J’accuse est l’album le plus engagé, le plus coup de poing de toute votre discographie.

Je manque de recul, sur mes chansons. Je suis plongé dedans depuis des mois… maintenant, effectivement, je pense que ces textes sont les plus incisifs de tous ceux que j’ai écrits. C’est plus brut.

Est-ce à dire que votre poésie habituelle laisse la place à des textes francs et limpides ?

Ma forme de poésie passe par le travail, la ponctuation, comment les choses s’imbriquent… Maintenant, je pratique aussi la poésie populaire, celle des gens de la rue. Quand on entend Audiard, on n’a pas l’impression que c’est écrit. Il ne faut pas montrer les choses. C’est tout le génie d’un Chaplin ou d’un Mozart… Ça sonne simple. Ce qui est sûr, ce que ce n’est pas du toute la même écriture que le précédent disque Varsovie. Je n’aime pas réitérer les choses et c’est tant mieux pour les gens qui vieillissent avec moi.

Il y a deux thèmes majeurs dans votre œuvre : la société déglinguée et l’amour avec un grand A. Mais, d’album en album, vous parvenez à modifier le traitement.

On cuisine toujours le même plat, mais avec l’âge, on utilise d’autres épices. Dans J’accuse, les personnages sont très différents par rapport à mes précédents disques. Ils parlent vraiment de la société pour aller vers le personnel. Prendre un café avec quelqu’un que l’on aime devant un paysage qu’on a envie de voir, on s’en souvient plus dans sa vie que les problèmes économiques et sociétaux. Dans cet album, je suis allé du grand angle vers l’intime.

Dans Pilule et dans J’accuse, deux chansons sœurs, vous donnez la vision d’un homme moderne sur la vie en général et sur la société en particulier. Sombre, négatif et sans espoir. Si cet homme est bien vous, un auteur doit-il écrire ce qu’il pense ?

C’est une certitude. J’ai choisi d’avoir une vie de poète. Je veux faire mon métier sans hypocrisie, celui implique de chanter ce que je pense profondément, de ne pas faire de concessions et de n’être redevable qu’à moi-même. Vous savez, pour rembourser le coût de cet album, il faudrait que j’en vende 100 000. J’ai travaillé un an et demi sans avoir de salaire, car je ne suis pas employé par une maison de disques. Par contre, je suis propriétaire de mes bandes et je fais le métier que j’ai choisi. A mon échelle, j’ai passé trois ans sans carte bleue… Je me demande comment font les gens. Ils sont essorés par cette infernale société de consommation et ça me révolte, alors j’en ai fait le thème de la plupart des chansons de cet album.

Il y a un début de polémique sur votre pochette. Elle est d’ailleurs interdite dans le métro et sur les bus.

C’est du n’importe quoi ! Cette pochette est au contraire un acte féministe. C’est comme si j’avais mis un goéland plein de cambouis avec J’accuse dessus et qu’on me dise que je suis en train de faire l’apologie des pétroliers. L’auto-censure que fait cette société vis-à-vis d’elle-même ne cesse de me dépasser. Cette pochette n’est jamais qu’un miroir de ce qu’on est aujourd’hui. On est que de la viande dans un caddie… Sinon, je n’ai rien compris.

La musique est redevenue très rock. On revient au Saez du début.

J’avais envie de voir ce que ça donnerait de me reposer sur la facette que j’ai livré la première fois. Un peu comme une réponse dix années après. Une manière aussi de dire que je suis toujours là et bien debout !

François Alquier

Source : www.mandor.fr