S’il manque encore le dernier pan du triptyque saezien dans le projet du Manifeste, il y a d’ores et déjà 4 albums à explorer, à écouter un peu beaucoup puis passionnément pour prendre la pleine mesure de l’œuvre monumentale en cours d’édification dans la chanson française. On sait depuis juin 2016 que son projet se nourrit de la sombre année 2015, une réponse toute en poésie et émotions dans le chaos laissé au profond des âmes. Les zones d’ombre perdurent, elles ne se dissipent pas facilement au-dessus de cette œuvre en mouvement et construction perpétuelle, toutefois le temps lui accorde une lisibilité de longue haleine.

Les manifestes de l’histoire ont mené, tambour battant, les révolutions culturelles au milieu des chaos. Ils sont les socles d’une avant-garde de l’art, qui aujourd’hui sont reconnus, accrochés dans les musées et rangés dans la grande chronologie de l’histoire de l’art. Celui du futurisme italien s’est payé le luxe de prendre à sa charge la vitesse, la modernité, pour construire d’une effervescence industrielle, un monde de demain. Utiliser les armes de l’ennemi pour les lui faire exploser aux visages. Tant d’autres encore, celui des Dada brisant les frontières même des arts, de l’expression, celui des surréalistes aussi. Il y a derrière le mot manifeste, une déclaration publique semblant faire foi d’action, c’est l’espoir de rupture, de cassure presque complète avec un temps profondément obscur. L’industrialisation, les après-guerres, les chocs. Saez.mu évolue d’ailleurs vers Culture Contre Culture, qu’on peut tantôt lire en conflit, tantôt lire en renouveau … « culture » « contre culture » deux regards d’un même projet. Damien Saez prend la tête du cortège, utilise ses armes pacifistes pour mener un combat de mots contre maux, de vers contre fer, de bal contre balle, donnant publiquement les principes d’un engagement artistique.

Au travers du Manifeste, Damien Saez discute plus avec son public, les messages instantanés et longs textes de l’été 2016 le racontent. Le tout premier le présente lui, il le laisse le 1er août date de son anniversaire, le commencement de tout ce qui le fait lui évidemment. Il poursuit le processus avec l’application Requiem devenant vecteur de petites idées, de commentaire de sa part, il l’utilise aussi en passage de mots d’amour de temps en temps. Dans ces échanges plus chaleureux, il publie un long message de tendresse au 1er janvier 2017 pour lequel il souhaite « le monde entier » à son public, entre autres choses.

Le recul d’une presque année, bientôt en tout cas, nous permet de porter un regard différent sur l’œuvre. L’exaltation de l’attente, des surprises spontanées lorsqu’un texte ou un message arrive en terre du Manifeste est désormais ancré dans l’utilisation. 4 albums ont poussé sur cette terre, et la tournée de mars avril en a été la tribune.

