lles attendaient sagement dans le dépôt de Dushow qu’on vienne les libérer du sortilège de la retraite jeté par leurs jeunes cousines digitales, froides et avec plus d’écrans qu’un ado dans sa piaule. Le Prince Gendron l’a fait pour notre plus grand plaisir et celui de l’ensemble des artistes de la tournée, Damien Saez en tête. Que demande le peuple…Un reportage ? Qu’il en soit ainsi !

Ehh bin, ça ne fait pas semblant de chauffer une Paragon. Remarquez ça tombe bien, mes mains sont gelées, c’est normal au printemps ! Quelques secondes devant les ventilateurs en tête de bandeau et je suis prêt à entamer un reportage comme je ne pensais plus en faire. Entre un des couples les plus connus des retours français Gendron/Blanchet désormais séparés, Rémy tenant la face de Saez, et une console mythique reprenant du service pour le plaisir et la bonne cause, avouez que ça sent bon, très bon même. Un rapide coup d’œil aux deux tables donne la tonalité du travail de Xavier Gendron. Alors que la Paragon offre une section dynamique complète avec un noise gate stratosphérique et une section compresseur qui tient la route, seules trois tranches en bénéficient, tout le reste est juste égalisé et sort en l’état. Boum, par ici la patate, la vraie.

C’est dans les vieilles gamelles… Non, Xav, je ne parle pas de toi !

SLU : Quand et comment as-tu rejoint la tournée ?

Xavier Gendron : Ça ne fait pas longtemps et ça s’est fait assez vite suite au départ de la personne qui avait en charge les retours. J’ai juste eu le temps de finir Sardou au Québec, et j’ai tout de suite enchaîné avec Damien.

SLU : Comment as-tu pris le train en marche…

Xavier Gendron : J’ai eu deux heures chez Dushow pour préparer le câblage à l’arrière des consoles, on a fait passer les semis de la tournée, on a déchargé la régie de mon prédécesseur, chargé la mienne et on est arrivé au Zénith de Dijon, c’était le 3 avril, la 8e date de la tournée. Nous avons monté, line checké, le chanteur est arrivé, et on a fait une vraie balance.

SLU : As-tu pu travailler un peu avant avec les musiciens ?

Xavier Gendron : Trois quarts d’heure environ, mais tout le monde était content. Damien est monté sur scène, il a essayé sa voix et a dit : ”ah ouai, là y’a du son” (Je confirme totalement NDR).

SLU : Il doit envoyer cela étant car il n’y a pas beaucoup de gain sur son micro…

Xavier Gendron : Il compose, écrit et connaît parfaitement ses chansons mais surtout il chante assez fort, heureusement sinon je ne pourrais pas avoir le même niveau sur scène. Un chanteur ou un musicien qui ne joue pas, c’est mort. J’ai encore de la marge, c’est costaud mais ça reste agréable. Je pourrais faire beaucoup plus fort mais pour le coup ça serait nettement moins agréable.

SLU : J’ai vu que tu as passé beaucoup de temps à tester son micro au point de chant.

Xavier Gendron : C’est normal, il n’aime pas le Larsen mais bon, tous les artistes détestent ça. Là, même en mettant la main sur la boule, ça ne part pas. Il faut aussi savoir ce qui déclenche. Ça peut ne pas être un micro chant. Par exemple au début j’ai eu quelques difficultés avec l’accordéon et c’est vrai que lorsqu’on n’a pas l’habitude, on peut se méprendre quant au micro qui ”zingue”.

SLU : Tu communiques comment avec la scène ?

Xavier Gendron : Classiquement par des signes. Je me suis mis d’accord avec les artistes pour que guitare vers le bas ou le haut, pouce vers le bas ou le haut, je puisse comprendre et réagir au plus vite. Après je ne m’interdis pas de monter sur scène pendant le concert pour recevoir des instructions plus précises et écouter en même temps le son qui y règne.

SLU : Parlons clair, tu as dû gagner la confiance de toute l’équipe artistique !

