L'épaisseur du dossier de presse, consulté en prévision de la rencontre, en dit long sur le succès fulgurant de cet ex-pensionnaire du Conservatoire, section guitare et piano,"monté à Paris" pour faire entendre sa voix. Né, il y a 25 ans, dans le sud de la France, élevé en banlieue dijonnaise, par une mère éducatrice de jeunes délinquants et un beau père réalisateur dans une maison où l'on passait Brel et Brassens en boucle, Damien Saez, fou de Schubert et de Lou Reed, s'est propulsé de l'anonymat à la célébrité en un seul album, Jour étranges, sorti chez Island - le label de U2 et de Bob Marley. Un bouquet de chansons coup de poing, lumineuses dans leurs désenchantement, des textes engagés, à 1000 lieues des rengaines calibrées pour la FM. Ce qui n'a pas empêché les ondes de s'emparer du single Jeune et con, dopant les ventes de l'album au delà de la barre des 100.000, tandis que la presse spécialisée ne tarissait pas d'éloges sur "ce fils spirituel de Rimbaud et de Led Zeppelin". Un Rastignac du rock se serait empressé de sortir un nouvel album, histoire de capitaliser ce premier succès. Trop lucide, trop exigeant, trop tourmenté peut-être, Saez a préféré prendre son temps et mieux comprendre ce qui le porte. C'est sous la forme d'un recueil poétique, quoique en prose, qu'il fait partager son romantisme sans illusions mais non sans élans.

Que représente ce livre pour vous? Un nouveau défi?

Un besoin de remise en question par rapport à mon premier album. La chanson reste un genre batard, ce n'est pas vraiment de l'art et c'est avant tout de l'industrie. Quand à la musique, elle se détache rarement de la sensation, et reste vague quoi qu'on en dise. On peut mettre n'importe quelles images sur une musique, elle vous transporte, elle ne vous fait pas réfléchir, alors que la littérature ne fait que cela. Pour moi, il n'y pas d'art plus noble. Qu'il existe toujours à notre époque qui ont ce courage de vivre face à eux-mêmes, face à Dieu, face, quoi c'est prodigieux.

Comment s'est fait la rencontre avec Acte Sud?

Christian Dumais-Lvowski, qui dirige la collection Le Souffle de l'Esprit, m'a contacté après m'avoir vu aux Victoires de la Musique. Une performance plutôt provocante par rapport au milieu rassemblé ce soir-là et qui l'a emballé.

Vous avez aussitôt accepté?

Oui, sans même me demander si j'étais prêt, j'ai foncé. Il faut faire. Je crois au passage à l'acte. La réflexion n'est utile que sur le travail, pas avant. Elle n'est constructive que dans la mesure où la part de la difficulté, voire de l'échec. Cela dit, ce livre n'a aucune prétention, c'est une introduction, une première marche vers autre chose? L'écriture, c'est une vieille habitude chez moi, très tôt, j'ai éprouvé" le besoin de chercher du sens, alors q'avec la musique, comme je le disais, on reste dans la sensation...

Vous affirmez pourtant que c'est la musique qui vous a sauvé...

A 7 ans, j'ai éprouvé le besoin viscéral d'un piano. Je me souviens très précisément avoir dit: "Qu'est-ce qu'il faut faire pour faire du piano?" Le lendemain, mes parents m'en louaient un.

Rendez-leur grâce!

Je le fais, ils sont géniaux? J'ai vraiment eu une éducation irréprochable.

On entend rarement ce genre d'éloge!

C'est la vérité. Je n'ai rien à critiquer en eux. Ils m'ont enseigné la valeur des choses. Ils ont toujours été très présents, exigeants ça oui, mais sans m'écraser par des notions de sacrifice et de devoir? J'ai l'impression d'être un ovni quand je dis qu'à 18 ans je n'avais pas encore mis les pieds dans une boite de nuit et que je n'ai pas regardé la télévision avant d'avoir 13 ans, ce qui m'a permis de m'enrichir de l'intérieur et, aujourd'hui, de tenir le cap dan sun milieu comme le show-biz...

Comment expliquez-vous qu'à la Fnac on trouve 10 fois plus de jeunes au rayon disques qu'au rayon livres?

Parce qu'on est dans une culture de l'instantané, de l'immédiat, et que le livre demande des efforts que les jeunes ne sont plus prêts à fournir.

Alors le livre va mourir?

Non, parce que rien ne peut le remplacer? Personne n'a envie de lire sur Internet. Et puis, la littérature, c'est l'intimité, l'enracinement. Mon amie, d'origine polonaise, est née en Afrique du Sud, elle a un rapport très fort à ces langues-là...

On vous présente comme le Rimbaud du rock. Vous êtes à l'aise avec ce cliché?

Il rit) Je suis incapable de traduire du latin ou du grec! Notre seul point commun est notre jusqu'au-boutisme. Comme Rimbaud, j'ai quitté les miens pour vivre l'absolu que je portais en moi, pour tout donner à la musique, j'ai fait le grand saut, sans parachute.

De quels auteurs vous sentez-vous proche?

De Baudelaire, certains textes du recueil sont inspirés des Fleurs du Mal. J'aime aussi Balzac, Zola, Stendhal, des romanciers engagés dans leurs siècles.

Engagé, vous l'êtes dans vos chansons...

Oui et c'est une position assez inconfortable. Dénoncer le capitalisme tout en étant diffusé par Vivendi Universal, ce n'est pas évident. Dalida, en ce sens me paraît plus respectable.

Quelle lucidité!

Disons que j'essaie de ne pas être dupe du monde où je vis.

Vous écrivez: "une chose me frappe dans notre jeunesse, nul ne part en voyage."

Je pense au vrai voyage de plusieurs mois, comme en faisait la génération de mes parents. Il n'y a plus beaucoup de jeunes qui partent au bout du monde pendant un an. Ils ont peur, on leur dit ferme ta porte car il y a des voleurs, protège toi car il y a des maladies. Quand j'ai quitté Dijon pour Paris, on a loué "mon courage" or c'était une nécessité, une joie.

Vous aimez voyager?

Je n'en ai pas le temps, mais je voyage dans ma tête, avec ma musique, en travaillant avec des gens de cultures différentes.

Ce recueil vous a t-il donné envie de vous lancer dans un projet plus vaste, un roman, par exemple?

Je l'ai déjà commencé, une histoire d'amour, mais qui ne faire pas l'économie du rapport au monde...

Qu'est ce qui vous rend heureux?

Ce roman en chantier, et puis le public, c'est vraiment quelque chose de magnifique, même si ce n'est pas toujours très sain.

Seriez-vous capable d'abandonner la chanson pour vous consacrez entièrement à la littérature?

( Damien Saez, qui au cours de l'entretien, à quitté le canapé pour s'asseoir à même le sol, genoux repliés sous le menton, marque un long silence.) C'est trop tôt...et puis, est-ce qu'on peut se couper à jamais de son premier amour?

Les dates clés de Damien Saez