L’oiseau liberté, l’oraison funèbre

Après en avoir découvert plus du projet Manifeste je trouve ce premier disque brillant. Bien sûr, c’est un peu redondant sur les paroles ou les mélodies, c’est en partie la particularité de Saez d’ailleurs. Sur chaque album, on retrouve souvent une série de mots ou expressions qu’il utilise énormément, cela finit même par donner une couleur à l’ensemble, un univers. De mon point de vue, cette répétition est voulue et pas un manque de créativité ou d’inspiration. Ce disque cherche une réponse à ce bouleversement qu’ont été les attentats. Au fil des chansons, il est tantôt choqué, tantôt achevé, tantôt exaltant en espoir puis soudainement humble et en deuil. Tout comme lui, nous avons tous discuté des attentats et très certainement répétés mille fois les mêmes choses au fil des échanges … nous n’avons d’ailleurs pas tant de choses différentes à dire, alors pourquoi croire que parce que c’est une œuvre artistique, il y a soudainement de quoi faire des « discours » unique. Non, c’est très intéressant de retrouver ça dans la chanson. Encore une fois donc, pour moi, pas de manque d’inspiration mais constat que nous sommes bien tous désemparés. Cet album, en plus de ce que nous avons vu sur le site internet, est une part encore de l’introduction au Manifeste, on retrouve le commencement, l’origine ce qui lui permet de bien remplir son rôle, Damien Saez le dit d’ailleurs clairement en chanson « nous sommes nés de novembre avec le cœur d’avril » né de l’horreur mais tenant d’une main l’espoir de renaissance, comme apporte le printemps inlassablement. Si je mets tout ça en perspective je dirais que Damien Saez ici prend toute la mesure de son rôle d’artiste. Je m’explique : il écrit l’émotion certes, il fait une part d’hommage mais il tente aussi de relever les têtes d’un commun des mortels dissolu dans le doute, il est là à nous tendre la main pour nous aider à nous relever tous, côte à côte au lieu de dos à dos. Au travers d’un fait artistique faire triompher l’humain, son humanité et sa force profonde, celle-là qui ressort les jours de gloire, les heures d’héroïsme et dans les phares de civilisation. A ce jeu-là, les musiques filent le parfait amour avec les paroles … elles filent et cousent un blanc drapeau de deuil et d’espoir pour nous envelopper d’une caresse tendre, amoureuse et protectrice. Cette fois, Damien Saez n’a visiblement plus le cœur au silence, à l’éloignement de lui à nous, il resserre le rang, se met au milieu de la foule et l’enlace d’être si fusionnante. Le choix et l’ordre des chansons sont cohérents avec l’idée d’un manifeste, « mon pays je t’écris » en introduction pose les fondations et présente le projet, elle constate aussi l’affrontement des cultures, où le Manifeste sera donc une réponse par toujours plus de culture. « L’humaniste », elle, ressemble aux discours de la Renaissance, ces siècles de pas en avant, comme un philosophe des lumières clairvoyant dans le tumulte. C’est le personnage, la source des hommages, des autres personnages du Manifeste, l’humaniste en chef de file où un « je » glissé dans les paroles nous prouverait peut-être bien que c’est un visage très connu. Puis « L’oiseau liberté », titre éponyme est topissime et que dire de sa version live … où elle devient hymne, elle galvanise le monde, file la chair de poule. Parfaite. Elle sert de moteur, de chant du départ pour mener le combat, elle rassemble mais pour toujours évoquer l’acte de paix, se place sous le signe d’un oiseau.

Vient la place de l’enfant aussi, nouvelle originalité de l’œuvre pour Damien Saez. S’il a toujours plus ou moins cherché à parler à la jeunesse, les titres ne manquent pas, cette fois c’est encore plus petit, plus fragile … les enfants. Ce disque peut, pour certaines chansons, leur parler directement. De là à dire qu’il est pédagogique, peut-être pas, mais ils ont mis en avant. On sait bien aussi que dans l’écriture, l’utilisation de l’enfant ramène à l’innocence, à la filiation ou parfois à cette part qu’un adulte garde ou oubli en soi, l’espoir. « Les enfants lunes » par exemple. Mon neveu de 6 ans la chante, c’est beau ! Ici, son discours sans trop de vulgaire pourrait très bien être un poème pour les récitations de l’école primaire. Un peu comme « Liberté » d’Eluard. C’est presque une chanson d’enfant, écrite par un enfant pour les enfants. A ceci près que l’écriture est dans une grande majorité à un degré poétique d’adulte.

« Les enfants paradis » et « Tous les gamins du monde » sont les hommages, les oraisons funèbres à l’attention de ce peuple manifestant porté par l’humaniste et son oiseau. « Les enfants paradis » provoque d’ailleurs des réactions différentes, silence et briquets dans la salle de Clermont-Ferrand, applaudissements et cris à la Halle Tony Garnier. Cette chanson pousse au recueillement, jusqu’à nous faire prendre la position de ces minutes de silence d’hommage. Il n’y a rien à faire que d’être physiquement immobile, baisser la tête et communier en seul bruit la danse des respirations avec toute la salle autour. Ces deux chansons rallient également les artistes et œuvres précédentes, il les invoque pour modeler un hommage fort à la liberté, à la richesse de la culture.

La chanson « le dernier disque » … énorme claque. Elle est un peu à part, puisqu’elle retourne sur la situation et une décision de quitter le monde public pour propager son œuvre. Cette chanson s’adresse au public de Damien Saez, lui donnant les réponses au lancement du Manifeste, et à la démarche d’un site « privé » avec abonnement de 60€ pour un an à partir du 31 juillet 2016 (puis plus, car le projet est prolongé). Il souhaite donner son œuvre autrement, loin d’un système qui donne tout à tout le monde, en tout temps sans laisser apprécier à sa juste valeur. Crise d’égo ou véritable souci de protéger son art ? Un peu des deux sans doute.

