Sorti quelques jours avant la nouvelle année, le nouveau disque de Damien Saez entièrement consacré aux attentats force l'agacement premier pour bouleverser complètement. A l'heure où finalement si peu d'artistes s'attaquent à l'époque, "L'oiseau liberté" fait et prend date.

Les premières minutes sont difficiles. Les mots semblent trop grands, trop lourds. Le chant emphatique, la démarche prétentieuse. Saez ne nous a certes pas habitués à la sobriété mais "Mon pays je t'écris" fait craindre le pire. Saez a mal à la France, au soir du 13 novembre, se met au piano et l'écrit, le crie.

Puis "L'humaniste", puis "L'oiseau liberté", "Les enfants lune"... Les grands mots qui saoulaient distillent une ivresse prenante, bouleversante. Derrière un clavier caressant, les cordes d'une guitare fraternelle et bal(l)adeuse, Saez nous happe, nous serre pour mieux nous bousculer, nous dire "on fait quoi, les gars?" Une France où la langue est massacrée, les réseaux cultivent la nombriliste vulgarité, où Rimbaud n'est bientôt plus qu'un souvenir.

Sa foi en ce pays-ressource intellectuelle peut paraître cocardière, à la limite d'un patriotisme douteux. Sauf que non: la nostalgie de Saez est sombre mais batailleuse, gouailleuse, rassembleuse. En appelle à la mobilisation culturelle, solidaire sur un constat tragique. Pierrot et Colombine sont perdus. C'est que l'artiste n'oublie pas de rappeler les vraies causes de l'obscurantisme, rappelle que les fascismes naissent du sauvage libéralisme qui engendre, digère, recycle.

Saez se répète, insiste, martèle. Certains trouveront cela lourdingue et poseur, mais on peut être aussi conquis par cette absence de vernis, parce ce sincère désarroi. Le gars a une légèrement haute idée de lui-même (cf "Le dernier disque") mais n'empêche: au fil des titres, on est conquis par l'élan, l'émotion force les réticences et la facilité cède à une vraie et salutaire charge contre la destruction d'un certain humanisme. Avait-il existé? Peu importe: Saez secoue les consciences, énerve l'apathie. A son échelle, avec le belle arrogance de l'inutile. Peut-être pas?

L'objet proposé fin décembre comporte deux CD: sept titres sur "Le manifeste/L'oiseau liberté", trois sur "Le manifeste/Prélude acte II". Soyons clairs: on ne comprend rien au déroulé poético-musical qu'a enclenché Saez en juillet dernier pour un an parsemé de concerts, interventions, publications sur son site et de sorties d'albums. Mais peu importe: les petits cailloux du chemin

Yannick Delneste

Source : chansonfrancaise.blogs.sudouest.fr