Le petit berlingot de la semaine.
Je pense parler au nom de tous ici en affirmant que tout le monde a cessé de suivre les conneries de Damien Saez depuis la 6e. Ceux qui s’en souviennent sont sans doute les mêmes qui collaient des photos de groupe de rock dans leur agenda à côté du sticker du lapin du métro et avaient des goûts de balais à chiotte – arrêtez de faire semblant de vous offusquer, j’étais une petite merde, vous étiez des petites merdes, tout le monde s’en fout et puis c’est même pas le propos. Dans mon cas personnel, je l’avais découvert à la télé sur la scène des Victoires de la musique en 2001, où au milieu de Jean-Luc Delarue, Hélène Ségara et Henri Salvador (tiens, que des morts), il avait l'air de mon point de vue un peu menaçant - il avait un bonnet et on était à l’intérieur. Je tiens à préciser que j’avais 11 ans, et que j’en ai maintenant 29. Le truc curieux, c'est que Damien Saez en avait visiblement 11 aussi. Mais surtout, par un phénomène inexplicable scientifiquement parlant, qu'il ait toujours le même âge presque vingt ans plus tard. Et visiblement, il a envie de le faire savoir.
Il y a un mois, le premier « coup » porté fut une photo partagée sur sa page Instagram, dans un style que l’on qualifierait de « skybloguesque », et que pas mal de gens ont dégainé dans la foulée sur leur propre page – c’est comme ça que je me suis rappelé l’existence de l’énergumène. Une sorte de tribune/manifeste absolument sans queue ni tête, signée de la « Brigade culturelle » qui enjoignait, si j’ai bien compris (en vrai j’ai rien compris mais je fais un effort), la poésie de passer à gros coups de Kärcher les réseaux sociaux et de purifier l’inculture capitaliste en s’emparant de ses propres armes – soit, la course effrénée et décérébrée au like, choper un buzz à tout prix, faire « péter les scores de cet Insta Twitter » comme notre Pindare des temps modernes l’écrit lui-même. Comme souvent chez Saez, le geste a plus ou moins fait « pschitt », ou plutôt « prout » dans son cas - on y revient parce que c’est important. Car au-delà de l’idéologie sous-jacente un peu « ambiguë » (maoïste ou fascisante, les paris sont ouverts), et du non-sens complet du texte, on en est venu à se demander à quel point Damien Saez était-il attardé, ou taré, ou bien les deux. Cette question Burger Quizz en a amené une autre, plus fatidique : « Putain, il y a encore des gens qui écoutent Damien Saez ? »
Comme le signalent nos confrères de Vice Belgique, il n’y a rien de pire qu’un fan de Saez en 2018. Chacun est prêt à monter au créneau le couteau entre les dents défendre son gourou, et c’est un peu triste. Évidemment, ceci explique que ce dernier tienne à entretenir son « réseau », vu qu’il ne lui reste guère plus que ce maigre fretin pour se sustenter. On n’a pas non plus besoin d’être très malin pour en déduire qu’étant donné qu’il soit totalement aux fraises depuis au moins dix ans commercialement parlant, Saez n’ait plus guère pour lui que ce genre de petit coup de couteau dans l’eau pour tenter de faire encore des vaguelettes. En début de semaine, son morceau « P’tite Pute » et sa misogynie kikoo lol n’étaient là que pour confirmer tout ça, mais également pour faire réagir cet affreux agrégat de bien-pensance des médias-à-la-solde-du-grand-capital, cette bête qu’il entretient et qui le nourrit indirectement depuis le début de sa savonneuse carrière soit dit en passant. D’ailleurs un internaute a judicieusement réagi sur les réseaux en ces termes : « Un GRAND merci à la p'tite pute de journalope qui m'a fait découvrir ce magnifique titre ».
Ce genre de « provocation » qui est visiblement le fruit d’une misère affective assez criante, Saez la sème plus ou moins régulièrement depuis quelques années. Ça passe la plupart du temps au travers, notamment sa lettre ouverte à Jeff Bezos il y a deux ans (le mec n'a peur de rien) où il se comparait à un « albatros violé » (c’est Baudelaire qui doit l’avoir dans le cul du coup) parce qu’Amazon avait eu le malheur de dévoiler la tracklist de son album un peu en avance. Ou bien ce passage à Ce soir ou Jamais ! de 2010 où les autres invités sur le plateau avaient le plus grand mal du monde à masquer leur gêne lorsqu’il tentait mollement de défendre le fait qu’il ait appelé son album J’accuse – l’émission a eu pourtant son lot de malaises durant son histoire (coucou Kassovitz, au hasard). Ou encore cet autre « manifeste » créé en 2016 sur son site officiel, qui n’est pas autre chose que son Tidal perso, une plateforme en ligne où, tel un Jay-Z du rock français, l’Artiste propose à ses ouailles (pardon, à ses fans) de profiter de son Grand-œuvre pour la modique somme de deux euros par mois. 1542977473488-Capture-decran-2018-11-23-a-101024capture d'écran d'une page du site de Damien Saez.