Xavier Gendron : Bien sûr et c’est normal. Il y a quatre jours, j’ai su que tout le monde était extrêmement content mais je préfère attendre la fin de la tournée pour en parler. Pour le moment je me mets dans l’esprit du technicien qui remet chaque soir sa place en jeu. C’est une tournée très exigeante où il faut savoir suivre l’artiste dans sa manière de s’offrir à son public, que tu sois musicien ou technicien. Cela m’oblige à être encore plus précis, presque maniaque mais ça tombe bien, c’est tout à fait ma façon d’être, limite trop d’ailleurs ! J’ai par exemple mesuré et noté l’emplacement et les angles que doivent former les amplis guitare avec les wedges du point de chant. C’est à moi de caler ça avec Seb, le très bon backliner guitare, pas à l’artiste. Mon engagement est de fournir chaque jour, et dans la mesure de l’acoustique de la salle, la même prestation. Idéalement je dois me faire totalement oublier et ”sentir” assez le patron pour réagir le plus vite possible, avant même qu’il émette un souhait par un geste. Quand la confiance s’installe, un regard suffit, et quand j’y arrive, j’estime que je fais bien mon boulot. La clé, c’est la rapidité.

SLU : Tu parles de l’acoustique de la salle, c’est un problème avec des wedges.

Xavier Gendron : Ca dépend. Il faut que je délivre quelque chose de constant et pas trop influencé par l’acoustique du plateau…

SLU : Il suffit de couvrir en jouant plus fort non ?

Xavier Gendron : Oui en partie, mais en même temps Damien aime bien entendre la salle, et comme les line array projettent beaucoup mieux le son vers l’avant et que l’on joue fort sur le plateau, ce n’est pas évident. Comme Rémy (Blanchet, ingé son façade, ehhh oui, il faudra s’y faire ! NDR) ajoute certains effets ponctuels, Damien aime bien les entendre par les retours de la salle.

SLU : Comment gères-tu la dynamique du show ?

Xavier Gendron : C’est la difficulté car, notamment au début du concert, il y a 3 titres très, très intimistes à la guitare nylon et à la voix, et après la venue de l’accordéon, tout le reste rentre et ça part. Sur certains morceaux limite punk et très rock, ça envoie fort. Il faut arriver à suivre et à modifier certains niveaux sans que les artistes ne soient perdus. En plus, la set list nous est donnée quelques minutes avant le début du show.

SLU : Ca n’est pas plus difficile de juger ton mix depuis la régie entre tes deux wedges ?

Xavier Gendron : Si bien sûr. Avec des ears, on a à peu de choses près ce que l’artiste entend sur scène. Avec des wedges en revanche, il me manque les side, les amplis, la batterie. Il faut donc transposer entre ce que j’ai ici et ce qui se passe sur le plateau, c’est pour ça que j’y vais tellement souvent durant les balances.

Une analogique ça sonne mieux…

SLU : T’as l’air heureux en tous cas !

Xavier Gendron : Complètement. Je me régale. Je suis comme un poisson dans l’eau. Musicalement j’adore, et puis ça joue bien. Il faut aussi dire que ce retour aux sources fait du bien, et puis, comment aurais-je pu avec une numérique réussir à caler un show en une journée. Impossible ! Il y a aussi autre chose, une évidence.

Les musiciens de cette tournée viennent tous d’horizons différents. Un des guitaristes est un ex de la Mano, le batteur est un ex de Johnny, eh bien tous sans exception, quand j’ai ouvert leur wedges, ont eu la banane. Tous ! Moi y compris.

Quand j’ai ouvert les miens, ça m’est revenu comme lorsque tu remontes sur un vélo après des années sans l’avoir fait. Le son est arrivé tout de suite. J’ai fait la batterie en un rien de temps et sans torturer les EQ. Je nettoie juste pas mal dans le bas mid.

SLU : En plus question micros, c’est du très classique…

Xavier Gendron : Oui mais là, tu sais, je ne m’en occupe absolument pas. Les micros c’est pour la façade, moi je m’adapte sauf si j’ai vraiment une grosse galère. Le choix a été fait par Rémy au début de la tournée et c’est très cohérent.

… Et ça va plus vite

SLU : En dehors de sa rapidité de déploiement, pourquoi as-tu choisi de repartir en analogique ?

Xavier Gendron : Ça correspond au style musical. Tu as la main tout de suite sur ta source sans perdre de temps avec des pages et des layers, et comme en plus je ne fais jamais de snapshots, même avec mon habituelle Vista, je ne suis pas pénalisé.

Quand je suis arrivé, on m’a demandé de faire du suivi par titre, ce qui prouve bien qu’un certain encodage avait été réalisé par l’équipe précédente qui travaillait sur une SD7, mais on peut le faire à la main, il suffit d’avoir un peu de mémoire et avoir tout le temps les yeux sur ton chanteur, les yeux rivés sur lui.

