"Il est cinq heures les éboueurs / vident les cœurs de villes en pleurs
Il est cinq heures j'ai mal au cœur / il est cinq heures il est cinq heures"...

C'est l'une de mes heures préférées du matin depuis l'enfance, cinq heures (juste après quatre!) et c'est à peu près toujours à cette heure-là que j'écris ici d'ailleurs, dans cette petite tranche de jour qui est encore "la nuit" pour la plupart des gens. Pour moi, c'est pourtant bel et bien le début du jour et je profite que tout le monde dorme pour m'offrir une petite parenthèse de matin. Alors ça vous paraîtra sûrement anodin mais tomber sur cette petite phrase répétée tout au long de la formidable chanson「Rochechouart」en 3e piste de 『Miami』, le dernier album de Saez , c'est quelque chose pour moi ! C'est comme retrouver la bite de billets (en dollars cette fois) des affiches de sa tournée sur une autre belle image au verso du cd : ça fait plaisir aussi ! Je ne résiste pas à l'envie de vous la proposer ci-dessus d'ailleurs puisque j'ai déjà utilisé une fois la pochette "recto". Mais j'espère que vous n'y verrez aucun parti pris de censure de ma part car ce serait sans fondement : je la trouve très belle, cette pochette, et je maudis les magasins qui se font un devoir d'y coller leurs étiquettes en plein milieu pour empêcher qu'on voit le titre du livre et empêcher toute réflexion sur le sens de l'image. Mécréants.

"Les rues sont mortes et moi j'écris / pour réveiller les endormis", nous dit Saez et on en est ravis car son 『Miami』est pour moi un album fascinant qui se révèle à mesure que je l'écoute. On y fait en 10 chansons une belle descente à travers nos vies modernes, sans cesse hésitant entre la réalité du quotidien français décrit par exemple dans 「Rochechouart」et son "Paris fini, Paris pourri", et un quotidien fantasmé à base des images innombrables venues des Etats-Unis dont nous abreuvent en continu la musique, le cinéma et la télévision, Internet... Comme il l'explique par exemple ici, Saez a choisi Miami pour ce que la ville peut évoquer à son public : drogues, sexe et rock'n'roll en quelque sorte, sans le rock'n'roll mais avec une espèce de blues permanent au coeur, de décalage entre la vie d'ici et nos désirs superficiels sous influence. Au coeur de l'album, le single「Miami」prend ainsi tout son sens en parodie délicieusement mordante des tubes "à la MTV".「Le Roi」pousse l'ironie un peu plus loin, avant que ne démarre la chanson「Des Drogues」sur un couplet en anglais qui rappelle beaucoup Radiohead. Le regard acerbe de Saez se pose ici sur toutes les formes d'addiction modernes, celle des drogues au sens littéral bien sûr mais pas seulement. On évoque aussi celle de la consommation n'importe nawak (de choses comme de gens...) ou encore celle du téléphone portable - pardon, smartphone - et la chanson passe progressivement "des drogues" de son titre au message "dédrogue-toi". 「Cadillac Noire」et son ton résolument bluesy à mon oreille fait ainsi écho à la dernière phrase de la chanson qui referme l'album,「Que sont-elles devenues」, une chanson sensible qui opère un joli changement de ton en cours de route sur "un dernier tango". Et l'on entend ici l'une des très nombreuses références au cinéma qui parsèment les différents titres du disque.

Est-ce que vous reconnaissez un peu aussi dans『Miami』 la structure de『J'accuse』, d'ailleurs ? Il me manque encore quelques albums entre les deux mais j'avoue que je trouve la comparaison très tentante car à une nuance près, on retrouve ici un titre d'ouverture hors normes suivi d'une série de titres très rock à l'équilibre admirable, et un glissement progressif vers des choses plus douces et acoustiques pour finir, sauf que cette fois, elle ne seront pas spécialement plus optimistes que le reste. Le titre ovni serait ici「Pour y voir」, dont les 3 premières minutes de chant/parlé caractéristique de Damien peuvent laisser un peu perplexe à la première écoute peut-être. Il s'accompagne ici à la guitare sèche, là où il avait choisi l'impact de l'a cappella pour interpréter「Les Anarchitectures」, et la chanson bascule soudain en vrai titre rock pour un effet que je trouve pour ma part absolument bluffant. En quelques notes, on a un aperçu du mélange de genres qui rythmera les 9 pistes suivantes pour composer un album à écouter dans l'ordre, un cheminement à suivre en battant la mesure ou à méditer... Ouh, et vivement qu'on entende tout ça en live parce que sous cette forme-là déjà, je dis "Oui merci" à『Miami』!

Not-Zuul

Source : onlyzuul.over-blog.com