Plus remonté que jamais, cinglant comme aux premiers jours, le chanteur insurgé et indompté effectue un retour fracassant avec son projet le Manifeste qui n'a pas encore été dévoilé dans sa totalité. Des chansons à la beauté bouleversante côtoient des brûlots dénonciateurs. Saez sera à partir de ce 21 décembre et pour trois soirs sur la scène du Bataclan à Paris.

Il revient dans les arènes, la rage carnassière et armé de sa prose-combat. Saez est l'éternel insoumis qui cristallise bien des débats. Opportunisme et crispation pour les uns, génie et fascination pour les autres. La réalité, c'est que le garçon est suivi par une impressionnante horde d’aficionados. Celle-ci se montre d'un attachement indéfectible. Elle marche dans ses mots. Elle lève le poing dans le même élan. Saez remporte une telle adhésion parce qu'il parle avec force et sans concession d'une réalité qui secoue la France.

Trois dates au Bataclan ? Aussitôt annoncées, aussitôt prises d'assaut. Pas besoin pour lui d'assurer le service avant-vente ni celui d'après. Le chanteur se tait. Il reste muet. Seule entorse à la règle, un message furax sur son site culturecontreculture.fr suite à la divulgation en amont par un site de vente sur internet d'extraits de 30s pour toutes les chansons. Sentence couperet et violemment impulsive sur ce qu'il considère comme un viol : "vieille salope de société moisie", "pauvre culture de merde, toi qui appuies sur ton p'tit bouton de merde pour divulguer le diamant des autres comme on étend un slip...". Il assurait aussi que le disque et la tournée passeraient ainsi à la trappe. Finalement, les deux ont été maintenus, la lettre retirée et son distributeur Wagram a endossé le rôle du coupable.

Marteler ses idées

Hormis cet incident, Le Manifeste L'oiseau liberté – soit sept titres – et Le Manifeste prélude Acte II – soit trois titres - sortent donc sans promo. Le premier est un disque de deuil et de prise de conscience, souvent foudroyant et ouvert comme une plaie. Dedans se niche sans conteste la plus belle chanson post-Bataclan. Elle se nomme les Enfants paradis. Elle est touchée par la grâce. Lyrisme d'un piano aussi enveloppant que déchirant. Et ces mots, pleins de larmes ravalées, pour ne jamais oublier. "Ils étaient des familles, ils étaient des amis/Ils étaient ce qui brille dans le ciel de la nuit/ Ils étaient amoureux, ceux qui se sont blottis/ L'un contre l'autre, à deux contre la tyrannie".

Juste avant cette piste dont l'écoute ne laisse pas indemne, un autre texte saisissant en lien avec les attentats qui ont touché Paris. Celui de Tous les gamins du monde, hommage à Charlie Hebdo et qui invite à ne pas courber l'échine. "À l'encre du crayon, à l'encre de de ma plume/A l'encre de nos yeux, au combat sous l'enclume/Menacé mais libre, toujours et contre tout/Que rien jamais ne mettra ma France à nos genoux".

Brûlée d'une flamme intérieure, portée par des chœurs prenant des allures d'hymne et d'une guitare rythmant une marche fédératrice, la chanson les Enfants lune dégage une puissance symptomatique d'un air du temps révolté. Pensée de la rébellion traversée par des idéaux libertaires ("Nos posons des bouquets à ce pays de croix/Nous cherchons un abri pour Colombine et moi/Avec nous gueules peintes en blanc au vent du désespoir/Toujours le poing levé, le drapeau rouge et noir").

Au sein du court mais intense second opus, le discours se durcit, le phrasé devient plus mordant. Propos jusqu'au-boutiste où se bousculent la rage, la colère, le désenchantement et l'indocilité. Fièvre sèche et incandescente sur C'est la guerre, morceau dans lequel Saez déploie une vision désabusée du monde actuel. "Des bombes à l'Occident puis des bombes à l'Orient/Puis le sang sur la terre, oui de mon Bataclan/Peuple enculé Facebook toujours collaborant/Les enculés Twitter, ouais qui violent nos enfants". Lui qui a ramené une partie de la jeunesse vers les urnes (rappelez-vous la chanson Fils de France, sortie le lendemain du 21 avril 2002 et écrite en réaction à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle) s'en prend à ceux qu'il accuse de se mettre en scène de manière ostentatoire en parangon de la vérité.

Avec Mon terroriste, Saez envoie des coups de gueule à destination des patrons, des financiers, des politiques, des médias. "Il est pas beur ou maghrébin/Pas pakistanais ou indien/ Mon terroriste (…) Il est plutôt vachement français/ Du genre courtier costume banquier/ Mon terroriste". Marteler ses idées, enfoncer des portes, secouer la société pour y introduire des principes absolus tels que la fraternité et la culture, porter la voix de ceux qui s'estiment discriminés : Saez ne désarme pas. Il n'a pas dit son dernier mot. La suite de son combat semble même imminente.

Patrice Demailly

Source : musique.rfi.fr