Débutée à Amiens 10 jours plutôt, la tournée de Saez se posait à la salle Gayant Expo de Douai le 11 mars. Et avec seulement 4 dates au compteur, le groupe mettait déjà la barre bien haut pour cette nouvelle série de concerts.

Les 1, 2, 3 juillet 2003, Damien Saez se produisait à Paris pour 3 concerts archicombles à La Cigale. C’était là les dernières prestations du (petit) prince rock en France, il y a plus d’un an et demi. 7 mois après la sortie de Debbie, son retour sur scène était donc plus qu’attendu et il nous fallait encore patienter une dizaine de jours pour prendre toute la mesure.

Les 3 premiers shows de la tournée 2005 – à Amiens, Amnéville et Chalon-sur-Saône – étant effectivement « interdit » aux médias et aux représentants de la maison de disques (volonté d’être tranquille ou appréhension de rodage ?), rendez-vous était pris à Douai, le 11 mars. Parti du Mans où ils jouaient la veille, le groupe arrive sur place en début d’après-midi en van, alors que les techniciens sont venus en tour-bus en tout début de matinée et montent la scène depuis 9h. Lorsqu’on arrive, nous, à la salle, les balances viennent de commencer. A 17h, une vingtaine de fans attendent devant le Gayant Expo, tandis que la batterie résonne jusqu’au parking. A l’intérieur, Saez – accompagné de Pat West et Franck Phan aux guitares, James Eller à la basse et Maxime Garoute à la batterie – commence à livrer en une heure une esquisse de ce qu’on pourrait entendre ce soir : Seul au milieu de tous, Marta, Perfect World, Autour de moi les fous, les inédits « classiques » (Défoncés, Défonce-moi et A bout de souffle), une reprise (Creep de Radiohead) et les nouveaux morceaux comme CNN et Tu es ma lumière ou encore la version remaniée de Jeune et con. Le tout se termine en cacophonie, chacun partant dans son trip, Pat allant même jusqu’au jazz avec le So What de Miles Davis version Ronnie Jordan… 30 secondes de flou (artistique) avant que Damien ne reprenne ses potes en main pour lancer J’veux qu’on baise sur ma tombe. Il est 18h15, tout le monde quitte la scène, Damien, lui, reste encore un peu pour un petit one man show acoustique qui ira de CNN au All Along The Watchtower de Jimi Hendrix (repris lui-même de Dylan) en passant pas Smoke On the Water de Deep Purple ! L’ingé lumière en profite pour faire quelques essais de light, puis la session se termine. Direction les loges, un détour en cuisine pour Damien le temps d’avaler quelque chose, puis le groupe quitte les lieux pour déposer ses affaires à l’hôtel.

Le calme et la fureur

Trois quarts d’heure que la salle a ouvert ses portes et des petits cris hystériques ne cessent de ponctuer les minutes qui nous séparent du concert au rythme d’apparitions des roadies sur les planches. Il est 20h, le groupe vient d’arriver et s’enferme direct. La loge, constituée d’un Algeco disposé derrière le rideau de la scène, s’éveille. Maxime en sort le premier et vient tchatcher avec nous hyper détendu. On parle des derniers albums de No One Is Innocent et de -M- auquels il a participé. 10 minutes avant de jouer, le gars est toujours aussi tranquille. Et toujours aussi à fond : « Ca fait du bien de repartir en tournée là. Ca se passe bien en plus, c’est cool ! » H moins 2 minutes, Saez sort et s’accoude à une barrière, seul dans son coin. Concentré. Maxime, lui, tombe le T-shirt et arrive torse-nu derrière ses fûts. 20h31, le set part sur Tu es ma lumière. Shamanique et incantatoire. Au bord de la fosse, les portables crépitent faute d’appareils photos. Certains veulent capturer l’instant plutôt que de le savourer totalement. Ca s’assagit ensuite. Ou plutôt ça s’existe. Une tournerie bien rock bâtie autour d’un gros riff, c’est CNN ? Défoncés, défonce-moi s’enchaîne ensuite avec Debbie. On est dans le vénère et la salle est prise aux tripes quand le groupe lâche la nouvelle version de Jeune et con. Plus lourd, plus linéaire aussi, parfois décharné jusqu’au seul riff hypnotique qui lui sert de colonne vertébrale. Pour Céleste, les briquets s’allument et le public se fait plus attentif. En référence aux récentes manifs, Saez lance : « Alors vous êtes allés dans la rue un peu ? » Autour de moi les fous démarre. Au banc des accusés, Gaymard rejoint ce soir le gouverneur Schwarzie au beau milieu des paroles. Marta en piano/batterie. Clandestin et Jours étranges en acoustique, le set se fait moins rageur musicalement, même si la fièvre est là, dans les textes et dans la voix. Assis et seul à la gratte sèche, Damien poursuit avec le brelien Saint-Petersbourg qui se termine debout en a capella. Plus furieux, Comme une ombre suit sur fond de light rouge sang. L’électricité revient et ça n’a pas l’air de déplaire au public qui n’en demandait pas plus pour se lâcher. A côté de moi un gars invite sa copine à aller pogoter. La fille refuse, mais se retrouve vite toute seule quand Pat West commence à maltraiter son manche de guitare à l’aide d’une baguette de batterie. Une voix d’enfant transperce la salle et entonne Sauver cette étoile jusqu’au premier refrain. Le groupe part alors sur une version inédite du morceau avec une petite touche électro et un chant plus déclamé que chanté. Toujours bien rock’n’roll, Seul au milieu de tous clôt la première partie du set. Empoignant sa guitare pour soutenir celles de Franck et Pat, Saez balaye la foule du regard et esquisse un sourire. Le final est terrible, Maxime défonce ses fûts dans tous les sens avant que tout le monde ne revienne sur le thème principal qui se poursuit en instru. A 21h55, les musiciens le rejoignent et la salle scande des « Damien » à tout va.

