Sexe romance

Après plus d'un an d'attente, Saez nous revient avec le double album « God blesse/Katagena », sorti le 26 mars. En deux fois 70 minutes, le petit prince nous dévoile ses différents visages, de la musique classique au rock, de la poésie à la provocation, du pessimisme à l'espoir. Dans le discours, rien de bien nouveau, mais il continue à être lui-même avant toute chose.

Après écoute, « God Blesse » ne s'avère pas si différent de « Jours étranges ». A la limite la révolution entre les deux tient plus au format du double album. En cela, ne tombes-tu pas dans la notion de concept que tu souhaitais éviter ?

Ce n'est pas un album concept, parce que je ne pense pas être un mec de concept. Je ne pense pas être un intello. Je pense qu'Aphex Twin touche à cette notion de concept et il le fait très bien d'ailleurs. Musicalement, il y a chez lui une recherche pour arriver à quelque chose. On n'a jamais entendu ça avant, donc de toute manière c'est d'avant-garde, parce qu'il a posé une vraie réflexion à sa création ! Moi ce n'est pas nécessairement le cas, c'est plus un truc subjectif. C'ets joué à l'émotion plu qu'à l'intellect.

En même temps, c'est difficile d'échapper à cette définition de concept avec un album comme celui-là...

C'est vrai qu'à partir du moment où le CD2 est totalement différent du CD1, on peut se dire qu'il y a forcément concept. A un instant donné, tu prends la décision de cloisonner les deux et c'est vrai qu'on peut se demander pourquoi...

Et pourquoi ?

En fait, je voulais que le deuxième disque soit plus franc que le premier. Plus honnête, plus personnel, plus épuré et plus grandiloquent quand ça doit l'être. Le bruit, il faut le faire quand on a envie de le faire, faut pas le faire en se disant que le rock passe obligatoirement par là. En définitive, qu'est-ce que le rock ? Je ne sais pas ce que c'est ou je ne sais plus ce que c'est. D'ailleurs pour moi, je te l'ai déjà dit, mais la chanson la plus rock de l'album c'est « Sexe »... Là, c'est pareil, on fait une interview pour Rock Mag, alors que je ne sais même pas si ce que je fais est rock. Et puis, pour moi le rock, ce n'est pas forcément des guitares. Putain, combien y a t-il de chansons de NTM qui sotn quand même très rock ! Il n'y a pas de guitares pourtant, mais il pourrait y en avoir. Ils auraient pu faire une chanson un peu à la Cypress Hill avec du métal derrière. Ça pourrait se faire ! Pour cet album, je ne me suis pas fixé ce genre de truc, c'est pas comme l'album de Muse, où à chaque fin de chanson il va falloir envoyer de la saturation, parce que sinon c'est pas assez énervé ! C'est ça aussi le rock. Il faut envoyer quand on a envie de le faire, quand on le sent. Quand c'est spontané, moi ça ne l'était pas pour le CD2.

Dans le genre rock sans guitare, il y a eu Radiohead avec « Kid A », et à ce moment-là tu les attaquais en disant : « Radiohead, c'est Moby ! » Leur démarche rejoint pourtant tes propos, non ?

(Rires)... Sur les sites de fans, ça avait gueulé quand j'avais dit ça : « Ouais mais ça va pas, il pète les plombs ou quoi ? Comment peut-il dire ça ? » Mais ce qui me fait chier, c'est que j'ai presque un rapport de fan avec eux. Ce que j'ai dit à ce moment-là, ce n'était pas une réaction de musicologue. Pour moi, « The Bends », c'est un album merveilleux. Moi, j'adore quand ils sont juste avec une guitare acoustique... En fait, c'était plus une réaction par rapport à un manque, qu'une vraie critique musicale. D'ailleurs, j'ai vu « Everything In The Right Place » par la suite. Je suis tombé sur une version live et c'était vraiment mortel. Là, ça m'a vraiment remis dedans, parce que j'ai senti que c'était une chanson et pas seulement du bidouillage de studio. Et puis, je me suis vachement ouvert depuis à des trucs que je n'aurais pas fait l'effort d'écouter, notamment grâce à Franck qui m'a fait découvrir Aphex Twin, justement.

Les couleurs électro que l'on retrouve sur « God blesse », ça vient de lui ?

Non, c'est bizarre parce que c'est celui qui écoute le plus de trucs comme ça et pourtant il n'avait aucune envie d'avoir des couleurs qui partent là-dedans. Lui à l'inverse, il voulait vraiment que ce soit rock. Du rock avec des guitares... C'est bizarre ! L'electro, c'est intéressant au niveau de l'imagerie, le fait d'envisager un autre son. Enfin moi, c'est ce qui me vient un peu à l'esprit en ce moment... J'aimerais faire un disque complètement electro classique. Mélanger la partie classique avec une réelle recherche, je trouve ça pas mal en fait. Ça m'évoque des images. Des titres comme « WTC » ou « Ice Cream » sur l'album, ce genre de morceau a un véritable aspect visuel, je rapproche ça de la musique de film.

A ce propos, « Sexe » va se retrouver sur la BO du prochain film de De Palma ?