SLU : Avec tes artistes habituels tu es à bonne école (rires !)

Xavier Gendron : Oui, c’est exactement ça. Il n’y a pas d’artiste plus difficile qu’un autre dès lors que tu t’occupes bien de lui, que tu gagnes sa confiance. Sur cette tournée je commence même à mixer, à savoir que je me permets à certains moments de jouer un peu avec les niveaux ou avec les filtres. Il y a un morceau où la basse joue avec un octaver. Pour éviter de trop polluer la façade, j’insère un coupe-bas. Je joue aussi avec le Moog qui amène un tapis intéressant.

SLU : Ils sonnent bien tes wedges…

Xavier Gendron : Oui absolument, ce sont des LE 1200 Martin. Quand j’ai fait les répètes pour les arrangements de Sardou, les musiciens m’avaient demandé s’ils pouvaient être tous en wedge, ce qui était plus pratique pour se parler, et j’avais choisi les Martin. J’ai repris le même modèle pour cette tournée en remplacement de ce qui avait été prévu par l’équipe précédente à savoir des Rat Sound, les gros vieux wedges couverts de moquette, et des DV-Dosc posés sur les subs de la façade et tournés vers Damien. J’ai fait simple. Le son ça doit être simple, surtout si on veut que tu ouvres et que ça sonne. Il en va de même à la console où j’ai évité de dupliquer les tranches en fonction des départs side, wedges ou ears, sinon ça devient vite ingérable.

SLU : Tu as mis quatre wedges à Damien pour quelle raison ? Tu joues des messages différents ou bien tu cherches de la puissance ?

Xavier Gendron : Je le fais pour avoir de la puissance, et surtout pour sortir la 480 en stéréo.

Dans les wedges de Damien il y a juste sa voix, ses guitares et la réverbération. Les deux wedges par côté me donnent aussi une meilleure couverture, et j’en ai ajouté deux autres derrière pour bien l’envelopper. Mon but est de coupler au milieu et au fur et à mesure qu’il s’éloigne du point chant pour aller boire ou fumer une cigarette vers le podium de la batterie, de faire en sorte qu’il ne perde pas le son. Après, en fonction des morceaux et de ses mouvements, je le suis et ouvre éventuellement d’autres instruments ou d’autres points de diffusion.

SLU : Revenons une seconde au choix d’une analogique. OK ça va plus vite et ça sonne mieux, mais ça te trottait dans l’esprit ou bien t’es parti sur un coup de tête…

Xavier Gendron : Ça fait un certain temps avec Seb Rouget sur Sardou que l’on se posait la question. Disons que l’on n’a pas arrêté d’en parler. Quand cette tournée m’a été proposée, face à la difficulté de la prendre en cours de route, je me suis dit qu’il fallait un changement radical qui puisse donner à l’artiste le son qu’il voulait entendre. A ce propos, et même si certains vont hurler, je fais globalement toujours la même chose. Bien sûr je m’adapte à ce que le patron réclame et à ce que la tournée impose, mais pour le reste je fais du Gendron. J’ai bien entendu acheté sur iTunes tous les albums de Damien et les ai écoutés durant le trajet en avion vers et depuis le Canada, sans oublier chez Solotec durant la préparation du matériel pour Sardou afin de bien me mettre dans son univers musical, mais après j’ai proposé quelque chose à l’artiste et il a adhéré.

Remise en question totale de l’évolution sonore

SLU : Ce son si organique et enveloppant, c’est la signature Paragon ?

Xavier Gendron : Oui c’est la table. Dès que j’ai ouvert le premier jour, elle a mis tout le monde d’accord. Quand tu branches un micro et tu écoutes une voix, il y a de l’air, du son, il y a tout. Il n’est pas nécessaire d’ajouter des trucs pour que ça sonne. Les seules tables numériques qui me font penser à ce type de rendu sont la Studer et la Midas. Il paraît que la nouvelle SSL est bien aussi, cela étant je ne vois pas le besoin, à part pour des raisons de place ou pour une grosse comédie musicale, de prendre une numérique pour ce type de tournée. On le faisait bien avant, pourquoi pas maintenant ! En fait quand on y pense, à quoi bon s’emmerder avec des consoles digitales. Avec les analogiques on a le son et surtout, lors des échanges avec mes collègues, tout tourne toujours autour du « T’as entendu la dernière machin ? On dirait presque une analogique ! » Mais alors pourquoi ne pas en prendre une ! OK, les numériques sont plus compactes et légères mais à côté de ça on te les truffe de gadgets d’un intérêt plus que douteux. Franchement, depuis que je suis tout petit, je vois des shows. Mis à part le Line Array, et encore dans certaines applications ça se discute, je ne trouve pas que bon nombre de shows actuels sonnent mieux que certains du passé. Certes on a gagné de la couverture en termes de distance, mais pour le reste je ne trouve pas que le son des shows se soit amélioré.

