Saez à Dijon. Deuxième partie. Cette fois-ci, la discussion a tourné autour des chansons de « Debbie », son troisième album.

Ton disque évoque plein de prénoms féminins, ce sont des personnages que tu as connus ?

Oui connu ou croisé. Plus croisé que connu d'ailleurs. Les femmes sont des êtres à part. C'est clairement très important pour moi. « Debbie », c'est l'histoire d'une strip-teaseuse d'une boite provinciale à la con, d'autres prénoms dans mes chansons sont des gens que j'ai croisé et à qui je n'ai même pas parlé. Dans « Marie ou Marilyn », on oscille entre la vierge et la putain. Et on voit à priori qui est l'une et qui est l'autre. Sauf que c'est aussi croisé dans la chanson avec les seins de Marie et les saints de Marilyn qui entre le couplet et le refrain sont deux personnages différents : Marilyn étant aussi le prénom d'une fille quelconque que ses parents ont choisi de nommer ainsi par référence à la star. « Marta », la dernière chanson du disque, est aussi comme ça. Comme disait Brel sur « Jojo » une de ses dernières chansons sur un de ses potes qui est mort : « Et je ne suis pas sûr que la femme est l'avenir de l'homme ».

La vierge et la putain

Il y a de l'anticipation aussi dans tes chansons...

Autant je peux aller dans le pictural, et dans l'urbain, souvent de façon assez généraliste, autant la mégacité y est décrite comme on parle d'architecture, ou de science-fiction, voire d'anticipation. C'est vrai que j'aime bien me poser la question de ce que va devenir la cité... « En travers les néons » est un texte plutôt froid et je me suis dis que c'était bien de parler des prénoms. Car ça amène tout de suite de la chaleur, un prénom = un personnage donc une histoire, tu vois. En fait, j'aimais avoir les deux, en contraste. Là où j'étais assez content, c'est quand j'ai trouvé « Marie ou Marilyn », je me suis dit : « Mais il n'y a personne qui l'a fait ? Ça paraissait si évident. Y a rien d'extraordinaire là-dedans mais ça tombe sous le sens, ces deux prénoms si opposés et si proches aussi. La vierge et la putain. Je suis assez fier de cette chanson. Je les aime aussi de par ces grosses guitares baryton qui sonnent comme des basses, c'est le cas dans « Marie ou Marilyn » et dans « Céleste ». On a cherché des chorus sans effets. Quand tu joues deux fois la même partie, ça donne des chorus naturels. J'aime bien ses ambiances froides que tu retrouves dans des morceaux de Killing Joe, The Cure ou Joy Division.

Tu restes jamais vraiment éloigné des musiques écoutées quand tu étais ado...

Ben ouais, c'est clair. Ça m'a marqué et, en plus avec le temps, on les redécouvre. C'est aussi ce qu'il y a de meilleur chez Cure et Joy Division.

Pourtant sur « Debbie », on sent chez toi une envie irrésistible d'avancer vite... avec peu d'attrait pour la nostalgie...

Oui, c'est vrai, je ne suis pas du tout nostalgique, « Debbie » ne l'est d'ailleurs pas du tout. Dans cet album, je parle peu de mon cas et toutes les chansons sont sur des personnages autres que ma personne.

Des chansons comme des tableaux

Beaucoup de personnages féminins...

Oui, ça toujours été le cas sauf qu'avant il n'y avait pas de prénom. Ou seulement un par disque, comme Amandine ou Olga. Ce ne sont pas des portraits à proprement parler, c'est comme si des tableaux parlaient sur des esquisses de quelqu'un d'autre et qu'après l'esquisse, tu rajoutais dessus des cubes, des ronds, d'autres formes. Ton arrière-plan est l'histoire de l'autre, et tu mets sur le premier plan toi, tes sentiments, ce que tu es, ta vision des choses.

C'est devenu une façon d'écrire ?

Non, c'était juste ce dont j'avais envie sur ce disque. Je n'avais pas envie d'accentuer trop ma part on va dire brelienne, plus nostalgique et mélancolique. J'avais plus envie de fantasme. De plus, j'étais partis pour faire un disque un peu plus rock, ça collait bien avec.

Le rock et l'énergie, c'est aussi ce qu'on retient dans tes nouveaux morceaux...

