Critiqué pour cause d'arrogance et de franc-parler mais de plus en plus adulé pour son talent, le jeune Dijonnais monté à Paris à 18 ans, ce musicien brûlant, marginal et bouillonnant de paradoxes, sort à peine de la conception passionnée de son splendide et audacieux double album God Blesse/ Katagena. En bleu, blanc et rouge, voici Saez en multicolour.

En une heure vingt minutes d'interview, Damien Saez cite autant d'auteurs qu'un Fabrice Luchini en grande forme, même s'il ne partage pas avec l'acteur le même épicurisme ni le même goût du bon mot. Loquace, fougueux, presque colérique quand on aborde les questions politiques, Damien Saez adore parler. Il adore parler de lui, de ce qu'il pense, malgré son naturel casanier et solitaire. Damien Saez, découvert avec Jours Étranges (vendu à 250 000 exemplaires) comme un chanteur inspiré à la voix maniérée (il reconnaît cependant s'être calmé et moins en faire aujourd'hui), revient avec un double album pouvant évoquer (selon les morceaux) l'onirisme de Radiohead, la grandiloquence de Mozart, les 'r' roulés de Jacques Brel et les beats vocodés d'Underworld. Un disque qui bluffera tout ceux qui adoraient jusque là dire du mal de lui (Saez ne fait pas l'unanimité).

Mais la seule chose qu'il revendique, c'est la naïveté et la sincérité de ses chansons, difficile à mettre en doute quand il laisse filtrer (en interview comme dans ses textes), sa vision du monde acerbe et "extrémiste", comme il dit. Ce jeune homme (25 ans le 1er août prochain) qui a le sentiment d'aimer son pays mais de ne pas aimer les hommes (et qui n'en est pas à un paradoxe près), parle de sa musique, de Noir Désir, de sa mort et des Monty Python. Il n'en est pas pour autant très souvent mort de rire, même s'il a un tas de choses à dire. Et à chanter.

Ton disque ne sonne pas comme un deuxième album. Il est beaucoup plus gros, plus ambitieux. Tu ne penses pas mettre la barre trop haut trop tôt ?

C'est peut-être aussi une façon de se dire que s'il ne marche pas c'est que les gens ne l'auront pas compris. C'est le deuxième qui est le plus dur. Si l'ensemble de tes albums doit être un roman, c'est un peu comme cette école qui te dit que dès la première page tu dois avoir toute l'histoire. C'est un peu la même chose. En deux albums, tu as tout.

Le plus dur a-t-il été de s'astreindre à ce que le deuxième soit dans la continuité du premier ?

L'est-il seulement ? Je ne le pense pas. Quand je te parle de la première page, je te parle du premier album et aussi du deuxième. Si tu prends Pablo Honey et The Bends (les deux premiers disques de Radiohead - ndlr), tu as deux univers totalement différents. The Bends est plus "buckleyen" et l'autre est plus énervé. Mais tout était déjà là. Après, ce n'est qu'une question de modes. Le côté planant, ils vont le faire avec des synthés, mais la démarche ne change pas.

Tu es donc conscient de l'enjeu de ce disque. Les gens vont l'accepter ou ne vont pas l'accepter. Tu le prends comme ça ?

Non. Je ne m'inquiète pas pour ce disque. C'est ma prétention. Il est tel que je voulais qu'il soit. Il y a tellement de choses ou de travers ou de mauvaises routes sur lesquelles j'ai pu partir sur le premier - et je ne renie pourtant rien - qui était un peu trop esthétisé. Des voix faites en vingt-cinq prises… Plein de choses, plein d'arrangements, au bout d'un moment, tu t'y perds. Là, je pense que c'est ce que l'on n'a pas fait. Je pense que sur 99 % des chansons, les prises de voix sont faites en une fois, c'est-à-dire pas parfaites, forcément. Mais avec ces prises live basse-guitare-batterie, tu as des trucs qui se passent. Le Pro-tools est vachement moins intervenu sur cet album que sur le premier, et je pense que ça s'entend. Il est vachement plus humain.

L'enregistrement de ton premier album avait été très stressant. Le fait d'aller plus à l'essentiel pour celui-ci t'a-t-il aidé à gérer la pression ?

Oui, c'est clair. Et puis le fait de connaître un peu mieux aussi… de connaître plus de gens. Les gens avec qui tu travailles. Ça nous a quand même pris un an ! Au bout d'un moment, c'est pas loin d'être comme aller au bureau. Alors, si tes partenaires de bureau, tu peux pas les blairer, tu finis par mal faire ton boulot. Avec le premier album, j'avais surtout appris comment fonctionnait un ordinateur. Sur le deuxième, j'ai appris plein d'autres trucs.