SLU : Question placement aussi tu es au contact de la scène, pas d’écrans ou de marches à monter.

Xavier Gendron : Jamais ! Je dois être au plus près de l’artiste et pouvoir aller immédiatement le voir sur scène et, si besoin est, lui parler et surtout l’écouter. Pour ça, je dois être au contact. Pendant le show le public n’existe pas pour moi. Je coupe très souvent mon PFL pour être avec eux et mieux me rendre compte de ce qu’ils entendent.

SLU : Tu écoutes quoi dans tes wedges ?

Xavier Gendron : Je me suis fait une sommation assez perso. J’écoute à la fois les wedges de Damien et les side fills. Cela me donne un rapport de ce qu’il a sur scène. Je fais souvent des pauses pour écouter le fond de scène et surtout le side distant qui me couvre bien, ça me donne des infos précieuses. Les principes de Xavier Gendron

SLU : C’est quoi ta philosophie de travail…

Xavier Gendron : Je ne me considère pas comme un technicien pur. Je suis même un âne en théorie. Ce dont j’ai besoin, c’est d’être transporté par le son, je veux en chialer sur certains titres. Il faut que ça me fasse vibrer, que je sois avec ears ou avec des wedges. Je ne vais pas passer une plombe à travailler une charley, et les musiciens, c’est ce qu’ils recherchent, avoir le fidèle témoin de ce qu’ils envoient. Je n’en prends pas le crédit, si ça sonne c’est grâce à eux, à leur jeu.

Mon rôle consiste à le leur restituer le plus fort et le plus proprement possible. Je me dois de leur délivrer chaque soir un gros son. Il faut que ça pousse au cul, et que ça donne envie d’y aller. Je fais des retours et je ne l’oublie pas. Je suis là pour eux, pas pour faire un CD. Le son de scène existe déjà. Je ne fais qu’ajouter ce qui manque et englober le tout pour lui donner du liant et faire un cocon.

SLU : Tu disposes d’une puissance de feu assez redoutable en termes de niveau..

Xavier Gendron : Oui, surtout en termes de dynamique, ce qui permet aux artistes de pousser sans être compressés ou limités. Je garde malgré tout la main sur les niveaux, et je sais quand ça devient trop fort, je régule de mon côté. Je préfère que l’artiste me dise de retenir plutôt que de le voir me réclamer sans cesse du son. J’en ai sous la semelle. C’est pareil pour les ears. Pour le moment tout le monde est en HF mais pour les festivals je vais passer les musiciens en filaire sur des amplis Lab.gruppen. C’est gentil les piles 9 V mais ça n’a pas de son ! C’est dommage d’avoir les guitares, et tous les micros en filaire, une super table analogique et, alors que t’as des top musicos qui envoient, d’utiliser un pack HF.

SLU : Tu m’avais dit que tu jouais sans aucun traitement dynamique, tu m’as menti (rires !)

Xavier Gendron : Non, les deux compresseurs sur les over head sont là juste pour les ears. Il y a trois titres où les musiciens les portent pour avoir un click. Comme les artistes sont contents je n’y touche plus, mais on peut appeler ça une erreur. Quand j’aurai le temps, je les enlèverai car les compresseurs de la Paragon peuvent te trahir. Ils sont vieux, et quand j’ai testé les tables chez Dushow, j’en ai trouvé deux ou trois qui, une fois insérés, faisaient des trucs pas cool du tout. Si ça arrivait durant le show, ça serait moyen. Le gate sur le tom basse est là presque pour rien. Il s’ouvre tout le temps. Comme le fût a tendance à trainer, je m’en suis servi dans une salle, et depuis je l’ai quasiment relâché.