Oui, c'est clair, surtout avec toutes ces guitares. Mon écriture a été beaucoup moins instinctive que par le passé, il m'a fallu plus de temps. Avant, je fonctionnais sur une écriture brute ; partir d'un thème particulier, aller jusqu'au bout et ne surtout pas y retoucher.

Soirées nocturnes

Dans quel état personne étais-tu lorsque tu as vraiment commencé cet album plus rock de par ces grosses guitares ?

J'allais bien mais ce n'était pas non plus la « danse des canards ». je ne sautais pas au plafond tous les matins, et je crois bien qu'au tout début je suis parti sur la peinture des bars pour arriver à des chansons avec ce côté un peu plus « brelien » de parler des potes et des putains. C'est parti de pas mal de mes soirées nocturnes avec mes potes ou avec des inconnus rencontrés dans les bars. La chanson qui s'appelle « En travers les néons » parle de ça.

C'est dans ce morceau que tu termines par l'inquiétant « Tout ira bien » alors qu'on comprend bien le contraire...

En fait, je suis parti de cette histoire de raconter des gens remplis d'espoir par rapport à leur âge. Au début de la chanson, je suis dans un bar, des gens se racontent, c'est bien au début et c'est merdique à la fin avec une vie pleine de tracas et pavée de désillusions de toutes sortes. Tu pars avec des projets, tu traces un destin, tu listes plein de choses positives à son égard et puis cela ressemble à un de mes rêves fait autrefois, du coup, tu reviens vers mon vécu, vers moi. Je me revoyais donc à l'époque des possibles où je me disais : bon, c'est décidé, je pars, j'y vais vraiment et je le fais maintenant ! Le refrain est comme ça, on est encore au stade où l'on ignore le vide, ce qui est génial. Si tu ignores la peur et les vertiges, que tu ne connais pas ça dans la vie, comme dans la chanson, à la fin, c'est une façon aussi de dire que tu ne peux pas t'imaginer combien c'est vide. Tu ne peux pas t'imaginer ce qu'on ressent quand tu écoutes seul un disque ou que tu lis un bouquin, on a l'impression d'être entouré de vide... c'est la partie un peu plus dure du texte car à la fin, c'est très clairement : « Tout ira bien » avec un gros point d'interrogation.

Sur « Debbie », tu oscilles entre deux types de chanson, celles sur l'amour et celles plus pamphlétaires...

Oui, et non, je ne pense pas être sur le pamphlet cette fois-ci. Sur « Tu y crois toi », c'est peut-être le cas mais le texte n'est pas de moi.

Justement, dans « Tu y crois toi », tu sembles regretter l'égoïsme des gens, des jeunes par rapport aux vieux notamment...

Oui c'est une chanson sur la peur de vieillir, sur le fait qu'il ne faut pas laisser nos vieux crever dans les maisons de retraite.

Revival rock des 80's

Dans « Debbie », le titre, tu as choisis des cuivres qui ont l'effet inverse du ton chaleureux et festif qu'on tient généralement ces instruments responsables...

En effet, j'ai pensé sur « Debbie » rajouter des cuivres pour que cela sorte vraiment des choses qu'on entend aujourd'hui. Je voulais un son limite revival rock, rockabilly même, le son ska des 80's, La Mano Negra, Noir Des' de cette époque là. D'ailleurs , je trouve que cette chanson là sort un peu du disque par rapport à son orchestration. C'est un peu l'O.V.N.I. de ce disque. S'il y est un morceaux moins cohérent par rapport aux autres, c'est bien celui là que j'ai fait en deux jours, pas du tout produit. Je voulais partir en single sur ce morceau pour ne pas sonner comme ce qu'il se fait maintenant.

C'est marrant, on a l'impression que tu fais les choses à l'envers. « Debbie », c'est un peu comme si c'était ton premier disque ?

Oui, oui, très clairement. C'est une chance de pouvoir encore ouvrir d'autres portes. Je pense que le premier album m'a ouvert des portes, que le deuxième a ouvert des tas de portes qui ne laissaient présager de rien, que tout était possible. Je pense également que le deuxième album comporte de très fortes chansons, et que le troisième présage peut-être de ce que sera la suite.

Ta voix voyage souvent à l'intérieur de chaque morceau... jusqu'à chanter naturellement comme tu parles...

