Reprises par le chant de mille cinq cents lycéens et étudiants qui lèvent le poing, les paroles de Fils de France portent haut et fort le choc toujours pas oublié de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle : "J'ai vu les larmes aux yeux/les nouvelles ce matin/20 % pour l'horreur/20 % pour la peur."

Enregistré par Damien Saez dans l'urgence, le titre a été diffusé dans la foulée, sur le réseau Internet. Une chanson de réaction et d'inquiétude dans laquelle se sont retrouvés ceux qui avaient découvert le chanteur, auteur-compositeur, pianiste et guitariste avec Jeune et con. Un succès qui avait propulsé Damien Saez et son premier enregistrement culotté, Jours étranges (Island/Universal Music), au premier plan de la chanson rock. Avec le danger d'un retour de bâton que cet enfant du métissage aux racines algériennes et espagnoles semble bien avoir conjuré aujourd'hui.

Damien Saez est en tournée, un temps repoussée suite à un différend avec un producteur. Avec lui un groupe solide et habité, qui donne dans la densité sonore et la rage électrique. Voilà pour qui aurait douté de sa légitimité sur la scène rock, au prétexte que ce surdoué trop chanceux serait condamné à l'éphémère. A La Halle de La Trocardière, à Rezé, dans les faubourgs sud de Nantes, le 8 novembre, la question ne se pose pas pour le public. Saez le chanteur et Saez le groupe ont leur place auprès de Radiohead pour la recherche formelle, la plongée vers l'expérimentation, comme auprès de Noir Désir pour la pulsion instinctive, l'efficacité.

Les bras écartés, presque en offrande au public, accroché au micro, emporté dans une danse de derviche, poussant sa voix rauque aux accentuations féminines jusqu'à des points de brisure, Damien Saez vit chaque instant. Il met le même poids, la même intensité dans l'évocation de la mort du commandant Massoud, dans la belle dérive amoureuse de St Petersbourg, seul avec une guitare acoustique, dans la colère revendicative qui frôle le désespoir de Solution ("Nous ne voulons plus de vos solutions/il n'y a plus de rêves pour cette génération"), dans l'appel à un Dieu oublieux des hommes (A ton nom), dans la transe techno de Sexe ou lorsqu'il adapte façon punk sacrilège une rengaine pop chantée par Kylie Minogue (Can't Get you out of my Head).

Sur la liste de la quinzaine de chansons de combats et de tendresses emmenées en tournée, Damien Saez a mis beaucoup de son deuxième album, God blesse (Island-AZ/Universal Music), double CD avec d'ambitieuses orchestrations de cordes, des improvisations au piano, des striures électro. De Jours étranges, le répertoire de concert conserve quelques traces (Sauver cette étoile, Jours étranges, Jeune et co, en version acoustique, mais pas systématiquement interprété). Autour de Damien Saez, il y a ceux avec qui il a grandi en musique, le guitariste et parfois co-compositeur Franck Phan, le batteur Maxime Garoute, très demandé sur des terrains pointus, le bassiste James Eller, Britannique enthousiaste comme le bassiste Patrick West. Ce ne sont pas des musiciens aux ordres d'un leader, mais bien un tout, dans la volonté d'être en accord avec la pleine lumière de Damien Saez.

Sylvain Siclier