Évidemment, comme un travers affectueux, Damien Saez glisse aussi sa vision, sa critique sur la culture, sur la situation et la société, mais finalement il le fait plutôt poliment sur ce disque, sans agressivité. Il a fait un cd doux par les textes et puissant par la musique. Parfois le son un peu « militaire » de certains morceaux, via l’effet tambour est galvanisant sans être méchant. La plupart des chansons sonnent réunion, communion, unisson. C’est un album catharsis qui nous purifie des émotions, nous les identifie, les exprime et les laisse monter, couler, exister pour les comprendre, les accepter. En ce sens, Damien Saez fait l’acte du voyant définit par Rimbaud, il est allé au bout des émotions provenant du choc des attentats, en ressort cet album du souvenir et de la mobilisation. Nous sommes là aux sources du Manifeste, malgré que tout ne soit pas si clair à cerner on y vient peu à peu, mois après mois, vraiment le sens se révèle de plus en plus à force de connecter les choses.

Le Manifeste doit être compris à part de l’œuvre de Damien Saez, je pense que si quelqu’un lance les cds en espérant retrouver tout ce qui fait Saez sur les autres albums, il se trompe. Ce projet répond à une urgence, un contexte presque plus qu’un projet artistique personnel. Damien Saez semble plutôt lancer un appel : Manifeste-toi, sort de l’ombre à mes côtés pour que nous soyons un faisceau de soleil perçant la lumière noire qui a laissé tomber le terrible poids du monde sur nous. L’oiseau liberté est un petit bijou, un objet de consolation, un chemin de roses dans les nuages, c’est un album de sentiments avec quelques failles, mais sommes-nous vraiment en mesure de lui demander d’être infaillible ? Rien de grave, ça marche quand même.

Lulu, le triple dans le triple

Avec Saez, il m’arrive régulièrement d’être un peu en décalage. Je découvre les albums bien au bon moment, mais je les savoure plus tardivement, je prends mon temps et exalte après les autres. Je l’ai un peu écouté, en piochant rapidement que quelques morceaux sans tout reprendre à chaque fois. Puis finalement en replongeant dedans c’est une autre saveur, et on y reste un peu plus. L’album Lulu est sortie tout juste avant la tournée, à peine le temps de l’écouter pour certains. Comme il sait si bien le faire, et comme personne d’autre ne fait, c’est un triple album. Un triple album dans lequel il a offert à notre petite humanité, le chef d’œuvre du siècle, je pèse mes mots, mais j’y reviendrais. Un triple album au milieu de trois sorties d’album, rappelant encore, s’il faut le faire, à quel point il est prolifique. J’avais d’ailleurs lu quelques part qu’il lui arrivait d’écrire quelques 400 textes par an il me semble … de quoi remplir un sacré paquet de carnet (et de disque !).

