Saez a tout pour déplaire : des fans assombris par la société, un single ‘Jeune et Con’ qui en son temps a fait figure d’hymne à la merde, il réalise des doubles-albums ou parfois ses musiques se perdent, il concrétise avec brio de multiples envies qu’il n’entend pas repousser à plus tard et enfin il a une sacrée dose de confiance en soi. Bref : vraiment tout pour froisser l’auditeur lambda. Avec ‘Debbie’ il perce une nouvelle veine lugubre, sans compromis, vers le côté dark de sa force mais pourtant ce garçon est charmant. Rencontre en toute liberté.

Est-ce vrai que « Debbie » ne devait pas être « Debbie » et que tu te préparais à un autre album ?

Oui. J’avais fait beaucoup de chansons très acoustiques qui n’avaient rien à voir. Dans l’écriture non plus rien à voir mais j’ai voulu tout refaire pendant 3 mois.

Ces chansons « ratées », tu les gardes en stock ?

Pour un DVD prochain.

A part ‘Debbie’ et ‘Marie ou Marylin’, sur ton nouvel album, il n’y a pas de tube en puissance ?

Carrément ! C’est peut être pour ça que c’est un bon album. Avec ‘Debbie’ je voulais un retour au rock alternatif des années 80 et surtout faire commencer l’album par ce titre. Ce qui est pire (rire) c’est que ce ne sont pas les deux singles qui sont les plus accessibles en radio. Là on lance ‘Marie et Marylin’ et je pense qu’il n’y aura qu’une radio qui prendra le risque de la passer, mis à part les Ferra-rock, c’est le Mouv’.

Tu penses que ce « boycott » est dû à quoi ?

Je pense qu’il y a un côté revanchard. Dès que tu ouvres beaucoup trop ta gueule on te bâillonne. Si c’est un tube radio ils le passent et ils ferment leur gueule parce qu’ils peuvent faire du profit sur ton dos mais sinon ils ne jouent pas le truc, en prétextant que c’est trop long ou trop quelque chose. En plus qu’est ce qui est rock et qui passe en radio ? Tout du moins comme moi je le fais : avec des moments où ça pête et ça part dans l’oubli.

L’album perd beaucoup du piano, tu en avais été dégoûté par le précédent album ?

On s’était dit pendant l’enregistrement que l’album devait être acide. Comme le piano a un côté mélancolique beaucoup trop beau je ne voulais pas de piano... ni de guitares acoustiques.

On sent même une envie d’aller voir ailleurs, avec une ambiance cuivrée ?

J’écoutais beaucoup Otis Reding, de la musique de jazz. C’est un album feutré ! Il a le son du velours même si parfois il est saturé comme sur ‘Marie et Marilyn’.

Tu parles beaucoup de la passivité, c’est quelque chose qui pourrait t’arriver ?

J’avais besoin de dire « tu » sur cet album. Parler d’un rêve que je pourrais faire. Avoir un regard, une observation sur les autres.

‘Debbie’ est un album qui va sûrement réconcilier les gens qui avaient été déçus par ton précédent opus ?

En même temps il va conforter des gens qui m’ont découvert avec le précédent. Ce qui était piano-voix sur ‘God Blesse’ avec cette écriture particulière ne clachera pas avec ce nouvel album. ‘Jeune et Con’ est beaucoup plus difficile à concilier avec mes dernières productions.

Ce single ne t’a t’il pas fait plus de mal que de bien en définitive ?

Possible... Je reviens encore d’une radio où un animateur m’a demandé de le jouer à capella...J’ai été obligé de lui dire que je ne faisais pas les feux de camps ! Ce titre m’a bloqué quelque part, surtout car j’ai voulu mettre le holà juste après. Je serais rentré dans le jeu, je n’aurais pas autant morflé. Mais mon second album m’a payé ma liberté. Grâce à ça, jusqu’à la fin de mon histoire musicale je n’aurais plus aucune pression. Personne ne pourra me dire « On attend cela de toi », à la manière de Beck par exemple.

