Au cours de son histoire, la chanson française a souvent été synonyme d’engagement et de nombreux artistes sont connus autant pour leur musique que pour leurs convictions. Aujourd’hui, le mouvement altermondialiste apporte un souffle nouveau à la chanson engagée

dernières années ont vu apparaître, parallèlement à la montée de l’altermondialisme, un véritable renouveau de la chanson militante. Des artistes comme Manu Chao ou Zebda, pourtant rares à la télévision, ont aujourd’hui un succès comparable à celui des chanteurs de variété aux multiples apparitions médiatiques. On peut s’interroger sur les raisons d’un tel engouement. Un premier constat : l’engagement des chanteurs a toujours été étroitement lié au contexte politique du moment.

L’arrivée de la gauche au pouvoir en France dans les années ‘80 et l’effondrement de l’Union soviétique peu après ont entraîné une véritable remise en question des artistes engagés. En effet, il devenait plus difficile de chanter son amour du socialisme, étant donné la découverte de son expression totalitaire bien éloignée de l’idéal de liberté et d’égalité, et de prôner la haine du pouvoir français, puisque celui-ci était désormais aux mains de la gauche.

Les artistes engagés se sont donc de plus en plus tournés vers l’humanitaire et l’antiracisme, comme l’illustre Maxime Le Forestier avec sa chanson Né quelque part. La montée en puissance du Front national, à partir de 1988, a amené un nouveau combat partagé par des groupes de rock réputés, comme Noir Désir avec Un jour en France, et par le milieu punk plus underground avec notamment le slogan « La jeunesse emmerde le Front National » hurlé par les Bérurier noir dans leur chanson Porcherie et repris avec ferveur par la jeunesse française.

Des paroles et des actes

Aujourd’hui, le destin de la musique engagée est nettement lié à l’altermondialisme. Cette lutte mondiale pour un autre monde, plus juste, est logiquement partagée par la nouvelle génération de chanteurs politisés. Le chef de file de cette chanson engagée semble être Manu Chao qui a joué à Mexico, pour soutenir le sous-commandant Marcos, et qui est régulièrement présent aux grandes manifestations altermondialistes, que ce soit à Gènes en 2001 ou au Larzac en 2003. Ce rôle semble parfois l’encombrer. « Ce sac à dos de haut-parleur de la jeunesse contestataire, je veux bien le porter. Mais je ne l’ai pas choisi. Et la dernière chose que je voudrais, ce serait de devenir un gourou », déclarait-il à Télérama lors de la sortie de son deuxième album. On peut constater que, dans son cas, l’engagement se fait davantage par ses actes, ses déclarations, ses concerts de soutien, que par les textes eux-mêmes. Manu Chao semble être le symbole idéal de l’altermondialisme : il se proclame citoyen du monde, passe une grande partie de son temps en Amérique latine, et chante dans plusieurs langues. Il incarne le métissage culturel et musical, tout comme le groupe Zebda, connu pour son engagement politique avec la liste « Motivé-es » à Toulouse et son soutien à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), un parti d’obédience trotskyste.

Magyd Cherfi, un des chanteurs du groupe, n’hésite d’ailleurs pas à déclarer : « La chanson doit être politique. » Dans le cas de Zebda, les paroles sont aussi importantes que l’action, comme l’attestent des chansons telles que Le bruit et l’odeur ou Double peine. Les mots étaient également l’arme principale des musiciens de Noir Désir, qui au-delà de leur engagement en faveur de José Bové ou de l’association ATTAC, étaient surtout connus pour la dimension politique de leurs paroles avec des chansons comme Fin de siècle ou L’homme pressé qui mêlent poésie et militantisme. On peut également citer Damien Saez, dont on ne connaît pas d’engagement politique concret, mais qui fait passer à travers sa musique des messages forts comme on a pu le constater avec des titres tels que Jeune et Con, Menacés mais libres ou Massoud. Si tous ces artistes proches de l’altermondialisme ont tant de succès c’est, outre leur indéniable talent musical, grâce au fait que ce mouvement attire beaucoup les jeunes et qu’ils retrouvent dans les chansons engagées les idées qu’ils partagent. On redécouvre ici le phénomène qui a participé au succès de Renaud, dont les propos virulents contre la police et la France ont eu un grand impact sur la jeunesse dans les années 1970, contribuant en partie à son succès.

