Il n'a pas toujours été aisé de défendre Saez, avec sa rebelle attitude obstinée, ses rimes crues coups-de-poing, sa diction caricaturale... Mais dès son Jeune et con inaugural, puis son J'accuse enragé ou son triple Messina, on appréciait la fougue et la sincérité de son style qui jetait un pont entre Noir Désir et Brel. Rock militant clashien et chanson française classique et enfiévrée. Avant Noël, il a publié une collection de protest songs post 13 novembre. Ce disque engagé, dont le message désespéré excusait le sentiment de bégaiement qui s'en dégageait, arrivait en préambule à ce nouveau triple album (Saez ne connaît pas la mesure). Hélas, si Saez a toujours l'indignation et le combat justes (pour les petits, les migrants, la culture et l'amour contre les méchants loups du capitalisme, du showbiz, des médias, etc.), son inspiration, elle, est en berne. A l'instar d'un recours aux mêmes mots au détour de tant de refrains (chansons-énumérations truffées de « bistrots », de « cons », de « putains » dans cette « France de Voltaire » en perdition), Saez est devenu prisonnier de ses schémas, tant mélodiques qu'écrits...

Un premier volet énervé (Mon Européenne) commence en espagnol, tel Manu Chao chantant Renaud, avant de sombrer dans une affreuse ode aux rues de la soif (imaginez Patrick Sébastien à la tête des Dropkick Murphys !), le reste répétant à l'infini à peu près la même mélodie. Le deuxième volet (Lulu) bascule dans le registre du romantisme écorché, avec sa suite uniforme de ballades, mi-Barbara mi-Mistral gagnant, qui s'achèvent sur un Pleure pas bébé aux accents du Florent Brunel des Inconnus ! Le troisième (En bords de Seine) est-il le bon ? Pas certain. Saez propose certes un douloureux apaisement, où les mots disparaissent pour laisser le piano, instrumental, emprunter la voie orchestrale du Song for Guy d'Elton John... La neige, blanche, immaculée, et ses derniers mots, en mode Serge Lama (Si), viennent recouvrir le tout à la fin. C'est généreux, sûrement. Mais non moins balourd. Dommage. La colère n'est pas toujours bonne conseillère.

Hugo Cassavetti

Source : www.telerama.fr