Pas très franchement connu pour être un afficionado de festival, Saez préfère habituellement les Zénith, sombres, grands et impersonnels pour chanter sa prose. Son credo : éveiller les consciences à son témoignage sur l'air du temps et sur les dérives de ce monde capitaliste. C'est en début de soirée de ce samedi ensoleillé qu'il prend place et entame un concert aux allures de transe pour ne pas dire de messe.

Réduire Saez à son premier single Jeune & Con serait une grossière erreur. Bien que ce tube continue à être régulièrement diffusé sur les ondes et massacré dans les différentes émissions de télé musicale, Saez a fait bien du chemin depuis ses débuts en 1999 avec son album Jours Etranges. Plus mystique, plus métaphysique, plus engagé, en huit albums, Saez est devenu un gourou du rock français en accomplissant l'exploit de remplir les plus grandes salles de France sans passer par le schéma classique de la promo, des médias et de la pub. Anticonformiste, c'est uniquement par sa renommée et son aura qu'il attire les foules qui, album après album, grandissent et adulent l'artiste. Pour casser ces idées préétablies sur lui, Saez prend la route des festivals, s’expose et permet aux programmateurs d'utiliser son nom comme une marque que l'on brandit pour attirer le passant.

Ne rien faire comme personne est devenu une philosophie de vie pour le chanteur qui a sorti il y a quelques mois son nouvel album Miami. Pour se mettre en jambes et instaurer le ton du concert, Saez commence, seul avec sa guitare, par Anarchitecture, un brulot rageur. Nostalgique, il assassine le temps présent contre un autre temps où d'après lui la vie était plus noble, plus vraie. Crescendo, l'intensité monte jusqu'à ce que son flow ne devienne plus qu'un cri, une rage primale qui sera ensuite relayée par un déluge sonore d'une mélodie rock entêtante et grimpante jusqu'à l'asphyxie mentale. Cheveux dans les yeux, planqué derrière des lunettes de soleil, barbu sur quasiment la moitié de son visage et emmitouflé dans une chemise de bucheron grunge, Saez veut garder cette intensité sur le fil et démarre Tu y crois. Dans ces textes, il y dénonce la société de consommation, la bêtise moutonnière du peuple et cette volonté insatiable du profit financier. Pourtant, sa présence au Main Square est antinomique avec ce combat qu'il mène le poing levé. Ce festival situé à Arras est organisé par Live Nation qui est actuellement l'entrepreneur de concerts le plus riche et le puissant au monde. Alors oui, pour gagner une guerre il faut connaître son ennemi mais sans discréditer tout son discours, sa présence reste un choix étrange mais peut-être nécessaire.

Pas à son avantage physiquement comme Jim Morrison à la fin de sa vie, Saez n'est plus le jeune blanc bec du début des années 2000. Ce n’est donc plus pour son physique que les filles viennent mais réellement pour sa musique. Le public est assez nombreux face à cette grande scène. Lorsqu'une chanson est terminée, les applaudissements et les cris habituels sont quasiment inexistants. Comme après un cantique, les spectateurs semblent être pensifs et émus par cette poésie moderne. Zeitgeist pour une génération perdue, il enchaine Les Printemps, La Fin Des Mondes, Pilule, Cigarette et J'accuse. Il est accompagné d'un groupe qui ne fait pas dans la demi-mesure quand il s'agit de taper dur et d'enclencher la disto. Ces musiciens ont la lourde tâche d'habiller les poèmes parfois punk de Saez et de suivre les envies subites de leur leader. Bien qu'il se considère « plus musicien » que Bertrand Cantat, la ressemblance avec Noir Désir est parfois flagrante. Dans sa voix, dans ses modulations rauques et dans son énergie, Saez a indéniablement quelque chose de Cantat en lui. Lorsqu'il reprend son titre Fils de France, très remarqué pendant l'entre deux tours de 2002, c'est à croire qu'il s'agit d'une reprise de Comme Elle Vient tant la mélodie est similaire. Déjà que Fils de France était une re-pompe habile et assez bien faite de Youth of the Nation de P.O.D., elle rogne maintenant sur Noir Des’.

Après une superbe version live de Marie ou Marilyn et de cette version « déjà-entendue » de Fils de France, Saez termine en apothéose sur Ma petite couturière. Déjà très vive, la chanson connaîtra un revirement en son sein, lorsqu'au milieu il lira Anarchitecture 2. Abreuvant son public d’un message très fort qui a pour but de réveiller les consciences, Saez termine le poing en l'air tout en sirotant son whisky coca. La mauvaise vie, la poésie, comme un enfant du siècle, il est un écorché vif qui ne négocie pas avec les concessions. De nos jours, rien que ça fait de lui un artiste unique.

Alexandre Blomme

Source : www.welovemusic.fr