On peut résumer en disant que tu étais plus maître de ta musique sur God Blesse/ Katagena que sur Jours Étranges ?

Oui. Tout en l'étant moins. Par exemple, sur le premier, c'est moi qui avais fait les arrangements de cordes. Sur le deuxième, ce n'est pas moi. Parce qu'en entendant les arrangements, je n'ai pas réfléchi une seule seconde pour savoir si ça devait être moi ou pas. Là, pour le coup, tu es face à des gens dont c'est le métier.

Moi, je sais que ce que je maîtrise le plus, c'est le domaine le plus épuré : une guitare, une voix. Ou un piano, une voix. Ça, c'est mon métier. Après, je pense aussi avoir quelques capacités au niveau du chant. Il y a aussi des tas de domaines où je vais peut-être avoir des idées, mais où il faudra m'ouvrir, me faire des propositions. Et là c'est bien, car tu sens que les gens t'apportent.

Sauf tes textes. Ça, personne n'y touche…

(sur l'air de "Ben ça m'paraît évident") : Ouais. Ça, c'est plutôt normal. Parce que, a priori, tu chantes, donc…

L'élan naïf

Ton disque contient deux parties. La première, God Blesse est très guitare, très rock, et l'autre, Katagena, résolument plus inspirée par la musique classique. Alors là peut-être que je me trompe complètement, mais crois-tu y voir un rapport entre la dualité de tes thèmes, c'est-à-dire soit des chansons d'amour, soit carrément des chansons très engagées ?

C'est possible. Je n'y avais pas… C'est possible. J'ai l'impression que ce qui peut me déranger, enfin le truc dans lequel je n'ai pas envie de tomber, c'est la mode. Et je vais revenir sur ton histoire de dualité… Alors soit on ne fait que des chansons à texte en ne laissant pas la place à la recherche musicale, auquel cas mieux vaut s'appeler Bob Dylan. Là, tu cherches la vérité, et la mode, tu t'en fous. Ou un mec comme Lou Reed.

Il va y avoir des morceaux qui, pour certains, vont sonner un peu ringards, un peu country. Je pense à son album New York, un disque que j'adore. Ça va passer jazz… Il s'en fout complètement. Ça, c'est à la fois une force et à la fois un manque d'ouverture si tu le compares à un mec comme Bowie. Et comme par hasard, Bowie va être beaucoup plus surréaliste dans les textes. Ce que je veux dire par là par rapport à la dualité, c'est que plus tu es réaliste, plus c'est dur d'arranger, de rechercher musicalement.

Quelque part, c'est ce que tu essaies de faire ?

Oui, mais finalement, la recherche est plus forte sur "Voici la mort" que sur d'autres. Et ça marche parce que son texte n'est pas un texte réaliste. Pour "Menacé mais libre", c'est plus dur de ne pas faire épuré. Sinon, c'est dommage de faire combiner des choses alors que c'est le texte qui compte.

Sur ce disque, tout ce qui est "commercial", plus "radio", ça vient de Frank (son guitariste - ndlr), ça ne vient pas de moi. "Sexe", ça ne vient pas de moi, "Solution", ça ne vient pas de moi. Toutes les chansons qui étaient dans ce registre-là et qui venaient de moi, je les ai jartées pendant les maquettes. Inconsciemment, je n'en ai pas supporté l'élan un peu naïf, un peu basique. Je l'ai supporté sur les chansons de Frank.

Par exemple, tu vas écrire une lettre et on va t'en faire lire une autre de Maupassant. Les deux se valent, mais toi tu vas préférer celle de Maupassant parce que tu ne l'as pas écrite. La tienne va te gaver. C'est un peu la même chose avec ça. Je n'ai gardé de moi que les choses les moins formatées "époque"…

…Katagena.

Exactement.

God Blesse est le disque destiné à être vendu et Katagena, celui grâce auquel tu te fais plaisir.

Carrément. C'est ça qui est horrible. C'est que, quoiqu'on en dise, et je vais reprendre l'exemple de Radiohead, leurs deux derniers albums, ça ne peut pas être Thom Yorke, c'est pas possible. C'est de la recherche musicale. Et dessus, il pose une voix. Mais ce n'est pas lui. Et il peut nous faire croire tout ce qu'il veut, il peut nous dire qu'il entend des voix la nuit et que dès qu'il se lève le matin, il fait de la musique, c'est pas lui.