Ouais, ça vient d'un mec qui s'appelle Valéry Zeitoun qui travaille à Polydor et qui a eu la gentillesse de penser à nous. Les gens qui s'occupaient de la BO cherchaient un titre. Sur la liste, il y avait Papa Roachn Placebo... Valéry a fait écouter « Sexe » et a boosté le truc. Après De Palma est tombé dessus, ils lui ont fait écouter et il a craqué. C'est le mec qui a fait « Scarface » quand même ! J'ai trouvé ça cool la manière dont ça s'est concrétisé. De ne pas le rencontrer justement. Ça ne s'est pas du tout fait showbiz, mais plus de manière humaine. Voilà il y a une chanson, on la kiffe et c'est comme ça...

Faire une BO de film, c'est un truc vers lequel tu tends ?

Grave, c'est un truc qui m'attire. Après, forcément je ne le ferais pas pour n'importe quel film !

Quel genre ?

J'adore les trucs arty. Le rêve, ça serait quelque chose comme « Les Ailes du désir », tu vois ? Ou alors des trucs qui vont plus vers le cinéma asiatique...

Tu réalises toi-même le clip de « Sexe », pourquoi ce choix ?

Parce que j'en ai marre de filer les trucs aux autres...

On est jamais aussi bien servi que par soi-même...

Ouais franchement, je crois... En plus, je pense que tout est à faire, même si cela peut induire des erreurs. Il faut en faire le plus possible. Tout le monde est capable d'écrire, de chanter ou de se mettre à la réalisation, c'est juste une question de travail et d'envie intérieure. Il suffit de s'y mettre. C'est pareil pour tout.

Comme pour « Rock'n'roll Star » sur le précédent album, « Sexe » est-il un titre ironique ou satirique ?

Non. C'est pas de l'ironie ! « Rock'n'roll Star » oui, mais le texte de « Sexe » ce n'est ps « Rock 'n'roll Star », même s'ils se ressemblent. Je ne suis pas pote avec Eddy Barclay aujourd'hui, alors oui « Rock'n'roll Star » c'est satyrique effectivement. Mais « Sexe », c'est plutôt de l'anti-romantisme.

Un romantisme que tu revendiques souvent...

Oui, mais justement, c'est de l'anti-démagogie. Et puis en plus, je suis pas mal gavé par l'image de la femme aujourd'hui. Par rapport à son utilisation commerciale par exemple. Tout n'a de rapport qu'avec le corps, lorsqu'on voit les pubs, les téléfilms... Avec l'image qu'on nous montre de la femme et de la féminité, je pense qu'il ne faut pas s'étonner qu'on se fasse tout un phénomène de société avec les tournantes. Il n'y a pas de hasard. Et finalement, je suis vachement déçu par rapport à ça. En définitive, je trouve qu'il devrait y avoir beaucoup plus de manifs de femmes...

Quitte à tomber dans l'extrémisme ?

Elles n'ont toujours pas les mêmes salaires que les mecs, elles ont pas mal de raisons. Je ne parle pas d'aller dans l'extrémisme, mais je pense qu'il faut se battre pour dire que les femmes ce n'est pas ça. Les mannequins, l'image vulgaire véhiculée parfois, ça me gave. A un moment cette chanson « Sexe », c'est également une manière de dire : « Ah bon t'es autre chose ? Excuse-moi, j'ai cru que c'était de ça dont il s'agissait pardon ! Autant pour moi. »

Et là pour le coup, c'est ironique...

Ouais, là c'est ironique et satirique par rapport à ça, mais c'est quand même : « Mets ta langue où tu sais. »

Sur l'album, il y a une reprise du « Stand By Me » de Ben E. King cachée à la fin de « So Gorgeous », pourquoi cela ?

Parce qu'il était 5 heures du mat', j'étais à donf', j'ai pris la guitare et puis on a enregistré comme ça avec un seul micro et après je me suis dit qu'il fallait que cela y soit. Ça faisait tellement partie du voyage... Je voulais que ces 5 heures du matin soient gravées sur le disque. Et puis quand ça arrive (Rires)... Tu te demandes carrément ce que c'est que ce truc (Rires) ! L'effet qu'on a mis sur la voix, genre bal de promo 1950, je trouvais ça trop drôle.

Dernièrement on a pu te voir reprendre le « Can't Get You Out Pf My Head » de Kylie Minogue pour l'émission Music Planet 2Nite sur la chaîne Arte...

Ouais, là c'est quelque chose de vraiment trippant...

Cette reprise, c'est ce qui remplacera « Titanic » sur les prochains concerts ?

Ouais ou bien il y en aura d'autres encore... J'adore faire des reprises, mais c'est vrai que c'est très bon de plier des trucs, de crier sur ça... C'est du plaisir. Là, il n'y a pas de réflexion.

Pour quand est prévue la nouvelle tournée ?

Pour l'instant, il y a juste le Printemps de Bourges et l'Elysée Montmartre le 23 avril. Il y aura aussi des dates de festival je pense, mais je ne sais pas encore quand exactement. En fait, la vraie tournée démarrera seulement à partir de la rentrée.

