Ce titre un chouillas provocateur a été lancé comme une boutade lors d’une discussion animée à mon travail (une autre était que Saez, c’était Raphaël, mais avec du talent ^^). Mais j’aime bien la première blague, et elle résume bien la chose (la seconde aussi BTW). Avant de fêter l’arrivée du prochain album de Saez la semaine prochaine, suivi de sa tournée (les 5 et 6 mai à Paris), cet article sera un bon moyen de faire le point sur cet artiste et son parcours un peu chaotique.

Comme je l’avais expliqué dans un précédent article, Saez ne laisse pas les gens indifférents. Il provoque soit la haine soit la dévotion, dans les deux cas les plus extrêmes. Aujourd’hui, après cinq ans en dehors du parcours médiatique, tout au plus un single radio tous les deux ans, certes il ne fait plus le buzz, mais ceux qui s’en souviennent n’ont rien lâché de leur vigueur.

Saez est né en 77 de parents espagnols et algériens, ce qui prédit déjà un beau résultat. Sans s’appesantir sur les détails inutiles, il commence dès l’enfance des études de piano au conservatoire (pendant 9 ans), à l’adolescence apprend seul la guitare, et prend goût à l’écriture à la même époque. Ce bagage culturel et ce cursus sont intéressants pour comprendre la suite, notamment car c’est la volonté de faire connaître ses textes qui sera son moteur. Ne se contentant pas d’un groupe local, il monte à Paris, se fait remarquer de William Sheller (excusez du peu, j’ai énormément de respect pour cet artiste), et réussit très rapidement à convaincre Universal de lui produire son premier album :

Jours étranges (1999). Cet album est à la fois classique et original : c’est ce qu’il fera de plus "FM" (ou mainstream, appelez ça comme vous voulez), mais le style est très varié. Saez se cherche musicalement. Du rock plus ou moins pêchu, ici une pointe d’electro, et une inattendue reprise de My funny Valentine. Et déjà, des mélodies à pleurer, et de superbes textes, qui parlent d’amour, de mort, et désabus devant la société… Car ces textes, ce sont LE fil rouge de la carrière de Saez ; si son style musical changera régulièrement du rock à l’electro à la musique classique, cette qualité d’écriture et ces thèmes reviendront à chaque fois. Parmi les meilleurs titres, Sauver cette étoile, J’veux m’en aller, et surtout le hit Jeunes et cons, qui le propulsera en une fois d’inconnu à vedette.

Déjà, les critiques fusent : sa voie nasillarde ne fait clairement pas l’unanimité ; refusant de passer à la télé, il est raillé sur sa façon de dénoncer la société, attirant les collégiens rebelles, qui mettent un badge Anarchie sur leur sac Eastpak – son passage aux victoires de la musique contribuant à forger cette image – ; et surtout, ce sont ses concerts qui passent mal. Une date sur deux est annulée, jusqu’à ce que son groupe explose au cours de la première tournée, Saez rappelant alors ses amis d’enfance pour faire les derniers concerts. Et lorsque ceux-ci ont lieu, Saez peut être en communion parfaite avec son public, comme le mépriser l’insulter, etc. Ambiance. Enfin, d’expérience personnelle, confortée par trois autres témoignages (ça vaut ce que ça vaut) une partie de son public fait partie de la frange "musclée" des fans, et certains concerts peuvent être très houleux…

Ces critiques sur sa voix et son engagement existent toujours aujourd’hui, mais il me semble que la situation en concerts s’est grandement améliorée depuis Debbie - confirmation le 6 mai.

Un an après Jours étranges, Saez met à disposition sur internet Katagena : une œuvre d’une demi-heure/6 titres. Gratuitement. Ne sortira jamais dans le commerce. Nous sommes en 2000 et c’est sans doute un des premiers artistes "star" à avoir une telle démarche. Il s’agit d’une œuvre parfois rock, parfois electro, très introspective, bien plus difficile d’accès que son premier album, et c’est sans doute ce qui a motivé ce choix de "don" à qui le voudrait. On y retrouve déjà le style complexe que Saez aura dans son deuxième album :

God blesse (2002), est un double album (le seul à avoir son nom sur la pochette ?). Le premier CD, appelé God blesse, contient un rock plus musclé que dans Jours étranges, puis éclot dans des styles plus divers ; l’album entier est puissant, bien équilibré, avance doucement vers des titres plus difficiles d’accès mais bien amenés, et donner la liste des meilleurs titres reviendrait à donner la playlist. On notera le titre Sexe, electro aux paroles crues, que Brian de Palma viendra chercher pour la BO de son film Femme fatale (cette anecdote semble impressionner les gens autant que celle de Sheller m’impressionne).