Mon européenne

Le premier disque « mon européenne » est une vision large, une sorte de cadre, de décor. C’est le plus festif des trois, et se découpe entre fête et défaite. On a l’impression que chaque chanson serait le sujet d’une conversation, parfois on dirait qu’il passe d’un sujet à l’autre sans lien, parfois on se dit que ça se déroule peu à peu, qu’une chanson entraîne la suivante. C’est le cas à partir de « ma putain du showbiz » jusqu’à « ma gueule de terroriste », ça remue, réfléchit, parlemente et critique. En quelques chansons, il évoque ses cibles majeures que sont le showbiz et la communication à tout va, la mise en scène en continu de nos vies sur les réseaux sociaux, l’ennemi argent, la finance et son pouvoir. Le premier disque est le plus « engagé » socialement et politiquement. Lorsqu’il chante « mon européenne », il casse la vision pays et organisation d’une zone commune, soit quelque chose de très abstrait pour la pluspart des européens, mais replace les personnes, les luttes, s’amusant des clichés des peuples parfois. La première chanson du disque en espagnol annonce la place de cette influence sur le triple album, peut-être est-ce pour Damien Saez une réconciliation avec une part de ses origines aussi. Entre le prélude sorti fin 2016 et cet album, « c’est la guerre » a disparu, au profit sans doute de « peuple manifestant » chanson coup de gueule contre le couac de diffusion de sa musique sur Amazon notamment. Et surtout contre l’analyse de bas étage faite par les inrocks indiquant qu’il a peté les plombs. Chanson donc créée rapidement en novembre 2016 et adoptée pour l’album puis la tournée. Saez y règle quelques comptes et constat aussi son partout « médiatique » semé d’embuche le peu de fois où il est allé au charbon, il évoque la censure des affiches de 2010 notamment. Dans ce premier disque, tout s’écoute assez facilement, reste bien en tête même si mes préférences vont vers « Bonnie » et « Rue d’la soif » qui sont tout simplement joyeusement festives et délirantes. L’album se clôture sur « Pierrot », au premier abord on ne comprend pas vraiment la réutilisation d’une partie du texte « les enfants lune » puis il cherche sans doute à faciliter les connections entre les morceaux. Cette chanson présente un personnage, j’ai tendance à mettre derrière Pierrot à la fois l’humaniste, Damien Saez et le personnage des films, aussi ça me parait logique qu’on trouve des ponts entre tout ça, même si c’est par la répétition d’un texte. Ce disque est riche en instrument, en rythme, en chanson coup de poing et en sujets différents. Il est bouillonnant et assez sanguin, Damien Saez y est plutôt en colère tout autant qu’en fuite de cette colère, peut-être va-t-il du côté de la « rue d’la soif » …

Lulu

Dans ce deuxième disque, c’est un retour au calme à tous les niveaux. Les mélodies ne sont plus que guitare ou piano, très sobre et le rythme est plus lent, plus posé et plus mélancolique. La surprise est de retrouver « l’humaniste » telle qu’elle est déjà dans le disque de 2016. Si dans la logique que j’ai construit elle fait le pont entre la chanson « Pierrot » du premier disque, et les nouveaux thèmes abordés ici, c’est plutôt surprenant de la relancer. Aimant beaucoup cette chanson, dont la puissance en live est incroyable, je ne râle pas trop sur ce titre qui aurait pu laisser la place à une autre inédite. A l’écoute, ce disque touche plus à l’intime, si le précédent me semblait être un décor, ici on est entré dans une pièce, dans un espace plus restreint. « Petit bout d’paradis », après la tournée, est pour moi une chanson du personnage féminin des films, tout comme celles qui parlent d’une voix de femme. Je dirais qu’au cours de ces trois disques, nous avons des rencontres avec des personnages. Et toujours avec Saez, on a tendance à vouloir croire que les « je » sont tout à fait lui, on recherche la part autobiographique dans ce qui ne sont en partie que des rôles à qui il prête sa voix. Des petites perles tout au long du disque, « au cimetière des amours », « Lulu » ode de consolation à l’ami triste et qui modernise les Manu, Jeff et Milord de Renaud, Brel et Piaf, si le narrateur essaye de désacraliser l’amour et le sentiment de Lulu, il se range finalement à le laisser dans sa peine pour voir comme l’amour est beau. « En sangre » presque ovni sur le disque, mais tellement puissante, sa voix est une pierre précieuse. Il nous fait la complainte du flamenco, à la limite de ce désespoir du fado portugais. D’autres encore, « putain ma vie » qui remet en question, montre les paradoxes et esquisse une grande interrogation source d’angoisse pour l’humanité, le temps qui passe et qui va très vite. Et puis « ma gueule » … quoi dire de plus que c’est exceptionnelle, la tendresse qui en sort est vraiment touchante, c’est d’ailleurs très intelligent d’avoir détourné le surnom de l’enfant, sans mettre les classiques « ma petite » « mon amour » à tout va, mais « ma gueule » qui fait bien sonner le fait qu’on retrouve un peu des parents dans la bouille des enfants. Cela permet de voir aussi que la relation parents-enfants a changé, la séparation des adultes en fond mais aussi les mots qui peuvent être mis, dis aux enfants, puis « ma gueule » permet également d’entremêler le narrateur et l’enfant. En revanche, je n’arrive pas à réécouter « pleure pas bébé », elle n’est pas mauvaise, mais elle est à contre-courant du reste et s’apprivoise difficilement pour l’instant dans mon cas.