Il y a un projet de faire des dates dans des lieux correspondant au CD2, genre dans des salles d'opéra ?

Moi j'aimerais bien. Pour l'instant on n'a pas trop construit le truc, mais je souhaiterais vraiment faire des choses décalées comme ça. Certaines qui correspondront aux thèmes, au classique, ça c'est sûr.

Sur l'album, la mort est très présente, mais de plus en plus associée à l'idée d'apaisement, de liberté... Tu revendiques le suicide comme une alternative ?

Déjà, je pense que je ne pourrais pas, parce qu'il y a des choses qui rattachent. Ça m'est arrivé des fois de vraiment déprimer et puis de passer à côté d'une école maternelle et d'avoir le sourire. Le cri des mômes, la force de vie, la force de combat, ça soulage. Après, je crois que ça vient surtout d'une angoisse, c'est la question d'un môme athée. Moi j'ai pas eu d'éducation religieuse, donc je n'ai pas de réponse. Je ne peux même pas croire à une réponse, mais la question de la mort m'obsède. En tout cas, c'est certain, je ne dis pas : taillons-nous les veines.

Et en même temps, c'est quelque chose qui sous-tend souvent, non ?

Disons que c'est plus un fantasme lié à l'angoisse. Il ne faut pas perdre de vue que c'est elle mon point de départ. Ce n'est pas l'envie. C'est l'angoisse de la mort, et celle de l'existence. Et je pense qu'on a tous ça en nous.

Sur « So Gorgeous », tu fais référence à la solitude aussi. Tout ça donne un climat toujours plus dépressif...

Ouais, mais ça l'est, c'est clair. De toutes façons, je ne suis pas heureux. C'est malheureux, mais je n'y arrive pas. Pourtant, tout va bien et ça ne va pas. C'est une accoutumance au mal-être, c'est bizarre. Mais, je doute toujours sur plein de choses. Sur ma capacité à vivre avec les autres et tout ça... De plus en plus.

Ce mal-être est purement personnel ou bien il est lié à ce qui se passe dans le monde extérieur ?

Oui... Enfin, non. Il y a un truc dans le généralisme, dans ce qu'on voit et puis après, il y a un truc de soi par rapport au monde. Et là, il s'agit de ça. D'ailleurs, il s'agit toujours de soi par rapport à soi au départ. C'est ça qui est un problème.

Le triptyque Liberté, égalité, fraternité se pose clairement, si l'on relie entre eux tes différents textes. C'est une manière d'appuyer sur les dérives d'un pays qui n'arrive pas à assumer sa propre devise ?

Ouais c'est clair, c'est la honte quand même... J'adore mon pays magnifique qui a un patrimoine énorme. C'est un pays qui a beaucoup fourni à l'humanité dans le domaine artistique, philosophique, littéraire. Tu vois c'est quand même la France et c'est vrai que c'est inadmissible. Dans ce pays-là d'autant plus. Quand tu te fais une haute idée de ton pays par rapport à ça, même de sa devise eh ben ça fait chier de voir des mecs qui n'ont pas de logement. Ça ne me dérangerait pas que l'impôt soit de 70% pour des gens comme moi, qui ont plus de chance que d'autres. Maintenant ça me ferait plaisir si le strict minimum était là. Au moins tut te dirais qu'il y a des choses qui ne vont toujours pas, mais en tout cas on saurait qu'ici on ne crève pas sous un carton. Tu vois ne serait-ce que ça. En plus, je ne pense pas que ce soit si difficile à faire. A priori, je ne pense pas que ce soit les genre de choses qui pourrait ruiner le pays.

Certains titres comme « Solution » pousseraient presque à la révolution et en même temps il y a beaucoup de fatalisme dans la plupart de tes textes. On a l'impression que tu espères la révolution, mais qu'au fond, tu n'y crois pas...

Ouais parce que trop d'analyse. Trop de cours d'histoire. Finalement, je crois qu'on ferait vachement plus de choses si on avait moins de cours d'histoire. A force de trop savoir ce qui s'est passé et pourquoi ça s'est passé, comment est l'homme et tout ça, on devient philosophe. Et puis les philosophes savent, mais ils ne font pas grand chose. Après ce n'est pas forcément fataliste, c'est retiré du combat en fait. Je pense qu'il faut avoir une certaine naïveté pour y croire. Et moi, je ne l'ai pas forcément d'ailleurs. Ça ne nous empêche pas de crier et après tout la naïveté n'est pas du tout péjorative, c'est plutôt quelque chose qui tend à la construction. Après il y a du mauvais et il y a du bon, forcément ! Au moins, on fait. Et ça changera peut-être...

Shakespeare in sex

Les 21 et 22 mars, Damien, Saez était derrière la caméra pour jouer et réaliser le clip de « Sexe » dont sont tirées les photos de cet article. Tournée en région parisienne, dans une usine ED désaffectée, la vidéo présentera une sorte de court métrage directement inspiré du classique de Shakespeare « Roméo et Juliette »... Revu et corrigé àa la sauce « Sexe » !