« P’tite Pute », premier extrait de son nouvel album à paraitre la semaine prochaine, vient s’inscrire plus largement dans ce manifeste-œuvre (et sans doute dans une entreprise plus globale de défiance du Nouvel Ordre Mondial), lequel réunit plusieurs de ses albums, en plus de poèmes et de vidéos interactives - Wikipedia vous l’expliquera bien mieux que moi parce que franchement qu’est-ce que j’en ai à foutre. Encore une fois, et on ne le signalera jamais assez, la chanson n’a absolument aucun sens. Les paroles oscillent entre « J’fais la colonialiste au Rwanda / Avec ma fondation J’paie moins d’impôts tu vois », « Des acteurs jet privé, qui luttent pour le climat / Tant qu’ya des followers pour ma promo tu vois », on comprend vaguement qu’il parle de DiCaprio (ça dénonce, ça dénonce), et c’est à peu près tout. La différence ici, c’est que ça prend chez les gens qui se contrefoutent de lui d’ordinaire, parce que Saez embrasse enfin pleinement un truc qu’il fait pourtant mine de conchier allègrement : l’air du temps.
Car quoi de mieux que la putophobie en 2018 pour faire réagir bobonne (soit : sa cible autoproclamée), et faire sortir les crocs des lecteurs de Madmoizelle ? En bon pourfendeur des déviances mercantilistes de notre temps, Saez s’empare pourtant d’un « mot-clé » pour buzzer sévère comme toute bonne instagrammeuse qui se respecte (du coup, ben c'est un peu lui la pute, hihi). À ce titre, on a de quoi sérieusement se poser la question sur le bien-fondé de l’outrance de certaines réactions face à un petit zigouigoui qui ne cherche uniquement qu’à se faire mousser. Ou ceux qui demandent toujours de plus en plus des comptes aux artistes sur les conneries qu’ils peuvent sortir, comme si le public était bien trop débile pour faire la part des choses. Personnellement, j'avais assez halluciné d'entendre un mec me dire très sérieusement que Lorenzo constituait « un mauvais exemple pour la jeunesse » dans une soirée après qu'il se soit lui-même enfilé une bonne rasade de chnouf plein les narines. Et dans le cas présent, les réactions de vierges effarouchées sont encore plus absurdes quand on pense qu’on parle d’une chiure de mouche aussi insignifiante que Damien Saez – soit pas exactement un leader d’opinion.
Et c’est peut-être ça au fond, le « problème ». S’il y a un truc que j’adore faire, c’est bien tirer sur les ambulances (si possible au bazooka), essayer de trouver une faille dans la mécanique huilée du cynisme (parce qu’au fond il ne s’agit toujours que de ça), pour pouvoir ensuite faire semblant d’être plus malin que les autres du haut de ma chaire, bande de cloportes. Alors que là, il n’y a rien à faire. Que dalle. Toutes les clés sont filées en main par Saez lui-même, qui coche tellement toutes les cases de la débilité profonde et de l’infréquentabilité qu’on se retrouve un peu penauds. Mais contrairement à la galaxie toujours plus grandissante des ringards pathologiques (le spectre est assez large, ça va de Francis Lalanne à André Manoukian), lesquels ont compris qu’ils avaient tout à gagner à s’adresser uniquement à leur petite niche de fidèles sans faire de vagues, Saez, lui, pense encore que si tout le monde lui tombe dessus, c’est qu’il doit sûrement « appuyer là où ça fait mal », ou une ineptie du même genre. C’est à se demander si quelqu’un n’a pas appuyé un peu trop fort sur sa fontanelle lorsqu’il était petit pour le laisser barboter éternellement au stade anal. Ou si, à l’image de certains cinglés de la Beat Generation, il ne s’était tout simplement pas trépané entre les deux yeux pour rester défoncé pour la vie et demeurer pour toujours dans un état de babillage béat.
Il y a quelque chose d’assez désarmant à voir quelqu’un qui n’ait à ce point jamais bougé d’un iota depuis l'enfance (« P’tite Pute » est un décalque à peine voilé de « Tostaky » de Noir Désir, mais aussi de son fameux « J’accuse » d’il y a près de dix ans), à l’heure où même des gens comme, au hasard, Kyo, ont évolué. Damien Saez, lui, creuse toujours le même sillon, et tant pis si les paroles de son nouvel album (que la maison de disque, sous ordre du maestro, a refusé de nous envoyer) ressembleront sans doute, vu les titres des morceaux, à quelque chose comme : « areuh areuh prout grognasse cinquième colonne ». Engoncé dans son éternelle posture de poète maudit de la génération Petit Ours (Rouge) Brun, Saez ressemble aujourd'hui à un gros bébé luisant et baveux de 41 ans qui se rêve probablement en actionniste viennois des temps modernes, mais qui n’a l’air d’être là que pour nous renvoyer le miroir de la petite crotte qu'on était gamins - soit la période où l'écoute de sa musique est à peu près tolérable. Mais également de nous aguicher avec ce truc plus troublant, mi-fascinant mi-malsain, de l’accident qu’on regarde au bord de la route en prenant bien soin de ralentir pour ne pas en perdre une miette.
Aujourd’hui, Saez est un peu comme ce mec avec qui on trainait à l’école (non pas parce qu’on l’aimait bien, mais parce qu’on n’avait pas trop le choix), et dont on observe de temps en temps la vie sur Facebook des années plus tard pour se rassurer en se disant qu'au moins, on ne ressemble pas à un gros tas de merde. Tout en ayant un petit pincement de cœur en voyant que, gros beauf qu’il est, il a l’air de s’amuser quand même comme un petit fou. Il en faut bien un qui rigole.
Marc-Aurèle Baly
Source : noisey.vice.com