Damien Saez est un OVNI dans le paysage musical français. Eternel adolescent, c’est un écorché vif, un jeune Werther goethien, un Mirabeau révolutionnaire, un poète emplein de romantisme à l’époque de la débilité télévisée. Le 21 avril 2002 déjà, au lendemain de l’accession du Front National au second tour des élections présidentielles, il signe « Fils de France », un titre appelant la jeunesse française à faire barrage à l’extrême droite. C’est son premier fait d’arme, celui qui lui vaudra une image de rockeur engagé.

Saez ne cache pas son penchant pour les idées de Gauche et les théories altermondialistes. Refusant le jeu médiatique et ce passage désormais obligatoire par la case « promo », il prend le parti d’utiliser l’Art pour médiatiser son art. C’est ainsi qu’il demande à Mondino, pointure de la réalisation de clips, de concevoir une affiche pour annoncer la sortie de son prochain album « J’accuse ». Celui qui avait travaillé aux films publicitaires de Jean Paul Gautier et mis en image les clips de Madonna s’est fendu d’une création que l’on commente aujourd’hui abondamment. Il présente une Marylin grungy, nue dans un chariot, un fond crépusculaire et une légende – quelle légende ! – «J’accuse ! ».

Très vite, la RATP se joint à plusieurs annonceurs, Decaux et Clear Channel en tête, pour refuser l’affiche. Dans une lettre rendue publique par Damien Saez, l’Autorité de Régularisation Professionnelle de la Publicité s’explique. Selon elle, l’affiche “présente un caractère dégradant pour l’image de la femme dans la mesure où elle apparaît nue, et qui plus est dans un chariot de supermarché, donc comme une marchandise (…) La publicité ne peut réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à une fonction d’objet”. Réplique immédiate du chanteur : « Quel paradoxe d’être taxé de sexiste et de proxénète quand on dénonce la prostitution même, et bien plus que celle des corps de nos frères et de nos frangines, celle de nos âmes et de nos cerveaux ».

Frileuse, la RATP n’en est pas à son coup d’essai. En interprétant strictement la loi Evin interdisant toute publicité pour le tabac, elle avait déjà supprimé la cigarette fumée par André Malraux d’une publicité pour un timbre postal, la fameuse pipe de Jacques Tati de l’annonce de sa rétrospective et la fumée autour de Gainsbourg de l’affiche du film de Joan Sfar.

Une nouvelle fois, le débat autour de la liberté de créer met en lumière cette paresse intellectuelle qui caractérise la société française actuelle. A force d’infantilisation et de censure, on empêche nos contemporains de faire libre usage de leur capacité de réflexion. A force de tiédeur dans les opinions, on en arrive à l’autocensure et au politiquement correct dans les domaines de l’Art et de la pensée.

Surtout gardons-nous bien de réfléchir ! C’est le sens des interventions moralistes de Florence Montreynaud, Présidente des Chiennes de Garde, qui fustige aujourd’hui l’affiche du couple Mondino-Saez. « On n’est pas dans un musée, on est dans le métro » nous dit-elle. Les gens qui prennent les transports en commun seraient devenus trop stupides pour comprendre l’Art engagé, voilà en substance, le message. Paradoxalement, ils seraient capables de comprendre qu’il ne faut pas écouter Nabe et Dieudonné quant à eux libres de livrer une parole pleine de haine et de préjugés au nom de la liberté de pensée. Petit à petit, la France devient intransigeante avec le politiquement incorrect mais permissive avec l’infâme. Deux poids, deux mesures…

A ceux qui reprochaient a Damien Saez de reprendre les codes de la publicité sexiste, le chanteur rétorque qu’il les détourne pour mieux les dénoncer : “Je n’ai pas la sensation que les couloirs de métro m’aient attendu pour dégrader l’image de la femme. Avec le « J’Accuse » dessus, il n’y avait pas de doute possible. Il s’agissait d’utiliser la pub pour lutter contre la pub.”

Le meilleur service que l’on puisse aujourd’hui rendre à Damien Saez est bien d’écouter son excellent album, mélange de guitares furieuses et de textes contestataires. Sûrement le meilleur album de rock français de l’année. « Pilule », « Cigarette »,« Des P’tits sous » et le morceau éponyme « J’accuse » sont de véritables appels a la résistance citoyenne. Il y a indéniablement du talent chez le jeune Saez ; il nous le prouve avec « Marguerite », morceau écrit avec une précision d’orfèvre. Celui-ci arrive en fin de parcours comme un doux moment de poésie au milieu de la course effrénée imposée par cette société de consommation dont Damien Saez voudrait voir une profonde remise en question.

Si la musique de Saez et ses engagements peuvent diviser, on ne peut que le remercier de parler aux consciences. Exit les derniers vingt-trois titres monotones d’un Biolay ou les textes imbéciles heureux d’un Cali. Voilà enfin de la musique enthousiasmante et des textes engagés. Du rock and roll.

Mais dites-moi Saez, utiliser l’art engagé ? Quelle drôle d’idée !

LAURENT DAVID SAMAMA

Source : laregledujeu.org