Lors de notre dernier entretien avec lui, Saez nous proposait de confronter notre interprétation de ses textes avec lui plutôt que de faire une simple interview titre à titre. Suggestion pertinente puisque « Debbie », son 3ème album dont il signe paroles et musiques, s'attache tout particulièrement aux mots.

1 – Debbie – 3'30

On pense beaucoup à Noir Désir en écoutant ce titre, dans le genre énergie du désespoir...

C'est drôle, je crois que c'est un conditionnement culturel qui fait que quand tu entends le mot « écorchés » dans une chanson, tu penses à Noir Désir. Mais bon c'est normal, on est tous faits d'influences, quand tu écoutes des artistes, ou même que tu lis des auteurs, ça passe dans le conscient, le subconscient, puis tu digères, c'est ce qui fait ce que tu es, ces nourritures. Après tu recraches forcément un peu de tout ça dans ce que tu fais. Tu vois, Brel par exemple, je n'ai aucun rapport direct avec lui, si tu regardes bien, mais c'est mon maître et je pense à lui quand j'écris certaines chansons : pourtant mon écriture est plus moderne..

2 – En travers les néons – 4'41

Pour cette chanson, de quel(s) rêve(s) parles-tu ?

Quand je dis : « Tu traces ton dessein », je pense aussi au trait du dessin. Alors ça parle de rêves que je fais dans le sens de projets : l'envie de dessiner comme l'envie d'écrire, de composer, de chanter, de faire des voyages. Et puis quand on a des projets, parfois, on ne voit pas le vide qu'on a devant soi. Quand je dis : « Perdue dans les soirées », c'est de mon point de vue, la fille dont je parle est perdue, mais elle ne le sait pas elle-même, puisque plus loin je dis : « Les vertiges et la peur tu connais pas ». C'est comme si je lui disais : « Allez, ok tu vas gravir le Mont-Blanc parce que c'est ton projet, ton rêve, et que tu veux le réaliser, mais tu vas voir, une fois que tu seras en haut, tu le sentiras, ce grand vide qu'il y a derrière un rêve réalisé ». Cette chanson ne dit rien d'autre que ça : on n'a pas idée du vide qu'il y a derrière nos projets. On croit que les accomplir est une fin, mais ce n'est qu'un début. En fait c'est la fureur de vivre. « En travers les néons ». La fille dans la chanson, elle est consciente du dépassement de soi/ Mais vers où, elle ne le sait pas. J'aime à me dire que je suis toujours en devenir. Si je ramène à moi : ce que j'aime c'est faire des chansons. Ça c'est terrible. Ce qu'il y a en revanche, juste après cet instant magique de l'écriture, c'est le grand vertige..

3 – Céleste – 4'48

Alors là, c'est deux contre le reste du monde ? Mais que veut dire cette première phrase au juste : « Du céleste s'éteint ma bouche » ?

Eh bien en fait j'ai voulu que le mot céleste, qui à la base est quand même un mot très pompeux, soit quantifié. Du céleste comme si c'était une matière. Si céleste est le personnage, et que le personnage est une planète, une fois que je suis sur cette planète, je n'ai plus besoin d'écrire : alors ma bouche s'éteint. Je ne dis plus rien. Ça parle de la création. La création vient du chaos. A digestion de tes nourritures intellectuelles ou affectives, dont je parlais tout à l'heure, donne lieu à l'expulsion. Mais l'expulsion de tout le monde, tu vois ce que je veux dire, pas l'accouchement. Ecrire ce n'est pas comme accoucher ça va encore bien au-delà. Non, écrire c'est chier après la digestion, on va dire. J'aime bien cette métaphore un peu crade..

4 – Marie ou Marylin – 3'39

La vierge ou la putain ? Le sexe comme trompe-le-mort ? Le trou dont tu parles, c'est le vagin, le tombeau, ou les deux à la fois ?

Ouais, ouais, c'est exactement ça ! Exactement. Au début on m'a dit : « Oh non, tu ne peux pas laisser cette phrase. « Vas-y là dans le trou » ». Mais plus qu'un trompe-le-mort, le sexe c'est déjà la première étape, on dit bien que l'orgasme c'est la petite mort. Alors oui, c'est à la fois la tombe et le vagin. Représentées par les deux femmes, la vierge et la putain. Maris, comme celle qu'on trouve après la mort, dans le tombeau ; Marylin, comme celle qu'on trouve avant, dans l'autre « trou ». Là je m'attends à ce qu'on me dise que ça ressemble à Noir Désir, tu vois. Pourtant, à mon avis, c'est beaucoup plus proche du « Light My Fire » des Doors, c'est brut, pas dans la recherche des harmonies..

5 – J'hallucine – 4'35

Tu t'es mis au chamanisme ? Et ce feu dont tu parles, il te consume ou il t'anime ?