SLU: Tes effets paraissent éteints ?

Xavier Gendron : Ils ne servent à rien en effet. J’utilise juste une 480. Tout est éteint ou en stand-by, les Distressor comme les SPX.

SLU: Quand tu testes le micro de Damien, tu as un bas mid bien chargé…

Xavier Gendron : C’est normal sur ma voix, avec la sienne qui est plus haute ça lui apporte une assise et du corps. Il a en revanche un vrai aigu très fin. On entend presque des bruits de bouche avec sa voix.

SLU: Avec ton expérience aux retours, un artiste heureux est un artiste que tu n’entends pas ?

Xavier Gendron : Exactement. J’estime que quand on ne m’appelle pas dans les loges, tout va bien. Je ne vais pas non plus à la pêche aux embrouilles, mais je pars du principe qu’après l’artiste, je suis le boss sur scène et je fais en sorte de fédérer tout le monde afin qu’on aille dans la même direction. Si l’artiste ne vient pas aux balances, je sais par exemple quels morceaux travailler pour être d’équerre le soir. Il ne faut pas se leurrer, les rapports avec les artistes, quels qu’ils soient, sont toujours très limités. Avoir un sourire, un regard où transparait le bonheur d’être sur scène ou encore un simple ”ça roule” est la plus belle des récompenses. Une analogique, c’est aussi plus risqué

SLU: Tu te mets quand même plus en danger à tout faire à la main avec des vieilles tables non ?

Xavier Gendron : C’est certain que ça fait pas mal de temps que je ne ressens pas cette pression avant chaque show. 5 minutes avant je suis dans un état second, et quand il est fini, je suis explosé, fatigué comme rarement. L’exigence est très forte, et aux retours on n’a pas le droit à l’erreur. Si par exemple Damien me demande plus de réverbe et ça part, avec un TR de 5 secondes je vais lui découenner la tête et ça va durer, durer…Du coup chaque jour, et aujourd’hui aussi comme t’as pu le voir, je passe du temps à peaufiner certains détails que j’avais laissés en friche les premières dates par manque de temps.

SLU: Tu penses que les jeunes techniciens vont être capables de reprendre une analogique de temps en temps quand une numérique ne s’impose pas ?

Xavier Gendron : Je vais te raconter une anecdote. Je donne des cours au GRIM (Ecole Supérieure du Spectacle et de l’Evénementiel à Lyon NDR) et ils ne disposaient que de petites tables digitales. Un jour, grâce à leur partenariat avec GL, j’ai fait venir plein de Venice en plus de celles qu’ils ont, et j’ai assuré la formation avec. Je reconnais que les mômes savent mieux se servir des digitales que moi, sauf qu’ils n’arrivent pas à faire du son. Pour comprendre le signal, il faut une analogique. Ils se prenaient le chou avec des groupes jouant pour eux qu’ils flinguaient à grands coups de Larsen. Je leur ai mis une Venice et des 31 bandes, et d’un coup tout s’est arrangé. « Vous mettez quoi m’sieur pour faire un son comme ça ? » Bin rien, regarde mes tranches, mes EQ, rien d’extraordinaire. On se pose la question avec Seb Rouget pour nos prochaines tournées. On est extrêmement tenté de rester en analogique.

SLU: Ca dépend de la nature des arrangements et… (il m’interrompt)

Xavier Gendron : Même ! Quand j’ai fait équipe avec Sebastien je lui ai dit –pas de snapshots- ce qui réduit d’autant l’attrait d’une numérique. Il faut aussi savoir parler aux artistes et aux musiciens et leur expliquer l’importance et les avantages de travailler simplement. Au bout de quelques minutes tout le monde s’y retrouve, sans parler des gars à la face qui adorent ne plus courir après les niveaux à chaque snapshot des retours. Comment veux-tu avoir un équilibre général si à chaque titre tu changes les niveaux.

SLU: Au fait, tu les as trouvé où les EQ TC Electronic ?

Xavier Gendron : Ils sont à moi, j’en ai une dizaine avec la télécommande, le reste je l’ai trouvé chez Dushow. (On trouve tout à la Dushoritaine NDC)

SLU: Tu as une égalisation par wedge ou globale ?