Peut-être tout simplement qu'il n'arrive plus à être lui !

Peut-être qu'il n'arrive pas à être lui, peut-être qu'il y a vachement d'ambiguïté. Creep, par contre, c'est plus lui. Beck a le même problème, ce côté capable de donner son "moi de deux heures du matin et je fais une chanson", et il n'y aura rien à retoucher et tout sera là, et puis il va bosser un mois sur un morceau de soul. Oui, tu fais quelque chose, oui tu vas quelque part. Mais ce n'est pas toi.

God Blesse est le disque du groupe et Katagena celui de Damien Saez.

Carrément, carrément. C'est clairement ça. On aurait d'ailleurs pu appeler le premier "Saez" et l'autre "Damien". D'ailleurs, sur Katagena, je n'ai quasiment pas laissé la place aux gens. Les trois-quarts du disque, je les ai faits en deux jours. Je ne suis pas revenu dessus. Je voulais me laisser un peu de temps sur God Blesse et, sur l'autre, je n'ai demandé le studio que pour trois jours. Le morceau "St Pétersbourg" sur l'album, c'est la maquette. C'était important que ce soit fait vite. Rien n'est calculé, rien n'est prévu. Sur ces chansons-là, tu ne peux pas te mettre à penser comment les faire. Je ne connaissais de tête que leurs textes et leurs accords.

Parce qu'enregistrées une semaine plus tard, elles auraient sonné tout autrement !

Elles auraient été complètement différentes. C'est envisager tout cela de façon très live, très instantanée. Et comme on faisait piano et voix en pistes séparées, je faisais après ma piste voix. Trois ou quatre fois, pas plus. Après, tu écoutes, et dans cette logique de ne vouloir couper aucune des prises, tu cherches la meilleure. On a toujours pris la première. Il s'y passait toujours quelque chose qui ne se passait pas après. Après, il y avait déjà du calcul. Sur la première, il y a toujours un truc qui se passe. Sinatra gardait toujours la première prise aussi…

Humour et ironie

Est-ce que, dans ce que ça a de spontané, on peut aussi appeler ça du rock, ou est-ce que tu t'en fous complètement de comment on appelle ça ?

Ben je sais pas moi, la chanson "Usée", c'est une chanson rock ! Beaucoup plus que des tas d'autres chansons rock. Après, tu vois, c'est la grande question : "Qu'est-ce que le rock ?"

C'est dans cette chanson que tu chantes, je te cite : "l'ironie qui tua ma jeunesse". C'est un point de vue personnel ou tu généralises le fléau ?

Grave ! C'est évident, évident… C'en est presque devenu un mode de pensée. L'ironie n'a rien à voir avec l'humour. C'est pas pareil. L'ironie est quelque chose de bien français. L'humour, c'est moins notre truc. Les Monty Python, c'est de l'humour. Desproges, que j'adore, c'est de l'humour et de l'ironie. Là, ça passe très bien parce que c'est son métier, parce que c'est écrit. Mais en tant que mode pensée, ça va, on en assez entendu. "Ironie", ça ne va pas avec "naïveté". Donc forcément ça ne va pas avec "pur", et ça ne va pas non plus avec "impur". C'est au milieu. C'est "j'ai tout compris et plus rien ne me choque." Je trouve ça un peu dur.

Mais tu es aussi passé par là, non ?

Ah mais oui ! Mais l'ironie, c'est le truc de tout analyser. Je suis encore un peu comme ça. C'est une sorte de tare.

Et en quoi ça t'a usé, justement ?

Ça t'empêche d'avancer. Sans naïveté, tu n'avances pas. Sans extrême, tu n'avances pas. Il y a un groupe, récemment, Luke - j'en profite - qui, en parlant de nous disait : "Saez, c'est un facho." Ben ouais, peut-être. En tout cas je préfère être facho qu'au milieu. Être au milieu, ça ne m'intéresse pas. J'ose espérer qu'il ne faisait pas référence à une certaine époque du fascisme… alors, "fasciste", je ne sais pas, mais "extrémiste", certainement. Mais je pense que c'est comme ça qu'il faut être. Foncer droit, sans faire gaffe aux virages. Je suis peut-être dans le faux parfois, mais j'avance.

En même temps, tes textes parlent beaucoup de la mort. Tu avances, mais toujours avec cette idée en tête quand même ! Cela dit, y'a pas d'mal.