Le deuxième CD est lui appelé Katagena. Oui, comme le ‘CD’ internet. Il contient encore une playlist parfaite, aux styles variés mais là encore bien amenés, pour un résultat intimiste, désabusé. On dirait que Saez nous a donné le premier CD en appât pour nous faire écouter le second, beaucoup plus personnel, avec des textes et des mélodies à pleurer. Les condamnés, A ton nom ou St Petersbourg me font toujours le même effet, huit ans après ; après les avoir écouté, il n’y a plus rien à dire…

Quelques semaines plus tard, c’est le fameux premier tour de la présidentielle de 2002. Beaucoup d’artistes (de gauche évidemment) en parleront dans leurs albums, parfois en mots très voilés comme No one is innocent, mais Saez produit un titre pendant la nuit et le publie encore une fois gratuitement sur internet. Ce titre, qui passera des mois à la radio, qui deviendra aussi connu et emblématique que Jeunes et cons, c’est évidemment Fils de France. Comme pour chacun de ses titres, je vous invite à prêter très attention aux paroles.

Deux ans plus tard, Debbie, son troisième album, sort dans ce qui m’a semblé être une relative indifférence. Pour moi, la Saezmania est finie, et comme pour tout effet de mode, seuls les vrais fans restent. Ça correspond pour moi à un tournant dans la carrière de Saez, mais je le répète, c’est une analyse personnelle.

Debbie est un album de rock très musclé, limite grunge, moins engagé certes, mais les paroles sont toujours aussi aiguisées, remplies de doubles sens dont j’en découvre encore aujourd’hui. Si les paroles ne parlent "que" de sexe ou de relations humaine, l’album en est d’autant plus cruel car c’est sur son plan le plus intime que l’auteur est blessé. Mais toujours une qualité extrême, et une playlist proche de la perfection.

Après la tournée de l’album, Saez quitte Universal. Il leur doit un album, les crédits sont déjà alloués, mais Saez leur propose de dépenser tous ces beaux millions à débiter des poêmes d’Antonin Artaud d’une voix monocorde sur de la musique électronique : ils se quittent donc en bon termes :D Saez précisera que ça lui aurait plu de faire cet album ; ce qui me fait peur c’est que ça m’aurait plu de l’écouter :D Saez a les mains libres, et il en profite pour lancer sa première tournée solitaire et acoustique : "Saez : piano et voix".

Plusieurs années passent sans nouvelles, à part quelques concerts acoustiques ici et là ; fin 2006, une rumeur d’album en anglais suit la diffusion (gratuite, comme toujours) de quatre morceaux ; fin 2007, toujours sur internet, l’excellent Jeunesse lève-toi, en référence à l’élection présidentielle où la jeunesse ne s’est finalement pas levée (nda).

Jeunesse, lève-toi fait en fait office de Single promotionnel pour le nouvel album qui sort en 2008. Triple album, Paris – Varsovie – l’Alhambra est également disponible en CD unique : Paris. L’album fait suite à la rupture de l’artiste, et la quasi totalité des 29 chansons y fait référence. Paris (voix, guitare, mélodie) est facile d’accès, mais les deux autres CDs (voix, guitare ; puis finalement voix toute seule) demandent d’être franchement fan. Les thèmes parlent de rupture et de mort, ce n’est clairement pas joyeux, mais les textes sont encore une fois magnifiques. Sans doute pas le meilleur album pour découvrir l’artiste :) .

En 2009, Saez sort finalement son album en anglais, A lover’s prayer, sous le nom d’artiste Yellow tricycle (le nom Saez n’est noté que sur l’autocollant de la pochette, ce qui était déjà le cas de tous ses albums), mais n’ayant pas accroché, je ne peux pas trop en parler ; de très bonnes mélodies, mais ma compréhension des textes m’empêche d’en parler. A noter qu’il avait déjà fait quelques titres en anglais dans God blesse.

Fin 2009, un titre plus classique est à nouveau disponible sur internet : Police. Engagé, rock musclé, à mi-chemin entre God blesse et Debbie. Il est suivi début 2010 par J’accuse, à la musique très clame, très FM, un peu décevante à mon gout, NoirDésirienne, mais qui sert des paroles terriblement incisives. J’accuse sert de single radio pour le nouvel album, éponyme, qui sortira la semaine prochaine. Un article suivra, bien entendu, et sachez qu’il y a déjà du grabuge concernant la pochette :).

Cet article est déjà extrêmement long, et je n’ai pas parlé de son recueil de textes, de son hommage à Brassens, de ses clips, de ses pochettes d’albums, de ses inédits, de ses passages rarissimes à la télévision, par exemple aux victoires de la musique 2008… Pour tout cela, je vous invite à explorer tout le site Saezworld.com .

Et sinon, Damien Saez, branleur ou génie ? Sincère ou imposteur ? Ce n’est évidemment pas moi qui ai la réponse, tout au plus un avis. A vous de vous faire le votre, à partir de ses rares prises de position publiques, certes, mais surtout à partir de ses textes. Sans-doute vous agacera-t-il à enfoncer des portes que l’on prétend ouvertes, mais peut-être vous touchera-t-il avec son désespoir devant la laideur du monde. Lui qui a quitté les majors pour ne pas finir en sonnerie de portable est un insoumis et refuse maladivement toute compromission. Peut-être est-ce trop ; mais peut-être est-ce trop rare de nos jours…

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Source : culturespub.wordpress.com