un soleil aveuglant, un déni de vie et surtout un gigantesque ossuaire.