Damien Saez est un hussard. Dans tous les sens du mot. Militaire et barbare, il mène la charge, investit les places fortes, brave le danger et s’arroge le droit de régner sur ses conquêtes. Littéraire, il se rapproche de plus en plus de cette tradition typiquement française qui, de Pascal Jardin à Roger Nimier en passant par Blondin et Déon, s’offrit « à la hussarde » un futur dans l’histoire littéraire hexagonale. On était dans les années 50’s. Hors des codes de pensée alors en vogue, hors des sentiers battus, avec un sens de l’humain, de l’homme, de l’individualisme prévalant sur toute autre considération, notamment idéologique. On les classe « à droite » parce qu’il fallait bien les mettre quelque part et aussi parce qu’un certain classicisme anti-sartrien guidait leur plume. Saez est donc bel et bien un hussard.

Passionné, têtu, hypocondriaque, arrogant, humain, emporté, parfois injuste mais aussi prompt à le reconnaître, refusant les alignements, comme les codes de classes ou de castes, il est fait de chair et de sang et préfère toujours la candeur au message subliminal, le concert au suggéré. « God blesse/Katagena » et ses 29 titres en 2 CD est construit autour de cette fabuleuse envie de toucher à tout, à cette gourmandise d’ogre, à ce besoin de tout connaître, fût-ce depuis son balcon. « God blesse/Katagena » n’est pas rock, n’est plus rock ; il est au-delà, il est une sonde de la chanson hexagonale envoyée en exploration dans l’avenir de la globalisation culturelle. Elle y emmène avec elle l’indus-rock (« j’veux du nucléaire »), la chanson traditionnelle (« St Petersbourg », « menacés mais libres ») aussi bien que lyrisme pianistique classique (« thème I », « thème II »), la musique pour film à souffle mystique (« voici la mort »), la chanson anglophone, notre rocher Sisyphe à nous autres français (« so gorgeous », « isn’t it love I & II », « no place for us », « light the way ») et à laquelle nous devons bien, à travers Savez reconnaître d’autres qualités que celle de l’efficacité et de la transcontinentalité. Saez vitupère, s’enflamme, s’insurge (« Massoud », « W.T.C », « perfect world »), mais dégage dans le (faussement) hédoniste (« sexe », miraculeux dans sa fibre synthétique Pro-tools), le (faussement) romantique (« be my princess ») pour mieux stigmatiser le véritablement important et le primordial : Dieu, la religion, la survie, la mort (« à ton nom », « usé », « les hommes », « solution »). « God blesse/Katagena » est une longie plainte déguisée en imprécation, une longue litanie muselée par une philosophie du combat. Ce disque est l’ouvrage d’un jeune homme de 24 ans qui a l’air d’en avoir 80. A la fois bréviaire pour des temps tourmentés et singulier memorendum sur notre fabuleuse inconséquence, c’est ce qu’on appelle une Œuvre.