Je suis un peu hypocondriaque. Beaucoup, même. Sur les derniers concerts, toutes les trois minutes, je testais mon pouls pour voir si mon cœur battait toujours !

Ça n'empêche pas d'avancer, ça ?

Ah non, je ne trouve pas. Justement, non. C'est peut-être lié au mode de vie. C'est un mode de vie qui favorise cette question. Quelque part, plus hypocondriaque tu seras, plus de chansons tu feras. C'est un peu comme la solitude. Cette dernière étant un peu plus positive.

Mais la mort et la solitude sont un peu devenus deux tabous. Par exemple, avant, les grands-mères mouraient chez elles, devant les petits-enfants, qui comprenaient qu'on mourait tous comme des animaux, et qui enregistraient que la mort, ben ça faisait partie de la vie. Aujourd'hui, il faut comprendre que vieillir est une tare. Donc la mort semble loin, de plus en plus loin. Et la solitude, c'est pareil. On s'étonne des gens qui n'ont pas de télé. Tu te dis : "Mais comment font-ils pour combler leur vide" ? Mais ce n'est pas un vide.

Il faut quand même arriver à gérer ces choses-là !

Oui mais bon, on est toujours tout seul ! Et c'est pas une catastrophe d'être tout seul. Les pauvres nanas de 28 ans à qui on met la pression quand elles sont toujours seules, faut leur dire que c'est pas grave. Il n'y a que la mort qui soit l'état de solitude ultime.

Les écrivains sont des bœufs

Tu ne serais pas un tout petit peu angoissé ?

Oui. Et puis, je crois que je n'aime pas les autres. J'ai un gros problème avec les hommes, tu vois ? Je ne suis pas attiré par le voyage, par exemple. Je préfère être dans une cave. C'est-à-dire qu'il y a un nombrilisme assez important, quand même. J'estime vraiment que la solution vient de l'intérieur… de ce truc de vie et de ce besoin de laisser quelque chose qui soit de soi et uniquement de soi. Cet égocentrisme qui fait que l'on fait ce métier à la base. Je ne suis pas ouvert.

Raison pour laquelle tu suscites des critiques et des remarques parfois acerbes.

Oui. Ben oui. Antoine (claviers du groupe Saez - ndlr), lui, est vachement plus ouvert que moi. Moi, il y a plein de moments où ça me fait chier de faire des choses. Passer des soirées avec des gens de mon âge, par exemple, ça va me gaver. Je préfère rester chez moi. Et, tout de suite, j'ai un problème avec la notion du temps qui fait que tout de suite, je vais avoir l'impression de perdre mon temps.

J'ai un problème de "faut que je fasse…" Tout ça, au bout, pour avoir une petite notion du talent. Mais il faut, je crois, être productif. Picasso a fait des tas de tableaux et soyons francs, je n'aime pas tout. Jules Renard disait des écrivains : "Les écrivains sont des bœufs". Les génies sont ceux qui n'arrêtent pas de tirer la charrette. C'est vraiment ça.

Pour moi, c'est évident que plus tu fais, mieux tu fais. Plus tu écris, et mieux tu écris. Ça vient peut-être de mes cours du Conservatoire, mais je ne peux pas enlever la notion de travail. Il y a des chansons qui te prennent deux mois, et d'autres qui peuvent ne te prendre que cinq minutes, alors tu ne peux pas finir avec cinq chansons en un an. Pour moi, c'est impossible. Il faut être débordé par ce que l'on fait.

Tu sembles te nourrir beaucoup. Tu cites beaucoup d'auteurs. Tu as besoin de beaucoup ingurgiter pour rendre ?

J'ai eu moins besoin de nourriture sur ce disque-là car il restait encore beaucoup du précédent. Après, je vole un peu par-ci par-là. La phrase "Menacé, mais libre", ce n'est pas de moi, ça vient d'une discussion que j'ai eue avec quelqu'un. Mais je pense que je vais à nouveau avoir besoin de "nourriture" pour le prochain.

Faire de la musique, ce n'est donc que ça ? Que du recyclage ?

Forcément. Mozart, c'est du recyclage. Parler de musique sans influence, ça n'existe pas. Écrire un bouquin sans avoir lu, pas possible. Tu parles quelle langue et qui t'a appris à parler ? Tu n'es toujours que sur ta propre route (un peu déductif), et c'est pour ça que dans l'érudition poussée à l'extrême, l'infinité des autres que tu as ingurgité fait que c'est impossible. Trop de données, tu sais tout. C'est le danger aujourd'hui. Le trop-plein d'informations et de médiatisation. Alors je crois qu'il faut savoir encore rester un peu extrémiste pour garder le truc intact.

