« Je n’ai pas d’ami dans ce milieu »

A 24 ans, Damien Saez écrit sur tout ce qui « l’emmerde » et tient à son intégrité comme à un fabuleux trésor. Tentative d’interview de l’électron libre.

Ton nouvel album vient de sortir. Que fais-tu encore en studio ?

Ce que je trouve génial dans le fait de chanter, c’est de le faire en temps réel. Ecrire une chanson comme un quotidien met un évènement en une, suite à l’information. Moi j’ai voulu réagir au score de Le Pen au premier tour et j’ai écrit et enregistré « Fils de France » en trois jours. Je l’envoie en radio dans la foulée. Pas pour vendre des disques mais pour dire des choses, entrer en résistance.

Qu’est-ce que tu avais envie de dire dans « Fils de France » ?

L’amnésie est une tendance suicidaire.

Est-ce que tu as voté au moins ?

Je n’ai pas pu, je n’avais pas le droit. Je suis passé au tribunal pour « insoumission ». J’ai refusé de faire mon service militaire en 2000. J’ai été relaxé mais trop tard pour m’inscrire.

Est-ce que tu as des convictions politiques profondes ?

La démocratie ne fonctionne que si, à un moment donné, il y a compromission. Quand je chante « nous ne voulons plus de vos solutions », ça pourrait être un slogan du Front National, le même cheval de bataille. Sauf que moi je le pense et eux sont simplement démagos.

Il y a longtemps, on parlait de « chanteurs engagés ». As-tu repris le flambeau ?

Je suis juste réaliste. Pour être engagé, il faut des mots et des actes. Il ne s’agit pas de chanter cinq minutes pour ramener 100 000 balles et se donner bonne conscience. Ca, je peux le faire demain et en termes d’engagement, ça ne m’aura pris que cinq minutes !

On ne te retrouvera donc jamais sur scène avec les Enfoirés…

Non ! Et puis j’ai trop de mal avec leur coté institutionnel.

Tu n’as pas peur de devenir toi-même une institution, le rebelle de service ?

Non ! De toute façon, personne ne me reconnait dans la rue.

Tu fais tout pour…

Et je suis très heureux comme ça.

Tu te situes où dans le rock français ?

Je ne sais pas si je me situe dans le rock…

Que pensent les autres de toi alors ?

Eux ?! Je les gave ! Ils me trouvent trop beau. C’est ça le fond du problème.

« J’ai un coté Pygmalion. C’est une de mes névroses »

Est-ce que certains te trouvent aussi grande gueule ?

Grande gueule ?! (Il affiche un rictus moqueur)… On ne parle pas de moi là ! Je me tais tout le temps. Je ne dis de mal de personne, je suis super gentil, introverti. Je suis un petit sucre, tu sais. Alors pourquoi ne m’aiment-ils pas ? Sans doute parce que je ne les aime pas. Dès mon premier album, je ne me reconnaissais dans aucune famille. Je n’ai pas d’ami dans ce milieu. Les chanteurs me font chier. Je me fais déjà assez chier avec moi-même tous les jours, alors eux…

Est-ce que certains trouvent grâce à tes yeux ?

J’adore Mano Solo. Dominique A écrit très bien.

Pourquoi alors avoir accepté une apparition aux Victoires de la musique sur France 2 il y a deux ans ?

Parce que je me suis permis de dire tout haut et devant eux « trop de Restos du cœur » et « trop de business dans le show ». C’est quand même un grand plaisir ! C’était le meilleur endroit pour hurler qu’il y a trop de merde à la télé. Dans la foulée, je me suis barré chez moi…

Sortir un double album en guise de second disque, c’est de l’ambition démesurée ou ça te paraissait naturel ?

C’est naturel. Ceux qui m’ont toujours cassé m’ont trouvé extrêmement prétentieux. Et puis il a fallu faire comprendre à la maison de disques que ce double album allait contenir des plages de classique de quinze minutes et que je voulais le vendre au prix d’un seul CD. C’est une première. Et pourtant, il a coûté quatre à cinq fois plus cher qu’un disque ordinaire (pas loin de 500 000 euros, même si Saez n’a pas confirmé, ndlr).

Quelles traces gardes-tu de tes neuf ans de piano au conservatoire de Dijon ?

J’ai très envie de composer des musiques de film. Pour l’instant, je n’ai aucun contact. De Palma a simplement tenu à ce que mon titre « Sexe » accompagne une scène de strip dans son nouveau film, Femme fatale.

A quoi ressemble ton prochain disque ?

Je le composerai pour une fille.

Tu vas te transformer en Obispo ?

Je ne travaillerai pas avec des gens installés, je gagne déjà assez d’argent. Je préfère garder mon intégrité. Et puis, j’adore la construction. J’ai un coté Pygmalion, c’est une de mes névroses.