Ultra rappel

Les 5 reprennent place aussitôt et le rappel sera aussi long qu’intense avec J’hallucine dédicacé à Rimbaud (« J’ai appris une histoire sur Douai, Arthur Rimbaud a quitté ses parents à 16 ans et a été emprisonné à Paris pour vagabondage. Un prof l’a fait libérer et l’a ramené à Douai où il a écrit son seul recueil de poème, Le recueil de Douai… Alors à Arthur. »), Voici la mort où transparaît le temps d’une furtive intonation le Ces gens-là de Brel, En travers des néons qui monte progressivement sans jamais exploser puis J’veux qu’on baise sur ma tombe durant lequel Damien part complètement en transe, le regard perdu et le corps titubant. Tout aussi crus et habités, Fils de France et Marie ou Marilyn font exploser la salle, à l’exception peut-être des gradins où les gens semblent bizarrement bien sages. Un calme lointain qui tranche totalement avec la fureur qui se dégage autant de la scène que de la fosse. Saez danse, lâche un sourire pervers, mate une meuf des premiers rangs dans les yeux puis va faire gicler son micro d’un coup de pied bien placé. Ses cris résonnent dans nos têtes. Déchirants, bestiaux. Le chanteur quitte les siens qui poursuivent seuls en instru. On croît que c’est fini. Mais non. Damien revient pour débuter Tu y crois toi avec la batterie de Maxime comme seul support. La guitare rentre doucement. Une montée douce, hypnotique. Pat termine sur un solo bluesy sur lequel glisse quelques dernières vocalises. « Merci, à bientôt Douai », le groupe salue le public, Saez reste un peu, mains dans les poches, à regarder l’assemblée…Pat va serrer quelques mains au premier rang. Il est 22h45 quand les lumières se rallument définitivement. Après s’être isolé dans leur loge pendant 10-15 minutes, le groupe arrive au catering. Pat et James, les deux Anglais, discutent ensemble. Franck tend l’oreille à côté tandis que Damien et Maxime tchatchent avec Mathieu qui prépare un projet autour de la tournée. Un livre, un recueil de photos… Rien n’est vraiment défini pour l’instant. Autour d’un verre de vin, Damien évoque aussi la mise en place d’une tournée de 80 dates à la rentrée où il jouera seul, « pas forcément dans des petites salles ». Vers minuits, deux fans demandent à voir Damien. Elles attendent derrière la porte de service du catering. Petite rencontre imprévue. Elles finissent par rejoindre tout le monde à l’intérieur où la discussion devient politique. Sarkozy et Gaymard en tête prennent cher. Normal. La gauche elle non plus n’est pas forcément épargnée. Où sont passés leur rêve ? A qui doit-on s’en remettre ? Titi, l’un des techniciens, lui, croit en Saez : « Un gars comme toi fait bouger les consciences, c’est clair. » Sur les coups d’1h30, retour à l’hôtel. Demain, la tournée se poursuit à Dunkerque : « C’est pas loin, à 1 heure de route, on va pouvoir dormir un peu demain matin… » Et peut-être même rêver un peu.