Damien Saez, 24 ans, jongle librement avec ses influences rock et classique. Paradoxal et fier de l'être, il chante les angoisse du monde sous la houlette d'Universal.

« Le 11 septembre ? Sur le coup, j'ai pensé à un super happening et je me suis demandé où était Bruce Willis. » Pour le rocker Damien Saez, 24 ans, une certaine insolence va de soi à l'évocation du grand attentat de l'automne dernier. Rien de très original, il l'admet. Sur son nouvel album, il a gravé « Massoud », la chanson que tout le monde a écrite dans sa tête au lendemain du crime. « Tant qu'y a pas marqué dollar, y a pas de minute de silence/ Mais pour sauver la Bourse et le peuple bourgeois/ God bless America/ Laisse crever, c'est pas un crime quand on est économiste. » La complainte, prévisible et sentencieuse, allant jusqu'à déclarer : « Ô mon pays, je prie pour toi pour tous mes frères et pour moi-même/ Que la justice n'existe pas/ Car s'il en est une, on est mort. Quand le World crade s'enterre, c'est bien triste quand même/ On se souvient de Massoud. »

Le disque est ambitieux, presque pompeux : il contient deux CD qui portent chacun leur nom (« God blesse » et « Katagena »), et rassemble tous les climats que ce jeune auteur et musicine doué, prix du conservatoire de Dijon, aime farfouiller. Des influences qui embrassent aussi bien Pink Floyd, Noir Désir et Placebo, Brel et Scheller, Mozart ou Keith Jarrett. Qu'il provoque un incendie de guitares électriques ou quelques notes de piano romantique, les violons d'un film triste ou les crachats d'une électro glaciale, Saez martèle délibérément le mur censé séparer le rock et le classique, la poésie et les harmonies. « Quand on compose une chanson, on part avec les jambes coupées£. La musique ajoute une part de subjectivité, une émotion qui fait perdre le côté pur et inaccessible des mots sur le papier. »

Caressantes ou remuantes, ses partitions passent sans problème de l'anglais au français, de l'instrumental planant aux pleurs et cris rebelles. Sans jamais perdre le fil de son spleen initial. « Au fur et à mesure qu'on avance vers la fin du premier CD, explique-t-il, il ya plus de musique, moins de mots. Ça laisse la place à l'imaginaire, et dans le second CD on s'approche ainsi le plus de la musique que j'écoute actuellement. Il y a beaucoup d'instinct et de mégalomanie dans ce que je fais. J'assume. Ce besoin de s'exprimer ne doit pas être bradé ou tiré vers le bas. Si c'est tout ce qu'on a, autant être mégalo. »

Côté texte, le jeune homme est tout aussi expansif mais il connaît ses limites. « Chanter pour ne rien dire comme Vanessa Paradis et les nombrilistes de la variété sympa, j'ai du mal », nous avait-il déclaré peu après la sortie de « Jeune et con », son premier succès en 1999. Aujourd'hui, il ne se froisse pas quand on évoque le côté premier degré et bien-pensant de sa révolte, inlassable revue des plaies et bombes du monde : nucléaire, sida, argent, haine, et toujours des « milliards de pauvres », l'angoisse d'être « enfant d'une génération ratée (vautré devant la télé on se branle devant les bombardements) » qui, parmi quelques rares idées positives, émet celle-ci : « J'veux qu'on baise sur ma tombe ». Toujours noir et tranchant. « C'est dramatiquement vrai. Le quotidien ne peut inspirer que ça. Le décalage entre les actes et les mots, je ne le nie pas. Les politiques et les chanteurs, c'est le même combat. Paroles, paroles, comme disait Dalida. Les groupes qui pestent contre leur maison de disques sous prétexte qu'elle récupère leur combat anti-mondialisation, je trouve ça pathétique. Je préfère dire que je suis ce que je suis : paradoxal. »

Angoissé de première, Saez évoque souvent la mort dans ses chansons. Il admet ne pas vraiment l'avoir rencontrée dan sa vie. « Je ne suis jamais allé à un enterrement, je n'ai pas perdu d'amis ou parents très proches. » S'il a atterr plusieurs fois aux urgences lors de l'enregistrement de son premier disque, c'est qu'il l'avait cherché. « Je dormais peu, je fumais jusqu'à trois ou quatre paquets par jour, buvais des litres de café. » Ce second album lui a causé moins de misères. Il est plus serein, on le sent confiant. Il dit qu'il arrive à gagner sa vie, et que ces jours-ci, étranges comme les autres, il dévore Céline, « Voyage au bout de la nuit ».

Alexis Campion