Xavier Gendron : Non la même, j’ai fait un copier/coller le premier jour, et ça marche depuis. Il y a quelques dates, j’ai un peu baissé à 500 Hz car j’excitais trop la salle mais depuis je suis revenu à la normale. J’ai baissé car je sentais que j’allais me manger une remarque de mon collègue de la façade qui est accessoirement mon meilleur ami. C’est l’inconvénient, j’ai du mal à lui refuser des trucs (rires). Quelques petits soucis de fiabilité…

SLU: Tu ne l’as pas pourri d’avoir lâché les retours pour la face ?

Xavier Gendron : Non, mais quand il vient me prendre la tête sur scène, en me disant qu’il trouve que le pied clique un peu, je le renvoie dans ses pénates : ”Dis donc, ça te gêne pendant le show ? Non ? Eh bien on ne va rien toucher alors !”

C’est vrai que face et retours, c’est un autre monde. Cela dit, je ne vais pas aller tailler dans un son à vide pour le plaisir car le soir, il y aura de fortes chances pour que ce que t’as enlevé te manque. Je suis un fervent partisan du ”quand ça marche, surtout n’y touche pas”.

Pour en revenir à la fiabilité des appareils, je vais bientôt prendre quelques jours et aller voir Dushow pour remettre en état ce qui doit l’être. Ce n’est pas de leur faute. Le vieux matériel qui ne sort plus assez souvent est oublié dans les rayons, et économiquement ce n’est pas viable d’attribuer des techniciens à de la maintenance préventive sur ce type d’appareils.

Les premiers jours j’ai été obligé de recréer artificiellement des liaisons dans la Paragon à grands coups de bruit rose ! Te marre pas, ça marche ! C’est valable aussi pour un buzz quand t’as une patte en l’air. Ça peut le faire partir.

Parfois je fais aussi le coup du 48 V, ça décoiffe et réveille une tranche qui n’a pas le rendu ou le gain normal. C’est vrai qu’à moins de connaître cette table par cœur, il vaut mieux se rabattre sur d’autres modèles car tous les jours elle te fait une surprise. Dès que j’arrive dans une salle, j’envoie du bruit rose de l’une vers l’autre et je laisse. Tu reviens un quart d’heure après et t’as perdu deux mix ! Il faut savoir tapoter, appuyer, faire jouer. J’ai même fabriqué un outil bien rembourré pour taper sur le bandeau sans abîmer les led-mètres. Il faut aussi ne pas hésiter à ouvrir quand le son part d’un côté à l’autre ; le fait d’appuyer sur les tranches ne règle que très provisoirement le problème. Il vaut mieux réenclencher la nappe qui se balade ! J’ai même réussi à redresser une pinoche avec une pince à épiler. J’ai mon kit maillot !

SLU: Tu n’as plus intérêt à la bouger celle-là !

Xavier Gendron : Ohh non, une fois ça passe, au-delà c’est compliqué…C’est comme les tranches stéréo au-dessus des sorties, à ne surtout jamais utiliser car c’est une terrible source de pannes. Même quittant l’usine, cette section n’a jamais offert de garanties ! API a tenté de faire tenir un maximum d’entrées et de sorties dans un petit format, je parle bien sûr pour l’époque. Une Paragon est moins grande qu’une XL4, a plus d’entrées et 16 sorties en plus.

…mais des fonctions qui font craquer

SLU: Sans parler de ses possibilités propres..

Xavier Gendron : Il y a une fonction que j’adore et qui prouve à quel point elle a été conçue pour nous, une fonction qui n’existe sur aucune autre table. Sur chaque départ, tu as le choix entre trois positions, Pre 1, Pre 2 et Post. Sur Pre 1, tu es pré-fader mais aussi pre section dynamique. En Pre 2, tu es pre-fader mais post-section dynamique. Le gros avantage est que tu peux par exemple ne pas compresser un clavier qui sinon ne va pas se rendre compte des différences de niveau, en revanche chez les autres tu peux le faire. Pareil pour un bassiste. Il déteste qu’on le compresse. Tu le laisses donc tel quel. En revanche, et pour éviter de faire le yo-yo avec le batteur qui n’a de cesse de te demander plus de basse, moins de basse et ainsi de suite, tu insères le compresseur sur ses départs. L’avantage, avec ce triple choix par sortie, est de ne pas affecter le musicien.