Non, non, je ne me suis pas mis au chamanisme, mais j'ai imaginé. En fait, ma copine est allée en Amérique de Sud, elle a fait Pérou, Bolivie, Venezuela. Et donc un soir elle s'est retrouvée à boire l'élixir du cactus et tout, pour rentrer en transe, elle m'a tout raconté ensuite, alors moi en parallèle, j'ai imaginé comment ça se serait passé si je l'avais fait aussi et j'en ai fait cette espèce de blues un peu limite, le blues d'un Indien d'Amérique par exemple. C'est mon péché mignon d'associer les personnes à des paysages : c'est ce que je fais dans cette chanson. Sinon, le feu, il te consume, évidemment, c'est la folie en toi..

6 – Autour de moi les fous – 5'35

Allez, dis-nous, qui sont ces fous dont tu parles ? Les bien-pensants ? Que recouvre « l'obscur ou la lumière » ?

Les fous, ce sont les bobos. En fait, cette chanson parle des discussion de bobos, de leur bien-pensance effectivement. Je crois qu'il faut vraiment choisir un camp sur certains sujets, c'est l'obscur ou la lumière, il ne faut pas rester dans cette tiédeur. La Turquie par exemple, faut choisir, l'Orient ou l'Occident, alors que ce pays finalement, ce n'est ni l'un ni l'autre. Alors est-ce qu'on lui ouvre nos portes d'Europe ou pas ? Là, faut vraiment prendre parti. Le problème c'est qu'on nous anesthésie le cerveau. On est dans l'infantilisation : pourquoi tout le monde regarde ces conneries de mangas alors qu'il y a plein de films très bien qui ne sont presque pas diffusés ? Parce qu'ils font marcher l'économie. Parce qu'ils viennent du Japon où la mode change tous les 15 jours, et tout le monde suit..

7 – Dans le bleu de l'absinthe – 7'13

La « sodomination » c'est les nouveaux modes de communication ?

Oui, entre autres. Je dis : « Au gré des connexions », moi tout ce qui est câbles, ça m'emmerde. J'aime pas internet, c'est pas que je crache dessus forcément, j'aime pas internet comme d'autres n'aiment pas la mer parce qu'ils se font chier sur la plage, mais bon voilà, je préfère les vraies relations, avec des odeurs, des couleurs, tout ça. On est dans un monde totalement aseptisé. Cette chanson c'est un appel au retour à l'humain. Parce que c'est l'humain qui nous fait faire de jolies choses. Quand je regrette l'abstrait, je pense au tableau de Magritte un peu. Celui où il y a une pipe et en dessous est écrit : « Ceci n'est pas une pipe ». Bah non, ce n'est que la représentation, l'image d'une pipe. Ben moi ce qui m'intéresse, c'est pas l'image, pas la représentation, c'est la pipe. Ce qui m'intéresse, c'est pas les images, pas les médias : c'est l'humain..

8 – Comme une ombre – 5'22

Cette menace de vengeance, c'est une adresse à Dieu ? A la vie ? A une femme ? Ou bien est-ce que c'est Dieu qui parle finalement ?

C'est exactement ça, une vengeance. Mais plus dans l'idée d'une vengeance de ta conscience sur toi-même. Donc ce n'est pas Dieu qui parle mais ma conscience qui me dit qu'elle se vengera de quelque chose que j'ai fait en me donnant des remords : « Je serai l'accident (…) Je serai le virus (…) Je serai le crackeur ». Elle m'empêchera d'être serein, quoi..

9 – Marta – 6'47.

10 – Clandestins – 4'34.

11 – Tu y crois toi ? - 6'06

(paroles de Pierre Cholbi)

On semble dans la fuite, dans l'échappée, et cette dernière supposition : « Doit y avoir autre chose »... Oui mais quoi ? Vers quoi est-ce qu'on fuit, là ?

On fuit le groupe. Le groupe ne m'intéresse pas, ce qui m'intéresse ce sont les individualités qui composent le groupe. Je me fous qu'on me dise par exemple que j'ai vendu 300 000 albums. 300 000 ça veut dire quoi ? Si on les met bout à bout, on fait le chemin entre Paris et Dijon d'où je viens : après t'imagines que t'as une personne à chaque mètre. Mais ça ne veut rien dire ! Ça ne parle qu'à ceux qui s'intéressent à l'argent, ce genre d'images, ce qui n'est pas étonnant finalement, mais ça me fait chier. C'est ce que je dis dans « Tu y crois toi ? » : ce qui intéresse les gens c'est « la thune et la gloire ». Pas moi. Ce qui m'intéresse c'est quand une personne vient me dire quelle perception elle a de telle ou telle chanson. Après, ça parle de la religion, aussi. La religion est un alibi ici, en Occident, mais elle est compréhensible ailleurs : quand t'as soif en Afrique parce qu'il n'y a pas de flotte, je comprends que tu invoques les dieux pour te rassurer et te dire qu'il va bien finir par pleuvoir, tu vois. Sinon tu te raccroches à quoi pour continuer de vivre ? Bah ici je sais pas. Je me raccroche un peu aussi, finalement, puisque je dis : « Doit y avoir autre chose ». Mais quoi précisément, ça, j'en sais rien.