Oui il y a carrément des passages dans les morceaux où je récite presque... Je ne pense pas au jugement des autres quant à ma voix, si elle est maniérée ou pas, naturelle ou autre chose. D'ailleurs, le mot voix, suivant comme tu l'écris, évoque plein de choses différentes. La voix comme l'organe, la voie comme le chemin. Et, pour les deux, c'est étrange car on emploie la même expression : « Trouver sa voix(e) ». Je pense qu'un chanteur doit trouver sa voix(e). trouver sa voix comme on cherche son chemin. Pour débroussailler. C'est comme dans le dernier album de Brel qui est pour moi beaucoup plus fort en émotion et pourtant il chante parfois comme il parle à table. C'est aussi très français de retrouver sa voix comme quand tu parles dans le téléphone. D'une manière très réaliste, David Bowie chantait comme ça aussi. De toute façon, même quand c'est réaliste, il y a toujours un côté mise en scène dans le fait de poser sa voix. Celui qui dit l'inverse ment. Il y a toujours de la mise en scène quand on chante. Sinon, tu ne montes pas de spectacle. Etre mis en scène ne veut pas dire ne pas être soi-même. Pour moi, CHANTER, c'est se mettre en scène. Et utiliser sa voix comme un instrument, c'est chanter. Ou alors, on parle, on fait des lectures de textes encore que la façon de le faire s'apparente à de la mise en scène. Je ne serai pas capable de refaire certaines mises en scène. Chanter sur scène, c'est quelque chose de brut, quelque chose qui échappe au contrôle. Dans « Debbie », il y a des chansons où j'accepte de chanter différemment dans le même disque. Tu n'es pas dans le même état d'âme. Dieu sait que je peux choper des tics avec ma voix, je le sais aussi. Moi, ce sont les tics précieux qui m'énervent. En ce moment, j'ai vraiment le sentiment que tous les chanteurs veulent chanter comme sous le signe de la confidence. Je n'arrête pas d'entendre un truc suave à trois francs six sous. Ça m'insupporte. Je préfère aussi quand le style de voix est écorché que lorsque c'est dandy à la française, sans être Dutronc, tu vois ?

Pour toi, c'est à cela qu'on fait la différence en France entre du rock et de la chanson ?

Ah oui carrément. De tout façon, rock ça ne s'explique pas. Pour certains chanteurs, ils seront toujours rock dans leur approche et leur son, quand d'autres n'y seront jamais. Le rock français a ce problème là.

Un sacré rocker

Les Anglo-saxons ont moins ce problème et voient tous dans la musique, le rock en particulier, un moyen de se donner plus de liberté d'agir et de penser...

Oui, c'est clair. Le rock français, même s'il a plus de trente ans garde ce problème lié à la langue, l'attitude. Regarde ce qu'est devenu un mec comme Johnny Hallyday. Quand j'étais gamin, mes parents écoutaient Johnny et c'était très très rock, dans la gestuelle, l'attitude... Ses reprises de Cochran étaient mortelles et dans les 60's, Johnny était sur scène un sacré rocker. Il était complètement tripé, hyper psychédélique. C'est après que c'est devenu tout autre chose. Quant aux Anglo-saxons, ils ont écouté beaucoup plus de rock et très vite, donc aujourd'hui, le rock fait plus partie intégrante de leur culture. Ils ont des vieux chanteurs qui sont encore rock, ce n'est pas clairement réservé aux moins de trente ans. En France, on n'a pas de radio qui mélange les genres et les auditeurs comme il y en a en Angleterre.

As-tu toujours comme à l'époque du second disque des projets d'écriture qui dépassent celui de la chanson ?

Oui je continue, ça prend du temps mais bon... On va sortir un nouveau recueil chez Actes Sud de textes de chansons mélangé à d'autres textes comme sur le premier volume. Sans prétention aucune, je pense que la chanson, c'est la poésie populaire. En tout cas, ça a pris sa place. C'est bien d'avoir écrit quelque part sur autre chose qu'un livret d'un CD. Ça peut être aussi une façon d'attirer les gens à la musique, des gens qui seraient peut-être réfractaires au rock et qui, par les textes, vont faire l'effort de s'y habituer, et d'aimer vraiment ça et rentrer ça. Le rock n'est pas quelque chose d'inné, la première fois que j'ai écouté Hendrix, ça m'a fait bizarre ! J'étais tout petit, j'écoute ce truc là, j'aime pas tout de suite !! Ça remettait en question ce que j'avais dans la tête, et puis finalement, tu y vas, tu rentres dedans par les textes qui t'amènent à des choses moins faciles, de moins classique.

Pierre Veillet