Le mec qui a conçu cette table faisait des retours, ça se voit. En revanche il y a eu des erreurs terribles de conception. Le préampli par exemple est magnifique mais sur les premiers modèles on pétait les dynamiques à la pelle car ils n’avaient pas prévu une ventilation forcée du bandeau où la chaleur s’accumulait. Un autre problème est aussi le peu de place à l’intérieur. Le simple fait de sortir une tranche fait que la nappe va frotter et risque d’abîmer les composants de celle à côté, sans parler de la nappe elle-même qui à terme se retrouve à vif. Je te laisse imaginer ce que ça fait au niveau du son. C’est la fête au village (rires !)

Le châssis aussi a été conçu pour ne pas être trop lourd ; une mauvaise idée car on le tordait sans effort avec les dégâts que tu peux imaginer. Il faudrait même après son renforcement transporter cette console à plat, autant te dire qu’on n’a pas fini d’avoir des petits soucis ! Électroniquement c’est une bonne console, mais mécaniquement ils se sont ratés.

SLU: Combien elle pèse depuis sa modification ?

Xavier Gendron : On doit être proche des 300 kg. C’est simple, pour la manipuler j’ai eu quelques tracas. J’avais oublié son poids. J’ai vu quatre roads, et j’ai dit : ”messieurs, on va prendre la console”. J’en vois un des quatre qui paraissait moins baraque, je me mets de son côté et on y va, trois, quatre…Elle n’a pas bougé (rires) ! J’ai forcé un peu et j’ai senti mon dos siffler comme jamais. Pour la manipuler, c’est minimum six gars. Minimum ! Depuis on la fait avec le Culbuto et on la pose sur rack.

SLU: Mais dis-moi, tu n’as pas beaucoup de croix en papier adhésif pour signaler des tranches en vrac…

Xavier Gendron : Je les répare toujours, et pour les gros trucs j’appelle Michel (Boterf, technicien de Dushow, présent aussi le soir de notre reportage NDR). Il est venu à Lille réparer quelques problèmes plus sérieux mais pour le reste, je m’en sors. Il faut être un peu chiropracteur avec une Paragon. De 1999 à 2006, je n’ai utilisé que cette table.

SLU: Jusqu’en 2006

Xavier Gendron : 100% jusqu’en 2003. Le dernier Hallyday je l’ai fait avec. En 2004, pour Sardou, je suis passé en numérique mais en 2006 pour Lara Fabian je l’ai reprise.

…et l’absence de latence

SLU: On n’a pas parlé de l’absence de latence, ou plutôt sa présence sur les tables numériques…

Xavier Gendron : C’est un grand sujet. Je sais une chose, avec une analogique, quand je prends un micro et j’écoute ma voix, je la reconnais, quand je le fais avec une numérique je ne la reconnais pas. Est-ce que c’est la latence ou autre chose ? Je ne saurais te le dire, mais le fait que le son est converti, trituré, retardé fait que ça ne sonne pas pareil.

J’ai eu l’occasion, à la demande de Julio Iglesias, de tester il y a quelques années une configuration numérique en parallèle de celle analogique. Après y avoir consacré beaucoup de temps pour que les deux rendus soient les plus proches possible, j’ai basculé durant les répétitions à sa demande sur la numérique. On a eu beau s’escrimer, on n’a pas réussi à trouver un compromis acceptable, et au bout de quelque temps je suis repassé sur l’analogique. Sa réaction a été immédiate : il a retrouvé le son, et la numérique son fly-case ! J’ai la chance de travailler avec la Studer qui est une console magnifique mais je vais deux fois plus vite sur une Paragon et surtout quand j’ai un problème, je le vois tout de suite et je le corrige instantanément. Autre avantage, j’ai la tête toujours tournée vers l’artiste alors qu’avec une digitale, quelle que soit la marque, tu es obligé de passer du temps la tête en bas et le regard vers les écrans, peut-être un peu moins avec la Vista.

SLU: En conclusion les retours pour toi…

Xavier Gendron : Faire des retours c’est être tous ensemble au service des artistes, des backliners aux assistants. On doit tous être des guerriers même si ce n’est pas facile tous les soirs. On doit tout donner. Je ne conçois pas le métier autrement. A haut niveau tu dois être à 140% !

CONCLUSION

ous attendez certainement après tout ça une conclusion poussiéreuse et tout à l’honneur du bon vieux temps du rock and roll avec l’inévitable couplet sur le progrès qui avale tout et la jeunesse qui n’a rien compris. Raté.

