Le single P’tite Pute donnait le ton, l’album enfonce le clou... Une bonne dose de misogynie habite le dernier album rageur de Saez qui pourtant n’a pas perdu de sa superbe dans l’écriture et les mélodies qui s’inscrivent toujours dans l’excellence de notre meilleur enfant du rock.

Notre avis : Avec ses morceaux épiques qui s’abandonnent sur sept minutes dans son incipit, le nouvel album de Saez -oui, encore un autre, et ce n’est pas fini, le suivant débarquera en février 2019-, s’impose de façon progressive, l’haleine floydienne dans les cordes. Au gré d’errances instrumentales, le rockeur, désormais quadragénaire, pose son album dans un no-man’s land assassin à l’égard d’un espace mondialisé à la dérive où les réseaux sociaux sont très vite attaqués comme les éléments morbides de notre existence perdue.
La Mort poste un message social audible, quand l’emballant J’envoie, au rythme d’une Mano Negra révoltée, enfonce un peu plus le clou au pilori. Le mode selfie devient l’objet métaphorique et systématique d’une critique de la superficialité d’une gente féminine 2.0., qu’elle s’appelle Nabilla et Kim Kardashian. Vile, veule et intérieurement vilaine, les bimbos déchets décrites dans P’tite Pute, La belle au bois et Elle aimait se faire liker ont de quoi heurter les amateurs de bienséance et alerter les followeurs du militant de la cause anti-capitaliste.

Vulgaire catin des comptoirs de club ou de comptes de photo Instagram, la femme explosée par la plume assassine du rockeur fait fantasmer les prolos pour mieux se vendre aux bourgeois, si l’on cite quelques idées captées ici et là, dans ce flot de haine que l’on n’imagine pas gratuite car enraciné dans une thématique marchande récurrente chez l’auteur, mais qui semble souvent l’emporter sur la rage dénonciatrice. Jusqu’à Ma religieuse, l’on pourrait reprocher aisément à l’artiste de se défausser de toute empathie dans son portrait pathétique de gamines devenues femmes, paumées dans cette société globalisée, comme si jamais ne cherchait-il à gratter sous le vernis.

Doit-on pour autant condamner l’enfant terrible du rock’n’roll français ? Est-il soudainement passé de Jeune et con à vieux con ? Sûrement pas.
Dans l’outrance et la violence, l’on retrouve l’acharnement polémique d’un artiste engagé dont le talent d’écriture est manifeste sur chacun des morceaux, à l’oeuvre dans chaque bon/gros mot, et où le sens inné de la mélodie, qui passe forcément par la voix, rend l’écoute totalement obsessionnelle (le diptyque de la misogynie, P’tite Pute et La Belle au bois ravivent les extases ascendantes du single Miami).
Dans la force des vers et les prouesses rock, #Humanité est du grand Saez. Et son acharnement à abattre l’icone féminine Snap du prêt-à-poster, fait paradoxalement honneur au mouvement #Metoo, puisque Damien Saez met indéniablement l’homme et la femme sur la même barque, celle d’une égalité de choix dans son dégoût et sa misanthropie patente envers la déliquescence assumée de notre espèce.
Avec ses tropes chocs, Saez demeure le conteur immense de la décadence de notre époque.

Frédéric Mignard

Source : www.avoir-alire.com