En bord de Seine

Le dernier disque est une autre ode à la sobriété. On compte près de 30 minutes de thème, aucune paroles pendant 30 minutes mais un chant des instruments qui mettent des notes là où visiblement il n’y a plus les mots, plus assez en tout cas. Les thèmes nourrissent le projet cinématographique puisqu’il les jouera bientôt en live lors des diffusions vidéo de la tournée. Chaque fois que Damien Saez se lance dans la mise en piste de thème, c’est une autre forme de beauté qu’il lance, et comme il l’a déjà raconté lorsqu’il jouait du piano fenêtre ouverte dans sa cité dijonnaise, il nous sert un peu de composition classique, pour nous ouvrir à un monde qu’on croit difficile à aimer. « Matin de pluie », « Matin de neige » se murmure et raconte des décors où vivent les personnages, vivent les émotions et les histoires.

« Notre-Dame mélancolie » voilà qu’on arrive à ce qui est une perle rare absolue. Autant nous sommes tous d’accord, pour dire qu’on nous avons toujours trouvé ça et là au gré des albums de très belles chansons signées Saez. Autant ici, je crois qu’il nous a livré le plus beau bijou qu’il puise faire. La première écoute a été bouleversante, remplie d’émotions qui varient au fil des quelques 7 minutes que dure la chanson. Une chanson à frisson, à tempête qui nous emporte, une chanson qui dès la première fois nous prélève quelques larmes. Il nous livre en condensé toute la palette de ce qu’il est musicalement parlant, ce qu’il est à l’écriture et à l’interprétation. C’est aussi une démonstration de l’univers de Damien Saez, où les principaux thèmes de ses chansons sont ici rassemblés pour former une œuvre signature, une œuvre de postérité. C’est un long crescendo qui nous fait passer de la douceur presque murmurée, au haussement de voix qui chante, pour se noyer dans le cri du désespoir. Les chocs émotionnels sont facilement identifiables « Je suis Napoléon je crois … » premier, « dis-moi à quoi me sert ton dieu » élève le chant, « Voilà je marie devant toi … » deuxième coup, puis la complainte qui nous tire jusqu’au bout « moi qui ai compris y’a bien longtemps, que l’enfer c’est vivre sur terre ». Le piano qui l’accompagne joue le parfait duo de chant avec la voix, c’est un vrai mariage mélancolique au service de l’interprétation et du texte. « Notre-Dame mélancolie » est un chef d’œuvre, ceux-là qui mettent tout le monde d’accord par leur force, leur puissance et le flot d’émotions qu’il sait animer, imposer et exploser. La voix, qui désormais n’est plus celle de sa jeunesse fougueuse, crie, pousse, s’en-larme, se brise, remonte, tombe en piquée puis retouche les étoiles, elle se barre dans l’atmosphère puis revient nous caresser, se cache dans un silence puis nous emporte jusqu’à l’autre bout du monde, murmure un mot d’amour et nous gifle de colère, danse en voix de tête et pleure en voix du cœur. C’est la chanson qui pourra faire raconter au monde ce qu’est un artiste, ce qu’est le pouvoir d’une magie des mots mariés à la mélodie et à son créateur. Ici fusionne totalement dans un bloc unique le chanteur, le compositeur, l’interprète, l’auteur prêt à disparaitre derrière sa monstrueuse œuvre. S’il devait rester un Damien Saez, nous le nommerions « Notre-Dame mélancolie ».

« En bord de seine » est sublime aussi, on suit le cours du fleuve qui est un personnage à part entière, mis en valeur pour raconter la vie qui s’écoule autour de lui que ce soit à Paris ou au Havre. Enfin « Si » referme la porte sur le sublime de ce disque. Celle-ci, est une chanson d’église, mais pas pour le contenu des mots, non pour la manière dont il l’a construite musicalement. En écoutant, on dirait un l’orgue de l’architecture, l’instrument caméléon, c’est aussi l’écho d’entre les murs qui fait résonner la voix jusqu’à ce que l’imperceptible nous laisse croire qu’il résonnera pour l’éternité. Le texte reprend un peu le schéma de la chanson « quai de seine » de la tournée de 2013 soit des mots transformés en verbe, créant des émotions, des actions, qui renouvèle l’écriture classique. Je suis simplement mitigée sur cet aspect-là, car « quai de Seine » de 2013 avait été un véritable coup de cœur que j’attendais, et attendrais peut-être encore, impatiemment sur un album. Ce dernier disque donc peint l’intime, le personnel et se recentre totalement alors que les deux disques précédents laissaient encore entrevoir de manière plus large.