‘God Blesse’ avait une sorte d’absolutisme discutable, que représente cet album 2 ans après sa sortie ?

C’est un album d’un mec qui sort d’un succès. Il a bien fait 3 fois moins de ventes que le premier mais on a fait au moins 3 fois plus de monde sur scène. En plus, mon public a vachement vieilli. En sachant que si j’avais concédé un hymne avec ‘Jeune...’ pour des élèves de première, ceux là sont en licence et ont continué à me suivre à travers mon évolution. Je suis heureux d’être toujours en phase avec ce public des débuts.

Tu vieillis donc aussi ?

La chance que j’ai eu c’est de faire un tube rock jeune, c’est à dire à 20 ans. Faire un hymne rock à 35 ans ce n’est pas pareil, tu n’es pas dedans, tu n’es pas en adéquation avec les personnes qui peuvent avoir cet esprit de liberté.

Pour revenir à ‘God Blesse’, faire un double-album ce n’était pas de « trop » ?

En tout cas, ce n’était pas trop ambitieux dans le sens où si j’avais voulu qu’il marche je l’aurais fait cohérent alors que là j’ai tout fait pour qu’il ne le soit pas. En expliquant que l’on faisait un voyage musical et que l’auditeur venait avec nous. Avec des trucs qui étaient presque de la merde que même moi je n’écouterais jamais mais en le mettant quand même pour prouver que tout n’est pas linéaire dans le travail artistique. Il me fallait montrer la pénombre de mes chiottes. Je l’assume et c’était hyper important.

Comment enregistres-tu tes albums ?

Pour le dernier j’ai tout enregistré guitare-voix en laissant ensuite beaucoup plus de place au groupe pour qu’ils s’expriment en studio. J’étais moins directif en laissant tout de même des lignes de conduite comme « pas de machine », « faire un album fermé »... je voulais quelque chose de shamanique, indien et transe.

Tu as sorti un recueil de poèmes il y a quelques temps chez Acte Sud, qu’en est-il de ta plume ?

On va en sortir un second prochainement. A peu près dans le même délire. Je voulais faire un journal de voyage fantasmé. Le titre en sera ‘Autour de Debbie’. Un moyen de croiser les acteurs de l’album... C’est intéressant de faire une explication de texte aux chansons sans jamais en donner la bonne. Essayer d’expliquer tout ce que cela peut être sans offrir la solution. Ce disque a été écrit de façon surréaliste alors qu’il est totalement réaliste. Tous ces gens que je chante, je les ai croisés mais d’un autre côté je n’ai pas écrit ce qu’ils étaient réellement. Faire un livre pour appuyer mon disque était plus que nécessaire.

Tu ne fais que de la promo avec la presse, c’est un choix ?

Je pense être trop franc. Y a des choses que je ne peux pas faire. Que je ne pourrais jamais faire. Je ne suis pas un dandy et pour passer à la télé il faut être un dandy. C’est pour ça que je limite mes interventions le plus possible. Je préfère dire non 20 fois dans la journée plutôt que de faire un truc qui me fait chier. Quand tu me dis « Tu joues et basta » là je n’ai aucun problème car je fais mon métier, s’il s’agit de raconter ma vie dans une émission et de répondre au tac au tac je ne sais pas le faire.

Tu sembles en conflit avec la société (en règle générale) qui te fait vivre ?

Non, mais selon eux, il faudrait que je sois leur pote. Il faudrait que je sois un mec qui rentre dans le sérail. Mais je suis plus proche d’un artisan que d’un attaché de presse ou que d’un chef de produit. Ils ne veulent plus d’un mec qui les fassent chier artistiquement et moi j’ai décidé de leur rappeler ces choses.

Qu’est ce que cela fait quand De Palma choisi l’une de tes chansons pour illustrer son film ?

J’ai été super content et j’ai dit oui tout de suite. Ca aurait été Patrice Lecomte j’aurais pas accepté par exemple ! J’aurais pas fait la musique de ‘La Fille sur le Pont’.

Pierre Derensy