Récemment, je lisais une interview de Noir Désir où ils parlaient de leur dilemme d'être chez Universal (donc Vivendi), qui est un peu tout ce contre quoi ils se sont toujours battus, la "makina", quoi ! Ça te pose problème, toi ?

C'est un fait. Mais c'est bizarre que ça leur ait pris vingt ans avant de se rendre compte de ça ! Universal ou Barclay, c'est la même chose. Dans deux ans, Vivendi, ils seront passés à autre chose, alors ? J'ai plus un problème à la base de l'échelle. Savoir que mon disque sera vendu à proximité d'un rayon saucisson me fait du mal. Là, je ne comprends pas le concept du supermarché. C'est comme les dessous de table Picasso. À partir du moment où je fais des choses "engagées" - comme on dit - je crois qu'il faut que ce soit écouté. L'engagement dans sa cave, ça ne sert à rien. Ou tu as le respect que des gens peuvent avoir pour Noir Désir ou Louise Attaque.

Ce sont des groupes que tu respectes ?

Je respecte plus Thiéfaine que Noir Désir. Là, au moins, tu n'as pas une radio et il remplit Bercy. Et là, c'est clair. Pour moi, Thiéfaine, c'est respect. Il n'y a pas de paradoxes. Que, que, que la scène.

Tu aimerais en arriver là ?

Je ne sais pas. La scène me pose plus de problèmes que d'autres. Mais je pense être un peu plus "musicien" à la naissance que les gens que je viens de citer. Même très clairement. Donc, j'adore le studio, m'amuser. Le côté un peu musique de film qu'il peut y avoir dans l'album. Ça, ça me tient beaucoup à cœur. Et pour cette petite partie là, je peux accepter tous les paradoxes. Mais je ne me focalise pas plus sur celui de Vivendi que sur un autre. Polygram, avant, c'était Philips, patati, patata… À ce moment-là, va vivre en Chine ! Je ne supporte plus ce qui ne dit rien, ces trucs en France qui sont censés être de bon goût et qui ne disent rien. Même les gens dont on parle, là. Ça ne dit rien. Comprends pas. Je suis désolé. Pour moi, c'est ça le rock. Le but, c'est d'exprimer ce qu'on pense. Luke : "On devrait pouvoir se taire." C'est pas possible ! Je trouve ça dramatique. Mettre ça comme truc en avant en tant que groupe, je trouve ça dramatique. Ou le groupe de rock qui chante "Le vent nous portera", je ne capte pas.

À l'inverse, quand toi tu t'engages avec "Solution", c'est franchement caricatural !

Oui. C'est fait sans complexe. Et sans ironie. Ce n'est pas normal qu'un mot comme "liberté" soit désuet. Chanter un mot comme ça et que certains se marrent, ce n'est pas normal. Il y a un souci. Ça, c'est la pub. On a trop pubbé ces trucs-là. On a tellement vu de t-shirts de Che Guevara qu'encore une fois, le piège, c'est l'ironie. L'ironie du sort. Ça va peut-être dans la caricature mais au moins, c'est dit.

Besoin de personne

Le narcissisme de ton métier, c'est quelque chose d'appréciable ? Les interviews, la célébrité, tout ça…

Ça ne me passe pas au-dessus de la tête, mais je pense que c'est ridicule, même si ça existe.

C'est factice ?

Le seul narcissisme que j'accepte, et que je trouve très positif, c'est celui de soi tout seul.

C'est la confiance en soi.

Ouais. Pour ça, tu n'as besoin de personne. Le reste (silence), ça fait pitié. La référence en termes de beauté, puisque l'on en est à parler de narcissisme : je suis parti de Dijon à 18 ans, et j'ai passé deux ans à Paris à faire plein de chansons. Je pense que s'il y a un moment dans ma vie où on aurait pu me trouver beau, c'était à ce moment-là. C'est pas dans le cliché "chambre de bonne", mais j'avais une confiance, une envie et un extrémisme de ne rien faire d'autre, un DEUG ou Dieu sait quoi, que c'était quelque chose, un grand moment pour moi.

C'est ce que tu penses avoir fait de mieux dans ta vie ?

Ah ouais. Cette inconscience mêlée au courage, c'est… c'était mon meilleur cent mètres. Mais ce n'est pas à ce moment-là que les gens t'aiment.

[...]

Thomas Vandenberghe