Retour sur Damien Saez. Vingt-deux ans et un premier album, « Jours étranges » lâché dans les bacs il y a un mois, le provincial revient ici sur ce qui amène un ex-pensionnaire du Conservatoire à signer un des disques pop les plus bouleversants de la rentrée. Avant de devenir, peut-être, un des plus controversés...

PAS FACILE SAEZ. Spécialement au moment de débuter un entretien. Taiseux, l'attitude posée, la lippe vaguement boudeuse, le regard scrutateur, il donne l'impression de vous soupeser, de vous jauger, comme s'il voulait vous savoir vraiment digne d'intérêt avant de se confier. Puis, petit-à-petit, sans doute rassuré, il se laisse aller. Par de simples mots d'abord : « Ecrire » ; « Composer » ; « Douloureux » ; « Apprendre », lâchés presque comme des onomatopées. Et puis, tout-à-coup, la première confidence : « En musique, je sais ce qu'il faut savoir. Maintenant, il faut que j'apprenne ce que je ne sais pas : les relations avec les gens, la vie sociale. » Nous y voilà. Ecorché vif, Saez ? Non, pas vraiment. Plutôt une sorte d'autiste, mais un autiste à l'écoute du monde (« Au bout d'un moment, tu t'aperçois que tu en viens à communiquer avec autre chose que le langage des mots », dit-il à propos du piano). Puis, il parle de son disque : « Je ne vis pas forcément très bien. Passer des semaines, jour et nuit, sur quelque chose est forcément déroutant. D'autant que les deux années qui ont précédé, je les ai passées à composer des chansons de manière très libre. Mais, le plus dur, c'est de ne jamais sortir de soi-même, il y a un côté nombriliste là-dedans qui ne me correspond pas et qui devient vite insupportable. » Il avoue sans ambages que le processus a été douloureux : « Il y a des accouchements difficiles, ça a été un de ceux-là./ C'est sans doute parce que la musique est ma vie. Au sens propre et au sens figuré. Je me souviens de l'époque où, chez moi, il n'y avait pas mon père et où le seul compagnon que j'avais, c'était le piano. C'est dans ce sens-là que je dis que la musique est ma vie. »

Pour aussitôt tempérer l'analyse d'un bravache... « Ce que j'écris n'est pas forcément ce que je vis », finalement moins convaincu qu'il ne le voudrait. Complexe Saez ? Un peu. Son itinéraire parle pour lui. Un itinéraire banal en soin mais ponctué de petits clins d'œil du destin. Naissance dans le midi pour atterrir dans une cité de Dijon à dix ans. Papa absent. « Disons que j'ai eu de la chance et je pèse mes mots. Le compagnon que ma mère a rencontré est quelqu'un de cultivé et d'intelligent. Quelqu'un pour qui, il n'y a jamais eu de choix à faire entre des vacances au ski et acheter un piano. C'était évident pour lui. Ça facilite les choses. », explique-t-il sincèrement reconnaissant. C'est au Conservatoire que Saez organisera le côté compulsif de sa nature musicale. Une expérience qu'à la différence de beaucoup, il ne renie pas (« J'ai eu un prof de piano formidable ») au contraire : « Je ne me considère pas comme particulièrement doué. J'ai simplement beaucoup plus travaillé la musique que pas mal de gens. » insiste-t-il. Et comme pour faire mentir définitivement ceux qui ont déjà tendance à le considérer comme un petit génie, il assène cette remarque subtilement dialectique : « Je ne voudrais pas que ça fasse prétentieux, mais c'est beaucoup moins impressionnant d'ouvrir seul avec une guitare acoustique pour Massive Attack, aux Arènes de Nîmes, que de passer une audition au Conservatoire. Parce que là, tout se joue en cinq minutes, et tu n'as pas le droit à l'erreur. Quand tu as ce genre d'apprentissage, après tu relativises... » Peut-être pas une génie Saez, mais déjà sacrément malin.

Yves Bongarçon