Engagés mais réalistes

Les artistes engagés sont souvent populaires car leurs chansons résonnent comme des hymnes et exaltent en chacun le sentiment de fraternité et d’engagement. Face au développement de la société de consommation et à la perte de repères qui s’ensuit, il semble logique que la jeunesse cherche ses valeurs dans la chanson. Les textes souvent simples des chanteurs touchent alors avec plus de vigueur les jeunes que les discours des hommes politiques. « Je ne suis pas un politicien, juste un petit artisan de la musique », affirme Manu Chao à Télérama.

Parallèlement au succès croissant de la musique engagée, aujourd’hui on constate paradoxalement une dépolitisation des jeunes. Ils votent de moins en moins et semblent plus attirés par la poésie libertaire des chanteurs engagés que par le réalisme politique des gouvernants. La musique ne prend pas souvent en compte la complexité du réel et est donc plus susceptible de transmettre l’espoir à la jeunesse que les hommes politiques. Cela dit, la portée de la musique et son influence sur le pouvoir restent limitées. On peut constater la lucidité du groupe Zebda quand il chante dans la chanson Troisième degré : « on te le dit c’est pas avec des métaphores qu’on va trouver du réconfort ... oui t’écris ta colère à ceux qui n’en ont pas, taré comme celui qu’a faim à son dernier repas. »

Certains artistes semblent progressivement prendre un certain recul par rapport à l’altermondialisme ; n’hésitant plus à s’interroger sur son efficacité. Magyd Cherfi déclarait récemment au magazine RollingStone : « Au fond on n’a pas de réponse, un peu à l’image de la gauche. Nous n ‘apportons pas d’alternative convaincante au libéralisme ». Certains groupes militants préfèrent donc s’engager au niveau local, pour être plus influents. C’est notamment le cas des Têtes Raides, groupe parisien issu du milieu artistique, dont un des membres, Grégoire, affirme que la première alternative à la mondialisation c’est de « commencer à agir localement et de revaloriser les lieux de vie ». Pour lui, « il faut se méfier de la commercialisation de l’altermondialisme. C’est un concept qui risque la récupération, sinon politique au moins marketing car il fait vendre »

Le paradoxe de l’engagement

Ce succès commercial de la musique engagée éveille un questionnement légitime sur l’intégrité de certains artistes. En effet, quand le message véhiculé fait plus vendre que la musique elle-même, il apparaît logique que certains chanteurs soient tentés de composer un morceau engagé par souci du profit. La révolte devient alors un produit. Manu Chao est conscient du problème : « Je veux que la musique reste une arme. Et je ne voudrais surtout pas que la rébellion devienne mon fonds de commerce. Le business récupère tout, et surtout la contestation ... Pas question pour moi de devenir la petite caution de la rébellion à cent balles. Ça, c’est précisément le fardeau que je ne veux pas porter » affirme t-il à Télérama.

On a pu entendre de nombreuses critiques à l’égard de Noir Désir et de sa lettre ouverte à Jean Marie Messier, lors des victoires de la musique de mars 2002. Le groupe fut accusé de cracher dans la soupe puisque ses albums sont distribués par Barclay, un label d’Universal. On cible ici un des paradoxes de la musique politisée. Si un artiste engagé veut être en accord avec ses principes, il doit refuser de rentrer dans le « système », rester sur un label indépendant et donc proposer sa musique à un public d’initiés. Mais s’il agit de la sorte, le grand public n’entendra pas son message et il prêchera dans le désert.

Il faut faire attention à ne pas prendre les artistes pour des anges. Damien Saez, connu notamment pour sa chanson Fils de France, composée à la hâte en avril 2002 pour condamner la réussite du Front National et l’abstentionnisme des jeunes, avoue lui-même ne pas être inscrit sur les listes électorales.

GUILLAUME ETIEVANT

Source : www.amnestyinternational.be