Je suis sorti de ce reportage emballé par ce qui fait la force de notre métier, l’association d’un homme et d’une machine, l’alchimie qui se dégage de ce couple parfait quand l’un et l’autre se comprennent et se subliment.

Comme l’a dit si bien au journal « Le Monde » Thomas Bangalter de Daft Punk : ”Ces quinze dernières années, ce qui était le home studio, construit à partir de différents éléments, a été miniaturisé dans un ordinateur dans lequel sont modélisés banques de sons et logiciels. Aujourd’hui, la majorité de la pop et de l’électro est produite avec cette assistance technologique formatée, accessible à tous. Un magicien peut-il encore faire son tour quand tout le monde connaît son truc ?”

Cette débauche de technique a aussi atteint le Touring alors qui sait, peut-être allons-nous assister à une certaine forme de retour aux sources, à ce qui fait le son ? C’est en tout cas le choix de Xavier Gendron pour cette tournée qui s’y prêtait, sans se départir pour autant de ce qui fait sa force : sa méticulosité, son expérience et sa feuille.

Pensez que le soir de mon passage, il a passé une bonne demi-heure à débusquer l’origine d’un début de dureté et de résonance dans le splendide rendu de la 480, et plus du double à chercher par tous les moyens à déclencher un Larsen. Il a tout fait au SM 58 de Damien, tout.

Bouche ouverte, capuche mise, boule contre la joue face au wedges, à genoux devant, face à eux, dos à eux, face aux side, dos aux side, avec la réverbération, sans, tout y est passé ! Les rares fois où l’idée d’un soupçon d’une boucle s’est faite jour, il l’a renvoyée à ses pénates en lui coupant avec délicatesse les pattes grâce aux bons vieux TC 1128 analogiques.

Qui dit conscience professionnelle dit aussi que si sur scène ça cartonne, il faut en faire de même à la console sinon, comment savoir ce qu’on envoie… Résultat, durant les balances et au point d’écoute de Xavier, je mesure de 110 à 120 dBA. Basculé en C, je sature quasi immédiatement mon sonomètre qui m’annonce 128 dB et 133 dB crête avant d’allumer sur l’écran un triste « Clip » tout rouge.

Cette pression extrême fatalement à la longue est malgré tout grisante, le son sec et les claques qui arrivent en vagues serrées paraissent maitrisées. Pas l’ombre d’un traînage, on est secoué, décollé du sol. C’est net et sans bavures.

Je m’aventure sur scène durant la balance en profitant de l’absence du patron et j’ai une vraie révélation. Est-ce la puissance et le placement des wedges, la qualité des consoles, le fait qu’elles soient analogiques ou encore la justesse et l’efficacité du mix de Xavier ? Sans doute un peu tout ça. Le fait est que je me retrouve totalement immergé dans le son avec un sentiment de plénitude et de dynamique que je n’ai jamais ressenti avec des ears.

A l’emplacement du chant lead, les 4 wedges et les side en MSL4 se couplent comme papa dans maman avec les guitares dont les amplis disposés méticuleusement envoient pourtant dru. Un vrai mix dans les airs. Je redécouvre aussi les MSL4 qui délivrent une pêche physique et un aigu en fin de compte très fin, bien plus que je ne le pensais. Un comble !

Je comprends mieux pourquoi certains artistes préfèrent rester « tradi » et ne pas passer aux ears. Ehh non, l’argentique, les filaments rougeoyants, les vinyles qui craquent et l’analogique pour ne citer qu’eux ne sont pas morts. Quand on en fait un bon usage, ils se révèlent même imbattables et surclassent la fée numérique et ses lutins électroluminescents. Leur disparition est pourtant programmée à brève échéance, le progrès en a décidé ainsi.

Profitons donc de ces derniers instants magiques où le son, les rayons et les vibrations sont plus beaux, et encore merci à Xavier de nous avoir convié à la fête au boulet. Signalons que Christophe Génix qui a longtemps travaillé avec Damien Saez, reprendra le flambeau de Xavier « Wilko » Gendron pour quelques dates cet été ;0)

Un dernier mot en guise de Petit au bout, non pardon, de Little to the end tiré d’une vieille doc d’API : « If you have never had the pleasure of mixing on a Paragon , we are truly sorry. A clean, powerful, dynamic audio presentation in a live venue is an emotional experience that is second to none.» Ce n’est pas faux…

Ludovic Monchat

Source : www.soundlightup.com