Les triples albums de Damien Saez sont toujours un voyage, une initiation vers quelque chose de nouveau. Il sait construire lentement un œuvre qui s’écoute, se découvre, s’abandonne un peu un temps puis se reprend pour y voir d’autres choses. Il sait construire une œuvre dans laquelle pousse de petits chefs d’œuvre sur lesquels on tombe miraculeusement. Baignée dans un disque des émotions, « Notre-Dame mélancolie » à elle seule, nous marie définitivement avec Lulu et Damien Saez.

La tournée du Manifeste

Annoncée dès les premières prises de contact de l’artiste avec son public en 2016, la tournée du Manifeste a lieu sur mars et avril 2017. Je ne vais pas refaire les comptes rendus des deux dates auxquelles je me suis rendue, mais plutôt évoquer la place de celles-ci dans le projet Manifeste.

L’important de cette tournée est l’insertion de tableaux cinématographiques faisant, si on ne se trompe pas, partis d’un projet de film au cœur du Manifeste. La tournée sert de tribune au Manifeste donc, via les extraits de films, où deux personnages ressortent : une jeune femme, et le personnage en bord de mer qui plante des fleurs (déjà vu au commencement du projet en juin 2016). Au cours du concert d’autres mots s’affichent, quelques phrases en adéquation avec le morceau joué, comme lorsque sur « peuple manifestant » on peut lire « le poing levé mais le cœur sur la main », probable contre pied à son coup de colère ne lui ôtant pas sa sensibilité. Elle sert aussi à Damien Saez qui ponctue les concerts de lecture de textes, tantôt empruntés à Victor Hugo, tantôt de sa plume, il se lance aussi sur des commentaires de l’actualité, de la politique, de la société, de l’argent, de son travail bafoué, ces sujets favoris qu’on connait bien.

Pour le choix des chansons, le début du concert, sur mes deux dates, a varié un peu. On compte toutefois, les chansons de l’album « l’oiseau liberté » qui font monter la pression et se révèlent autrement en live. Dans cette version live du Manifeste, elles reprennent leur rôle puis laissent place aux morceaux plus rock et plus engagés. La suite « l’oiseau liberté » et « fin des mondes » marque véritablement cet effet, c’est ainsi qu’on remarque que son répertoire arrive à s’emboîter pour servir le message qu’il souhaite passer à travers la mise en scène du Manifeste sur la tournée. Les morceaux engagés se suivent donc, 7 notamment dans un rythme effréné : « Marianne », « Fils de France », « J’accuse », « Pilule », « Cigarette », « Peuple manifestant », « Ma petite couturière ». On ne doute pas non plus que d’autres sont aussi choisis pour l’ambiance, puisque Damien Saez souhaite que cette tournée soit riche en pogos et agitation. Ainsi « rue d’la soif » et « Bonnie ». La fin retombe plutôt dans son univers habituel avec certaines immanquables plus paisibles et acoustiques.

Cette tournée marque aussi son désir de communication avec son public, il est plus bavard, plus porté par les émotions, les démontre et les communique sur scène. Poing serré, exaltation de lui-même pour profiter du concert, mots d’amour en remerciement. Il se fait bavard pour notre plus grand plaisir.

Si d’habitude l’heure de la tournée signe aussi la fin du retour de Damien Saez, cette fois la suite est encore riche. Un disque encore à l’automne, le Manifeste a été rapidement prolongé jusqu’en décembre 2017 et une tournée acoustique annoncée plusieurs fois en live pour 2018. Autant dire qu’il n’est pas encore prêt à nous laisser et retourner dans son intimité.

Le dernier disque ?

Je laisse en suspension cette dernière ligne … On se voit en automne.

Julie G.

Source : vingtquatreheureune.wordpress.com